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Du cercle au forum : l’hétérogénéité des adhérents et des « droits d’entrée »

Chapitre 6. Une analyse relationnelle des clubs et « think tanks » patronaux Des

2. La pluralité des stratégies de positionnement des clubs dans l’espace patronal

2.4. Du cercle au forum : l’hétérogénéité des adhérents et des « droits d’entrée »

La composition des adhérents et les conditions de leur participation constituent un autre marqueur de différenciation des « think tanks » et clubs patronaux. De fait, certaines structures que nous avons rencontrées rassemblent des profils de membres homogènes et restreints en effectifs, tandis que d’autres accueillent des adhérents plus divers et nombreux. Parallèlement, l’accès participatif à ces clubs peut être très sélectif ou, à l’inverse, ne requérir quasiment aucune condition d’adhésion. Ainsi, une partie des clubs patronaux étudiés rassemble un petit groupe de membres qui paraissent avoir été triés sur le volet. Surtout, dans ce type de structures qui s’apparente peut-être le plus aux clubs patronaux et aux organisations professionnelles spécialisées, les adhérents sont quasi exclusi- vement des entreprises. C’est tout particulièrement le cas, par exemple, de l’AIAP qui ne comprend pas plus de 90 membres. Ceux-ci sont essentiellement de grandes entreprises françaises à capitaux privés, s’inscrivant dans une logique de marché et dont le champ d’action est international. La moitié de ces sociétés fait notamment partie du CAC 40. FranceAction est une autre structure dont la cen- taine d’adhérents est majoritairement constituée d’entreprises. Les grands groupes peuvent toutefois y côtoyer les PME. Par ailleurs, aux côtés de ces membres actifs, on identifie également quelques « membres associés » pouvant être incarnés par des personnes morales ou physiques, ce qui repré- sente un premier élément de distinction avec l’AIAP. On observe une composition similaire de l’adhésion à Compu, une autre organisation professionnelle spécialisée. Dans cette dernière, les effec- tifs d’adhérents commencent déjà à être plus importants, puisqu’ils atteignent près de trois cents per- sonnes. On s’aperçoit également que leur composition est plus diversifiée au regard des deux exemples précédents. Les membres de Compu varient ainsi en fonction de la taille des organisations adhérentes (des PME aux grands groupes multinationaux), de leur statut (des organismes publics, des associations, des entreprises privées ou publiques) ou encore de leur secteur d’appartenance (grande consommation, pharmacie, télécommunications, aéronautique, banque, etc.).

Cette composition plus ou moins homogène et restreinte des membres de ces clubs – majoritaire- ment constitués d’entreprises – est en partie liée à l’usage de critères de « recrutement » passable- ment drastiques. Ces organisations patronales atypiques ont fréquemment recours à la cooptation de leurs membres en prélevant auprès d’eux des cotisations annuelles relativement conséquentes. Le principe du « parrainage », pour reprendre le terme régulièrement utilisé par les responsables inter- viewés, permet ainsi de satisfaire deux conditions. Il s’agit d’une part, de s’assurer que l’activité de l’adhérent est bien liée à l’objet dont se préoccupe l’organisation : être une entreprise privée d’envergure internationale, consacrer une part importante de ses investissements dans une région précise du globe, exercer des activités de communication et de publicité, etc. D’autre part, d’un point de vue plus subjectif, la cooptation permet également d’évaluer le degré de motivation du membre, sa volonté d’implication, voire l’honnêteté de ses intentions. Ainsi, le secrétaire général de FranceAction dit être très méfiant à l’égard de certains consultants et experts qui souhaiteraient in- tégrer son organisation, non pas dans le dessein de participer aux commissions et autres activités d’entraides concrètes, mais pour bénéficier avant toute chose du réseau de membres et emplir leurs « carnets d’adresses ». Par ailleurs, la contribution financière des membres est en général assez éle- vée et peut constituer un bon indicateur de la mobilisation des adhérents. Par exemple, FranceAc- tion dispose de trois niveaux différents de cotisation ? allant de 2 500 à 10 000 euros selon les moyens de l’institution ou de l’individu. Le plus souvent, le montant de la cotisation prend la forme d’une part du chiffre d’affaires ou de la masse salariale de l’entreprise. C’est ce que pratique no- tamment Inserco, qui prélève annuellement quatre millièmes de la masse salariale de ses adhérents. Dans la plupart de ces clubs comprenant des effectifs restreints d’entreprises, on s’aperçoit que le membre n’est pas le dirigeant, mais bien l’entreprise ou plus largement l’institution d’appartenance. Celle-ci est seulement représentée physiquement par le dirigeant, comme c’est le cas pour l’AIAP – qui n’accepte d’ailleurs pas d’autres représentants lors de ses réunions – ou bien FranceAction. Le secrétaire général de ce dernier nous confie ainsi préférer recruter des représentants d’entreprise qui sont en mesure de prendre des décisions majeures et qui possèdent par conséquent un certain pou- voir dans leur organisation. La représentation de l’entreprise au sein du club peut s’effectuer égale- ment par l’entremise de plusieurs responsables, pas forcément proches des sphères dirigeantes. On se situe alors ici davantage dans la configuration de Compu. Le responsable de cette dernière pré- cise en effet que son association privilégie des relations avec plusieurs représentants d’une même entreprise. Cela permet, selon lui, de préserver sur un plus long terme les liens entre sa structure et les différentes entreprises membres. Ainsi, au cas où l’un des représentants ferait défection (chan- gement d’entreprise, indisponibilité, etc.), ces collaborateurs peuvent garantir la continuité de l’adhésion et de la participation de leur entreprise à Compu. Par conséquent, la majorité de nos in- terlocuteurs affirme avec force que leur association ne s’adresse pas en priorité aux dirigeants ou aux entrepreneurs, mais bien davantage aux organisations directement concernées par les sujets qui préoccupent ces clubs.

Il existe toutefois quelques exceptions, à l’image de Pyramide. Son objet est de défendre les valeurs de l’entrepreneuriat autour d’un profil particulier d’employeur et de structurer un réseau de sociabi- lité à l’échelle nationale. À l’inverse des clubs précédents, ce qui intéresse Pyramide est bien le sta- tut de dirigeant, peu importe finalement son entreprise, la taille de celle-ci, son secteur ou encore son statut. Le principe au fondement de la logique d’adhésion revient donc à la qualité d’entrepreneur de l’adhérent, ce qui par ailleurs fait de Pyramide un club à part dans notre échantil- lon. On trouve ainsi à Pyramide : des présidents, des gérants, des directeurs généraux, des héritiers d’entreprise, des salariés repreneurs ou encore de tous jeunes créateurs. Leur adhésion se concrétise à travers une architecture plus atypique que les organisations précédentes, puisque Pyramide est organisé en associations locales distribuées par régions, villes ou départements. Elles accueillent en tout près de 3 300 adhérents d’une moyenne d’âge de 38 ans, conformément à l’une des spécificités du club.

Cet exemple conduit à aborder les structures destinées à des membres plus ou moins nombreux, mais dans tous les cas plus variés que les seules entreprises. Ainsi, Conifère, s’il ne compte pas énormé-

ment d’adhérents – une cinquantaine tout au plus –, couvre des institutions aussi diverses que des membres bienfaiteurs, des sociétés industrielles, des sociétés de services, des institutions financières, des organisations professionnelles et syndicales ou encore des administrations et des établissements publics. La fondation Mesure, le Club du Marché, Terre Durable, le Club V. ou encore le Club J. for- ment cette catégorie de clubs dont l’ouverture aux membres est, elle aussi, relativement étendue, en s’adressant finalement aussi bien aux organisations qu’aux personnes considérées presque indépen- damment de leur institution de rattachement. Parmi ces participants, on trouve une grande variété de statuts et de profils. Certes, des entreprises y sont représentées via leurs dirigeants ou leurs personnels responsables de telles ou telles directions ou secteurs d’activité. Mais elles sont loin de constituer la majorité des adhérents. Parmi les membres de ces organisations, on compte également des journa- listes, des représentants de l’État, de jeunes chercheurs en formation et des universitaires, des consul- tants, des hommes politiques ou encore des adhérents d’autres clubs patronaux.

Dans ces cas de figure, les conditions d’accès au club sont plutôt facilitées. Il n’y a pour ainsi dire pas de véritables procédures de cooptation, même si, bien souvent, l’adhésion s’effectue par l’intermédiaire de son réseau de relations et de « connaissances ». Une seule décision adoptée par le conseil d’administration ou prise de manière plus informelle et unilatérale par le président ou le secrétaire général, peut suffire à accepter le nouvel adhérent – comme c’est le cas pour Conifère, dont la secrétaire générale dit n’avoir quasiment jamais été confrontée à un refus d’adhésion. Les cotisations sont relativement accessibles, eu égard à celles des clubs plus sélectifs. Par exemple, pour le Club de l’Habitat, elles sont comprises entre trente et trois cents euros à l’année selon les moyens des adhérents. Elles peuvent même parfois être inexistantes, comme au Club du Marché. Dans cette association, l’unique critère d’adhésion est de partager les valeurs relatives au libéra- lisme économique défendues par le Club. Le financement de la structure, par conséquent assez limi- té, repose alors essentiellement sur des donations de personnes privées, voire d’entreprises. Dans une logique tout à fait comparable, la seule condition d’adhésion avancée par le secrétaire général de Terre Durable est « la capacité à réfléchir et à vouloir se projeter dans l’avenir. C’est le dénomi- nateur commun entre tous leurs adhérents ». Il faut toutefois souligner ici qu’une composition di- versifiée des membres n’est pas forcément synonyme d’un accès participatif « ouvert » et aisé. Pour preuve, les modalités de recrutement très lourdes et sévères du club de sociabilité le Siècle, fondée en 1944 (Charpin, 2009). Pourtant, ce club particulièrement sélect réunit tous les premiers mercre- dis du mois des adhérents aussi divers que des dirigeants d’entreprises, des banquiers, des hauts fonctionnaires, des hommes politiques, des journalistes, des artistes ou encore des acteurs de la vie culturelle (Martin-Fugier, 2004).

Cette analyse de la composition des membres des clubs patronaux et des conditions de recrutement met en évidence deux enseignements. Les entreprises sont représentées à des degrés variables dans ces clubs aux côtés d’autres acteurs, tandis que les conditions d’accès des membres peuvent être plus ou moins sélectives. En tout cas, une distinction peut être établie entre deux catégories de clubs. D’un côté, ceux qui ne sont pas à la recherche d’un accroissement de leur nombre d’adhérents, qui préfèrent fonctionner de manière assez discrète et à effectifs restreints. Ils procè- dent alors à une sélection élevée, allant jusqu’à exclure les membres qui se révèlent au bout d’un certain temps les plus inactifs. D’un autre côté, il y a les structures qui émettent le souhait de voir leur « vivier » d’adhérents croître et se diversifier, cherchant par conséquent à communiquer et à recruter davantage, même si elles n’ont pas toujours les moyens – en termes de budgets et d’effectifs – de mener à bien une telle démarche d’ouverture et d’expansion. Si l’on ajoute à cela les objectifs poursuivis en termes de promotion de valeurs ou de mise en œuvre d’actions concrètes et pratiques, dans une optique spécialiste ou généraliste, on obtient alors un sous-espace de clubs et de « think tanks » patronaux relativement varié ou encore un « espace différencié » (Cousin, Chauvin, 2010, p. 112). Il nous apparaissait de fait indispensable de rendre compte d’une telle hétérogénéité de l’objet, avant d’explorer davantage la question du rôle de l’adhésion et des relations qu’entretiennent ces clubs avec d’autres structures comme les organisations patronales représenta-

tives, ainsi que les logiques d’influence qui les caractérisent. C’est donc à ces aspects fondamentaux du chapitre qu’est consacrée la troisième et dernière section.

3. ENTRE ADHÉSION ET REPRÉSENTATION : LES CLUBS COMME INTERFACES