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Une reconnaissance imprécise

Une reconnaissance douteuse de la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle des personnes publiques

B) Une reconnaissance imprécise

115. A partir de la décision du 19 décembre 2000247, la liberté contractuelle a pris une

place parmi les normes constitutionnelles en tant que liberté découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le rattachement de la liberté contractuelle à la Déclaration pose deux questions : la première est celle de savoir la portée de

244 C.C., Déc. n° 99-423 DC du 13 janvier 2000, Loi relative à la réduction négociée du temps de travail, Rec.

P.33. Considérant n° 37.

245 C.C., Déc. n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain,

Rec., P 176. Considérant n° 47.

246 D. ROUSSEAU, Chronique de jurisprudence constitutionnelle 1999-2000, RDP, 2001, PP. 37-84, P. 61. 247 C.C., Déc. n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, Rec.,

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la protection accordée par le juge constitutionnel à cette liberté ; la seconde consiste à se demander si la reconnaissance de sa valeur constitutionnelle peut être interprétée au profit des personnes publiques comme c’est le cas pour les personnes privées. C’est la raison pour laquelle, nous étudierons ici, d’une part, le rattachement de la liberté contractuelle à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que la portée de ce rattachement, et d’autre part, l’ambigüité de la position des personnes publiques par rapport à cette reconnaissance.

a) La liberté contractuelle découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

116. Dans sa décision du 19 décembre 2000248, le Conseil constitutionnel a accordé,

pour la première fois et d’une manière directe, à la liberté contractuelle la valeur constitutionnelle en la rangeant parmi les libertés découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen249. Le juge constitutionnel a décidé que la disposition en cause « n'apporte pas à la liberté contractuelle qui découle de l'article 4 de la Déclaration

des droits de l'homme et du citoyen une atteinte contraire à la Constitution »250. Une telle

formulation a conduit certains auteurs à identifier une reconnaissance constitutionnelle de la liberté contractuelle, puisqu’elle était nettement mentionnée et que son fondement constitutionnel était spécifié251. Cela n’a pourtant pas empêché d’autres auteurs de relever que

la nouvelle formule avait été abandonnée, et par conséquent, de douter de cette reconnaissance, en raison d’un retour du Conseil constitutionnel à son ancienne formulation en contrôlant que le législateur ne porte pas atteinte « à l’économie des conventions et

contrats – où simplement aux contrats – légalement conclus une atteinte d’une gravité telle qu’elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». Ils soutenaient que la liberté contractuelle n’avait

toujours pas valeur constitutionnelle252 ou, au mieux, que ce principe n’était constitutionnalisé

248 Ibid.

249 L’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que : « La liberté consiste à pouvoir

faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ».

250 Considérant n ° 37.

251 F. MODERNE, « La liberté contractuelle est-elle vraiment et pleinement constitutionnelle ? », précité, P. 9. 252 J.-E. SCHOETTL, « La loi (Fillon I) devant le Conseil constitutionnel », LPA, 2003, n° 14, PP. 11-18, P. 14 ;

B. MATHIEU ET M. VERPEAUX, Chronique de jurisprudence constitutionnelle, LPA, 2002, n° 186, PP. 5-10, P. 8 ; X. PRÉTOT, « Le Conseil constitutionnel et les sources du droit du travail : l’articulation de la loi et de la négociation collective », Droit social, 2003, n° 3, P. 260-264, P. 262.

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qu’en ce qui concerne le respect des conventions en cours253. La formule précitée a été reprise

dans la décision du 27 novembre 2001254, ainsi que dans les décisions du 12 janvier 2002255, 27 décembre 2002256, 13 janvier 2003257, 12 février 2004258, 29 décembre 2005259, 14 décembre 2006260, 16 août 2007261, 7 août 2008262, 18 mars 2009263, 24 juin 2011264, 7 octobre 2011265et 15 mars 2012266. Toutefois, cette absence de mention de la liberté contractuelle dans la formulation des décisions susmentionnées s’explique, selon l’un des défenseurs de la liberté contractuelle, par le fait que les affaires en cause concernaient davantage la protection des conventions en cours que la liberté contractuelle267.

117. En tout cas, ce doute ne peut que disparaître après avoir rappelé le rattachement de la liberté contractuelle, en tant que telle, à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans les décisions postérieures. Le Conseil constitutionnel a eu plusieurs occasions de se prononcer en la matière, la première décision rendue étant celle du 30 mars 2006 à propos de la loi pour l’égalité des chances268. Dans cette décision le juge constitutionnel a confirmé

l’annexion de la liberté contractuelle à l’article 4 de la Déclaration, en considérant que : « Il

ne résulte ni du principe de la liberté contractuelle qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 ni d'ailleurs d'aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle

253 B. MATHIEU, « L’utilisation de principes législatifs du Code civil comme norme de référence dans le cadre

du contrôle de constitutionnalité », in Code civil et constitution(s), Journée d’études du 25 mars 2004, à l’Assemblée nationale, sous la dir. De M. VERPEAUX, PUAM, Aix-en-Provence, Economica, Paris, 2005, P. 36.

254 C.C., Déc. n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non-salariés

agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, Rec. P. 145. Considérant n° 27.

255 C.C., Déc. n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, Rec. P. 49. Considérant n° 94. 256 C.C., Déc. n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002, Loi de finances pour 2003, Rec. P583. Considérant n° 54. 257 C.C., Déc. n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003, Loi relative aux salaires, au temps de travail et au

développement de l'emploi, Rec. P. 43. Considérant n° 4.

258 C.C., Déc. n° 2004-490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie

française, Rec. P. 41. Considérant n° 93-94.

259 C.C., Déc. n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006, Rec. P. 168. Considérant n° 44. 260 C.C., Déc. n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, Rec.

P. 129, Considérant n° 33.

261 C.C., Déc. n° 2007-556 DC du 16 août 2007, Loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans

les transports terrestres réguliers de voyageurs, Rec. P. 319. Considérant n° 18.

262 C.C., Déc. n° 2008-568 DC du 7 août 2008, Loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du

temps de travail, Rec. P. 352. Considérant n° 18.

263 C.C., Déc. n° 2009-578 DC du 18 mars 2009, Loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre

l'exclusion, Rec. P 73. Considérant n° 13.

264 C.C., Déc. n° 2011-141 QPC du 24 juin 2011, Société Électricité de France (Police de l'eau : retrait ou

modification d'une autorisation), JORF du 25 juin 2011, P. 10842, texte n°72. Considérant n° 10.

265 C.C., Déc. n° 2011-177 QPC du 7 octobre 2011, Définition du lotissement, JORF du 8 octobre 2011, P.

17020, texte n°76. Considérant n° 6.

266 C.C., Déc. n° 2012-649 DC du 15 mars 2012, Loi relative à la simplification du droit et à l'allègement des

démarches administratives, JORF du 23 mars 2012, P. 5253, texte n°2. Considérant n° 13.

267 A. DUFFY, « La constitutionnalisation de la liberté contractuelle », RDP, 2006, P. 1579. 268 C.C., Déc. n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l'égalité des chances, Rec. P. 50.

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que la faculté pour l'employeur de mettre fin au " contrat première embauche " devrait être subordonnée à l'obligation d'en énoncer préalablement les motifs »269. Une telle formulation

ne laisse aucun doute quant à la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle puisque ce principe découle précisément de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Quelques mois plus tard, la Haute Juridiction rappellera encore une fois ce rattachement, concernant la loi relative au secteur de l’énergie en indiquant que : « Le

législateur peut à des fins d'intérêt général déroger au principe de la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 »270. Enfin, plus récemment, le Conseil

constitutionnel a validé cette position dans une autre décision rendue le 14 mai 2012, en précisant que « Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la

liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi »271.

118. Il est pertinent de noter que le Conseil constitutionnel a en outre, à plusieurs reprises, mentionné le principe de liberté contractuelle en qualité de norme constitutionnelle, en-soi, sans référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Les exemples ne sont pas nombreux. Le Conseil constitutionnel l’a fait à deux occasions en 2003 en se prononçant sur les atteintes à la liberté contractuelle. Son raisonnement n’éclairera pas le lien entre la liberté contractuelle et la Déclaration, et se contentera d’indiquer que les dispositions en cause ne portent pas atteinte à la Constitution. Cela se voit dans la décision du 11 décembre 2003272, dans laquelle le juge constitutionnel a déclaré que le législateur « n'a ni

porté atteinte à la liberté contractuelle, ni méconnu la nécessité d'opérer une conciliation entre l'exigence constitutionnelle d'équilibre financier de la sécurité sociale », sans

mentionner donc que la liberté contractuelle découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Une semaine plus tard, une autre décision sera rendue dans le même sens puisque le Conseil constitutionnel se contentera de préciser que l’article en cause

269 Considérant n° 23.

270 C.C., Déc. n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l'énergie, Rec. P. 120.

Considérant n° 29.

271 C.C., Déc. n° 2012-242 QPC du 14 mai 2012, Association Temps de Vie (Licenciement des salariés

protégés au titre d'un mandat extérieur à l'entreprise), JORF du 15 mai 2012, P. 9096, texte n°2, considérant n° 6.

272 C.C., Déc. n° 2003-486 DC du 11 décembre 2003, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, Rec.

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ne porte atteinte ni à la liberté personnelle ni à la liberté contractuelle273. Une formulation

similaire sera reprise dans la décision du 13 mai 2011274 : le juge constitutionnel jugera qu’«

il est loisible au législateur de reconnaître à une autorité publique le pouvoir d'introduire, pour la défense d'un intérêt général, une action en justice visant à faire cesser une pratique contractuelle contraire à l'ordre public ; que ni la liberté contractuelle ni le droit à un recours juridictionnel effectif ne s'opposent à ce que, dans l'exercice de ce pouvoir, cette autorité publique poursuive la nullité des conventions illicites, la restitution des sommes indûment perçues et la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés, dès lors que les parties au contrat ont été informées de l'introduction d'une telle action ». De telles

constructions conduiraient à penser que la Haute Juridiction a la volonté d’accorder à la liberté contractuelle une protection constitutionnelle d’une façon autonome de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

119. Par ailleurs, l’analyse approfondie des décisions du Conseil constitutionnel au cours des dix dernières années révèle qu’un autre fondement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen se présente comme garant du principe la liberté contractuelle, ce fondement est l’article 16 de cette Déclaration275. En effet, si la liberté contractuelle dans ses

deux composantes essentielles – la liberté de contracter ou de ne pas contracter et la liberté de choisir le cocontractant – trouve une garantie raisonnable dans l’article 4 de la Déclaration de 1789, la situation est équivoque lorsqu’il s’agit de la protection des contrats « ou

l’économie des contrats » légalement conclus qui se rattachent plutôt au principe de sécurité

juridique276. L’ambiguïté disparaîtra avec la décision n° 2002-465 du 13 janvier 2003277, en

rattachant la protection des contrats et des conventions légalement conclus à l’article16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le Conseil constitutionnel jugera dans cette décision que « Le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une

atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 »278. Le rattachement de la

273 C.C., Déc. n° 2003-487 DC du 18 décembre 2003, Loi portant décentralisation en matière de revenu

minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, Rec. P. 473. Considérant n° 28.

274 C.C., Déc. n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, Société Système U Centrale Nationale et autre (Action du

ministre contre des pratiques restrictives de concurrence), JORF du 13 mai 2011, P. 8400, texte n°71. Considérant n° 9.

275 L’article 16 de la D.D.H.C. dispose que « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée,

ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

276 F. MODERNE, « La liberté contractuelle est-elle vraiment et pleinement constitutionnelle ? », précité, P. 10. 277 C.C., Déc. n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003, Loi relative aux salaires, au temps de travail et au

développement de l'emploi, Rec. P. 43.

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protection constitutionnelle des contrats en cours d’exécution aux articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789, se renouvellera dans les décisions du 12 février 2004279, 29 décembre 2005280, 16 août 2007281, 7 août 2008282, 18 mars 2009283, 19 novembre 2009284, 24 juin 2011285, 7 octobre 2011286 et le 15 mars 2012287.

120. Finalement, l’ensemble des décisions précitées ne laisse pas de doute autour de la protection constitutionnelle accordée par le Conseil constitutionnel à la liberté contractuelle en rattachant cette dernière aux articles 4 et 16 de la Déclaration. La question qui se pose ici est de savoir si la liberté contractuelle se situe sur le même plan que les grandes libertés constitutionnellement reconnues et consacrées288. En réalité, la Haute Juridiction ne reconnaît

pas expressément, et de manière autonome, une valeur constitutionnelle au principe de la liberté contractuelle mais considère néanmoins que sa protection se rattache aux exigences des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Cela a conduit MM. Mathieu et Verpeaux à déduire que ce traitement spécifique explique « que sa protection (de la liberté contractuelle) soit moins étendue que s’il s’agissait d’un véritable principe

constitutionnel »289. L’interprétation précitée devient plus logique après avoir identifié le

cadre et les conditions dans lesquels ce principe pourrait être garanti par le Conseil constitutionnel.

b) Une reconnaissance avec une faible protection

121. Si la liberté contractuelle a obtenu sa place parmi les libertés constitutionnellement garanties, les mesures prises par le juge constitutionnel afin de protéger ce principe remettent en cause cette reconnaissance. En effet, le Conseil constitutionnel a posé

279 C.C., Déc. n° 2004-490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie

française, Rec. P. 41. Considérant n° 93.

280 C.C., Déc. n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006, Rec. P. 168. Considérant n° 45. 281 C.C., Déc. n° 2007-556 DC du 16 août 2007, Loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans

les transports terrestres réguliers de voyageurs, Rec. P. 319. Considérant n° 17.

282 C.C., Déc. n° 2008-568 DC du 7 août 2008, Loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du

temps de travail, Rec. P. 352. Considérant n° 18.

283 C.C., Déc. n° 2009-578 DC du 18 mars 2009, Loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre

l'exclusion, Rec. P. 73. Considérant n° 13.

284 C.C., Déc. n° 2009-592 DC du 19 novembre 2009, Loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle

tout au long de la vie, Rec. P. 193. Considérant n° 9.

285 C.C., Déc. n° 2011-141 QPC du 24 juin 2011, Société Électricité de France (Police de l'eau : retrait ou

modification d'une autorisation), JORF du 25 juin 2011, P. 10842, texte n°72. Considérant n° 10.

286 C.C., Déc. n° 2011-177 QPC du 7 octobre 2011, Définition du lotissement, JORF du 8 octobre 2011, P.

17020, texte n°76. Considérant n° 6.

287 C.C., Déc. n° 2012-649 DC du 15 mars 2012, Loi relative à la simplification du droit et à l'allègement des

démarches administratives, JORF du 23 mars 2012, P. 5253, texte n°2. Considérant n° 13.

288 F. MODERNE, « La liberté contractuelle est-elle vraiment et pleinement constitutionnelle ? », précité, P. 10. 289 B. MATHIEU et M. VERPEAUX, Chronique de la jurisprudence constitutionnelle, JCP, 2002, P. 2016.

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une condition générale pour autoriser les atteintes à la liberté contractuelle. Cette condition se résume par la présence de l’intérêt général dans les limitations apportées par le législateur à cette liberté. Selon lui, l’intérêt général doit être suffisant290 et l’atteinte en cause doit respecter la limite de la non-gravité291 ou « excessivité »292.

122. Les formulations des décisions constitutionnelles en la matière se différencient, mais elles ont pour but de confirmer une autorisation permanente au législateur de déroger au principe de la liberté contractuelle. Le législateur « peut à des fins d'intérêt général déroger

au principe de la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 »293 ; ou, il est loisible au législateur d’apporter « à la liberté contractuelle, qui

découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général »294.

123. En revanche, l’autorisation accordée au législateur à cet égard n’est pas absolue. Car, en premier lieu, s’il est loisible au législateur d’apporter, pour des motifs d’intérêt général, des modifications à des contrats en cours d’exécution, « il ne saurait porter à

l'économie des contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 »295.

En second lieu, la simple existence de l’intérêt général n’est pas assez pour reconnaitre la validité des atteintes portées aux contrats légalement conclus. En effet, cet intérêt doit être suffisant. Dans sa décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004, le Conseil constitutionnel a confirmé cette position en jugeant que : « Le législateur ne saurait permettre que soit portée

aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne serait justifiée par un motif d'intérêt

290 Voir par exemple, C.C., Déc. n° 2012-649 DC du 15 mars 2012, Loi relative à la simplification du droit et à

l'allègement des démarches administratives, JORF du 23 mars 2012, P. 5253, texte n°2. Considérant n° 13 ; C.C., Déc. n° 2011-177 QPC du 7 octobre 2011, Définition du lotissement, JORF du 8 octobre 2011, P. 17020, texte n°76. Considérant n° 6 ; C.C., Déc. n° 2009-592 DC du 19 novembre 2009, Loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, Rec. P. 193. Considérant n° 9.

291 Voir par exemple, C.C., Déc. n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, Loi portant création d'une couverture maladie

universelle, Rec., P. 100 ; C.C., Déc. n° 98-401 DC, 10 juin 1998, Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, Rec., P. 258 ; C.C., Déc. n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, Rec. P. 145.

292 Par exemple, C.C., Déc. n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006, Loi de financement de la sécurité sociale

pour 2007, Rec. P. 129, Considérant n° 33 ; C.C., Déc. n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, Rec. P. 145. Considérant n° 27 ; C.C., Déc. n° 2009-592 DC du 19 novembre 2009, Loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, Rec. P. 193. Considérant n° 11.

293 C.C., Déc. n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, op. cit. 294 C.C., Déc. n° 2012-242 QPC du 14 mai 2012, op. cit. 295 C.C., Déc. n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, op. cit.

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général suffisant »296. Une autre décision rendue le 7 août 2008 confirmera la décision

susmentionnée en indiquant que « Le législateur ne saurait porter aux contrats légalement

conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 »297.

124. Bien que la dérogation au principe de liberté contractuelle soit conditionnée par l’intérêt général suffisant et la non-gravité, l’analyse approfondie des décisions du Conseil constitutionnel dans ce domaine montre que la liberté contractuelle ne bénéficie que d’une protection restreinte.

125. D’un côté, la condition d’un intérêt général suffisant n’ajoute rien à la protection supposée de la liberté contractuelle car il est très difficile d’imaginer que les lois préparées par le législateur soient dépourvues de l’intérêt général. En plus, dans toutes les décisions rendues par le Conseil constitutionnel à propos de la liberté contractuelle, il n’existe aucune décision par laquelle les dispositions en cause ont été déclarées inconstitutionnelles en raison d’insuffisance d’intérêt général dans leur contenu. Au contraire, la Haute Juridiction a souvent cherché à justifier la suffisance de l’intérêt général comme c’est le cas dans sa décision du 30 novembre 2006298. Dans cette décision les requérants soutenaient qu'en maintenant de façon

illimitée l'obligation, faite aux collectivités territoriales ayant concédé à Gaz de France la distribution publique de gaz naturel, de renouveler leur concession avec cette entreprise, tout en privant cette dernière de son caractère public, le législateur avait porté à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée que ne justifiait aucun motif d’intérêt général. Le juge constitutionnel, en autorisant la limitation apportée par le législateur à la liberté contractuelle, a précisé que « le législateur n'a pas remis en cause l'exclusivité des

concessions de distribution publique de gaz dont bénéficient Gaz de France et les distributeurs non nationalisés dans leur zone de desserte historique, et seules les communes ou leurs groupements qui, au 14 juillet 2005, ne disposaient pas d'un réseau public de distribution de gaz naturel ou dont les travaux de desserte n'étaient pas en cours de réalisation, peuvent concéder la distribution publique de gaz à une entreprise agréée de leur

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