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Représentativités patronales, représentativités syndicales

Chapitre 2. Logiques d’adhésion et densité d’une representation locale

3. Le Medef territorial, un réseau formel, des liens faibles

3.1. Représentativités patronales, représentativités syndicales

Le sentiment d’être représenté au niveau national par le Medef est rare, les interlocuteurs s’en défen- dent plutôt, insistent sur le fait que le Medef territorial est d’abord une émanation du local, ils pren- nent leur distance par rapport à une image « proche du CAC 40 », voire proche du pouvoir politique, de l’État. Un autre qui, pourtant, a joué le jeu de la « montée à Paris, à un rassemblement avec Lau- rence Parisot » affiche son scepticisme sur l’irréductible distance aux problèmes de terrain. Un autre, pas moins fataliste : « Je ne m’y retrouve pas toujours, l’image que donne le Medef national, c’est celui des grandes entreprises, du CAC 40, les syndicats le caricaturent beaucoup et c’est l’image que ça donne. Je n’y participe pas mais je vois bien que ça ne fonctionne pas comme ça. Mais c’est l’image véhiculée et on n’y échappe pas. » Parfois, une distance sociale est perçue, le sentiment de vivre dans un autre monde que celui des représentants du Medef. Ainsi, notre chef d’entreprise nor- mand : « Le Medef, je les sens trop proches du pouvoir, dans tous les sens du terme, trop bureaucrati- sés (…) Un jour, on était à table ici, avec De Calan, on a parlé de ça. Lui m’a dit : “On a besoin de gens comme vous”. Oui, mais je lui ai répondu que moi, je n’avais pas besoin de gens comme lui, c’est bien ça le problème. Il n’a pas tellement apprécié, parce qu’il m’a dit : “Vous ne savez pas, je suis dévoué corps et âme” ; “Oui, mais ce que vous êtes, c’est pas moi. Et donc, j’ai pas envie d’être votre faire-valoir”.

Les débats nationaux où le Medef est impliqué arrivent atténués dans les régions. Sur l’ainsi- nommé « scandale de l’UIMM », les réactions ont été diverses mais les structures locales semblent avoir surtout étouffé une affaire dont personne ne voulait trop entendre parler. « L’histoire de la caisse noire, nous, on a fait une déclaration commune sur l’intérêt des entreprises et on a laissé les Parisiens se disputer entre eux », dit-on à Toulouse. Au Havre, c’est encore plus clair : « Rien, le silence, l’omerta. Interdit d’en parler, enfin, ce n’était pas interdit, bien sûr, mais ce n’était pas un sujet que l’on abordait. Mais ça concourt à un doute sur les organisations nationales. Moi, c’est pour ça que j’insiste sur le coté régional ou local ».

D’une manière générale, les chefs d’entreprise rencontrés ne se projettent guère dans la structure dont non seulement ils sont adhérents mais à laquelle ils consacrent de leur temps. L’ancrage local est de loin la première détermination de l’engagement, il est indissociable d’un « retour sur investis- sement » pressenti par tous et même par ceux qui l’éclairent d’une rationalité en valeur. Ce constat, difficile à généraliser à partir de notre enquête, rejoint l’appréciation portée par T. Coulouarn dans son ample travail de thèse, mais il accompagne aussi d’assez près les enseignements de Reponse. Encore ceux-ci indiquent-ils que l’opinion portée par les chefs d’entreprise sur la représentativité des organisations patronales croît avec l’intensité de la participation. On se rapportera ici à l’encadré suivant tiré de l’analyse statistique (chapitre 1) pour un regard général sur l’appréciation comparée de la perception des représentativités patronales et syndicales selon l’enquête Reponse.

Le regard des représentants de la direction sur la représentativité des syndicats patronaux et salariés : analyse de questions de l’enquête Reponse 2004/2005

Avec l’enquête Reponse, on dispose d’un échantillon représentatif du point de vue des dirigeants d’entreprise sur la représentativité des organisations patronales, dont nous tentons d’identifier les ressorts. Dans la lignée de travaux anté- rieurs29, nous précisons notamment le lien entre les opinions des dirigeants et leur participation déclarée aux structures patronales.

Une faible minorité de dirigeants considèrent les organisations patronales représentatives

29

Amossé T., Jacod O. (2008), « salariés, représentants du personnel et directions : quelles interactions entre les acteurs des relations sociales en entreprise, », in Amossé T., Bloch-London C., Wolff L., Les relations sociales en entreprise, un portrait à partir des

Dans son volet « représentants de la direction » l’enquête Reponse de 2004-2005 comprend la question suivante sur l’appréciation, par les dirigeants interrogés, de la représentativité des organisations patronales et des syndicats de salariés. D’une manière générale pour vous, quelle est aujourd’hui la représentativité... ?

• Des syndicats de salariés • Des syndicats patronaux

(Très faible / faible /forte /Très forte /Sans opinion , NSP) [question 2.17]

Les appréciations portées sur les deux types d’organisations sont très symétriques (voir tableau 1) : la réponse de loin la plus fréquente qualifie la représentativité de faible dans les deux cas. Moins d’un représentant sur cinq considère la représentativité comme forte ou très forte. Le seul point sur lequel les appréciations se démarquent légèrement tient à la modalité « sans opinion », qui est plus fréquente pour les organisations patronales que pour les syndicats de salariés. Cela peut s’expliquer par une nette focalisation du débat public sur la représentativité des organisations syndicales. En tous cas, les dirigeants d’établissement ne se mettent visiblement pas dans une position de défense ou de soutien de la représentativité patronale, qui serait jugée bien supérieure à celle des syndicats de salariés.

Si l’on croise les réponses aux deux questions on trouve que les points de vue sont très nettement corrélés. Au niveau des directions d’entreprise, les appréciations portées sur la représentativité des syndicats de salariés vont de pair avec celles portées sur la représentativité des organisations patronales. En fait, la corrélation est particulièrement nette pour les appréciations négatives. Lorsque l’opinion des dirigeants sur la représentativité des deux types d’organisations est plutôt positive, leur appréciation des organisations patronales tend à être encore plus favorable. Ces réponses mettent en cause la représentativité du système même de relations professionnelles français et non les seules parties patronales et salariées.

Liens entre l’appréciation de la représentativité et l’investissement dans des structures patronales

On peut mettre en regard ces jugements sur la représentativité des organisations syndicales et patronales avec l’intensité de la participation des directions aux organisations patronales. Si l’on se réfère à l’axe d’intensité de cette participation définie dans le premier chapitre, on constate que la relation entre l’appréciation de la représentativité des « syndicats patronaux » et l’intensité de la participation patronale est positive et linéaire. En revanche, celle avec l’appréciation de la représentativité des « syndicats de salariés » est ténue et paraît plutôt négative. L’estimation « toutes choses égales par ailleurs » de la relation entre participation patronale et réponses sur la représentativité des organisations durcit cette opposition. Plus les dirigeants sont investis dans des organisations patronales, moins leur opinion sur la représentativité des syndicats de salariés est bonne. Inversement, leur opinion sur les organisations patronales s’améliore à mesure qu’ils y participent activement.

Nous complétons l’analyse des questions sur la représentativité en fonction des profils de participations aux organisa- tions patronales, tels qu’ils ont été définis au chapitre 1 (tableau 2).

Les établissements très peu engagés dans les structures patronales (profil A) sont plus souvent sans opinion sur leur représentativité. Ce résultat est très net que ce soit « toutes choses inégales réunies » ou « toutes choses égales par ail- leurs ». L’analyse « toutes choses égales par ailleurs » met également en avant le fait que les établissements ayant une participation occasionnelle aux structures patronales locales ou de branche (B) ont plus rarement une appréciation très négative de leur représentativité.

Les dirigeants des établissements très actifs dans des structures locales (profil C) sont ceux qui ont les opinions les plus défavorables sur la représentativité des organisations de salariés. Cette appréciation négative reste significative lors- qu’on estime les relations « toutes choses égales par ailleurs ». En revanche, les représentants d’établissements partici- pant activement aux instances paritaires (F) comme ceux des établissements ayant une forte institutionnalisation de leurs relations sociales (profil D) ont les opinions les plus favorables de la représentativité des syndicats de salariés. Au final, lorsque l’on croise l’ensemble des ces informations (structuration syndicale, participation patronale et opinion sur la représentativité des syndicats de salariés et d’employeurs), on constate que les profils de participation des établis- sements aux organisations patronales et de structuration de la parole salariée en leur sein décrivent des configurations homologues aux opinions portées par les dirigeants sur la représentativité des parties patronales et salariées. Une masse d’établissements, les plus petits du champ, se caractérisent par une absence d’expression collective interne et un déficit de participation externe des dirigeants. Leurs opinions sont plus souvent négatives ou indifférentes. Ensuite, les établis- sements qui s’engagent dans les structures locales ou de branche, sans que des syndicats de salariés soient nécessaire- ment présents dans leur établissement, considèrent les structures patronales comme davantage représentatives, à l’opposé des syndicats de salariés qui sont perçus comme peu représentatifs. Enfin, les établissements qui participent le plus, que ce soit au travers d’instances paritaires ou de conseils d’administration d’une part, de clubs d’entrepreneurs ou de DRH d’autre part, ont des relations sociales également développées en interne et portent un jugement plus favorable sur les structures patronales et salariées.

Tableau 11. Profils de participation patronale et relations sociales dans l’établissement

Indice de participation patronale

valeur estimation

Représentativité des « syndicats patronaux »

Sans opinion, manquante -0,21 -***

Très faible -0,07 -***

Faible 0,03 ref

Forte ou très forte 0,12 +***

Représentativité des « syndicats de salariés »

Sans opinion, manquante -0,18

Très faible 0,02 +***

Faible 0,01 ref

Forte ou très forte 0,00 -**

Note : La première colonne précise la valeur de l’indice de participation patronale.

La seconde colonne précise les résultats d’estimation de la valeur prise par l’indice probabilité en fonction des réponses aux questions sur la représentativité et des va- riables de taille, de secteur, âge et structure de la main-d’œuvre de l’établissement.

Champ : établissements de 20 salariés et plus du secteur marchand non agricole. Source : Enquête Reponse 2004-2005, volet « représentants de la direction », Dares

(n = 2 928).

Tableau 12. Profils de participation patronale et relations sociales dans l’établissement

Note : Pour chaque classe (comme pour le total) la première colonne précise les pourcentages pondérés de réponse à chaque

modalité. La seconde colonne précise les résultats d’estimation de la probabilité d’appartenance au profil A (modèle logit poly- tomique non ordonné) en fonction des réponses aux questions sur la représentativité et des variables de taille, de secteur, âge et structure de la main-d’œuvre de l’établissement.

Champ : établissements de 20 salariés et plus du secteur marchand non agricole.

Source : Enquête Reponse 2004-2005, volet « représentants de la direction », Dares (n = 2 928).

Le monde patronal n’est gère porteur de vision favorable au syndicalisme des salariés. Cette appré- ciation s’atténue lorsque le niveau s’éloigne de l’entreprise ou, par exemple, lorsque la fréquenta- tion de représentants syndicaux s’exerce dans des institutions : au niveau régional, notre respon-

Représentativité des "syndicats patronaux"

Total

% est. % est. % est. % est. % est. % est.

Sans opinion, manquante 13,48 ref 8,18 -* 8,4 9,36 -* 8,12 -** 6,94 -** 10,67

Très faible 27,6 ref 20,67 -** 24,24 22,62 19,05 19,28 24,09

Faible 41,37 ref 52,5 ref 50,83 ref 49,97 ref 57,15 ref 47,32 ref 46,75

Forte ou très forte 17,55 ref 18,66 16,53 18,05 15,68 26,47 18,49 Représentativité des "syndicats de salariés"

Total

% est. % est. % est. % est. % est. % est.

Sans opinion, manquante 6,88 ref 4,36 6,58 4,02 5,22 3,28 -* 5,65

Très faible 25,38 ref 25,47 33,31 +* 26,32 19,69 24,65 25,47

Faible 51,45 ref 53,76 ref 44,39 ref 49,98 ref 58,51 ref 51,9 ref 51,91

Forte ou très forte 16,29 ref 16,41 15,71 19,68 16,59 20,16 16,97 F

A B C D E F

E

sable Midi-Pyrénées a un jugement biface : « Moi, je suis contre la présence des syndicats dans les PME. Jusqu’à deux cents personnes, on connaît tout le monde dans une boîte, au-delà c’est plus difficile. Mais si vous êtes un patron social (ce que je suis), la porte est toujours ouverte. » En re- vanche, siégeant au Ceser (Conseil économique social et environnemental régional), il estime : « Bon, au début, elle est CGT, je suis Medef, c’est pas évident. On travaille ensemble au Ceser, on a nos numéros de portables, on se contacte, on se respecte, on s’écoute. Ils sont venus pour qu’on fasse remonter sur les retraites, etc. Je pense quand même qu’il y a beaucoup de cas comme moi ». Les lieux paritaires sont l’occasion de rapports plus personnels susceptibles d’atténuer les senti- ments négatifs, d’autant plus qu’ils sont détachés de rapports directs avec l’entreprise. L’analyse statistique montre que l’opinion sur les syndicats de salariés est plus mauvaise encore lorsque s’accentue la participation aux organisations patronales elles-mêmes. Celles-ci pourtant n’ont guère d’occasions de rapports directs avec leurs « homologues » syndicaux. L’opinion dès lors renvoie à certaines représentations dominantes au sein de ces instances, une partie sans doute de ce socle de lieux communs d’une vision du monde qu’un patron ordinaire ne peut que partager.

Dans le rapport direct de l’enquête, la question sur l’hypothèse d’un engagement en miroir vis-à-vis des syndicats n’est pas retenue. Elle rencontre souvent un temps d’hésitation, soit par son caractère inattendu soit parce qu’elle met mal à l’aise. Seuls les ex-CJD sont sans ambages : ils sont favo- rables et ont mis en place des instances électives du personnel, même dans des TPE, mais ont le même jugement, négatif et assumé, sur la présence syndicale. Leur haut niveau d’engagement dans les structures patronales renforce donc le jugement négatif sur les syndicats, même si la coloration de ce refus est contrebalancée par un attachement aux IRP (instances représentatives du personnel) qu‘ils ne partagent pas nécessairement avec l’ensemble de leurs « collègues ».

Si la co-construction des acteurs a un très fort caractère historique30, elle n’est évidemment pas véri-

fiable point par point dans les établissements et la taille de notre échantillon ne permet pas de lever le voile sur le « mystère » relevé en conclusion du chapitre précédent. Si les implantations syndi- cales sont à la hausse au cours des années précédant l’enquête Reponse 2004-2005, l’évolution de l’engagement patronal semble plutôt de sens contraire sur la même période. Il faut attendre sans doute la prochaine vague pour y voir un peu plus clair, si l’analyse statistique peut à elle seule y répondre, ce qui n’est pas certain.