Chapitre III – L’identité et les représentations : deux notions associées à l’interculturel
3.2. Les représentations
Tous les auteurs, Herzlich (1972), Moscovici, (1961 et 2003) et Jodelet, (2014) pour
ne citer que certains, attribuent à Durkheim (1898), le mérite d’avoir été l’inventeur de la
notion de représentation. Apparue en sociologie, puis théorisée en psychologie (Jodelet, 2014,
p. 363), la notion de représentation a vite dépassé ses frontières en devenant transversale
parce que, présente et travaillée dans plusieurs domaines (sociologie, anthropologie,
psychologie sociale, éducation, didactiques des langues, sciences du langage, etc.). Ceci
amène Moore (2001, p. 10) à considérer les recherches sur les représentations, dans
l’actualité, comme étant « pluriformes et polyandres ». En effet, l’intérêt que nous leur
portons dans cette recherche, axée sur l’enseignement du FLE, est une preuve en ce sens.
Avant de définir ce que sont les représentations sociales, examinons avec Jodelet
(ibidem, p. 368) ce que signifie l’acte même de représenter. En effet, selon l’auteure, du verbe
« représenter » il faut comprendre deux significations ou interprétations : tout d’abord, le sens
de « tenir lieu de, être à la place de ». Ainsi toute représentation est-elle la reproduction
mentale de quelque chose qui peut être un objet, une personne, un événement, une idée, etc.
Ensuite, représenter signifie aussi, selon Jodelet (idem), « re-présenter, rendre à l‟esprit, la
conscience », c’est-à-dire la reproduction mentale d’autre chose : personne, événement
matériel ou psychique, idée, etc. Autrement dit, la représentation est toujours « un contenu
mental concret d‟un acte de pensée qui restitue symboliquement quelque chose d‟absent, qui
rapproche quelque chose de lointain ».
Selon, Jodelet (ibidem, p. 306), les représentations sont, globalement, «une forme de
pensée sociale » qui se présente sous des formes variées, plus ou moins complexes et elles
correspondent, simultanément, à quatre types de connaissances :
i. Une forme de connaissance sociale, parce qu’elles constituent une manière
d’interpréter et de penser notre réalité quotidienne. Et, corrélativement,
l’activité mentale déployée par les individus et les groupes pour fixer leur
position par rapport à des situations, événements, objets et communications qui
les concernent ;
ii. Une connaissance spontanée, naïve ou de sens commun, parce qu’elles
concernent au premier chef, la façon dont nous, sujets sociaux, appréhendons
les événements de la vie courante, les données de notre environnement, les
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informations qui y circulent, les personnes de notre entourage proche ou
lointain ;
iii. Une connaissance socialement élaborée et partagée, parce que celle-ci se
constitue à partir de nos expériences mais aussi des informations, savoirs,
modèles de pensée que nous recevons et transmettons par la tradition,
l’éducation, la communication sociale ;
iv. Et enfin, c‟est une connaissance pratique parce que, sous ces multiples aspects
elles visent à maîtriser l’environnement, comprendre et expliquer les faits et
idées qui meublent notre univers de vie ou y surgissent, agir sur et avec autrui,
nous situer à son égard, répondre aux questions que nous pose le monde, savoir
ce que les découvertes de la science, le devenir historique signifient pour la
conduite de notre vie.
En synthèse de ces quatre formes de connaissances, Jodelet (ibidem, pp. 367-368)
définit ainsi les représentations :
« […] une forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun, dont les
contenus manifestent l’opération de processus génératifs et fonctionnels socialement
marqués. Plus largement, il désigne une forme de pensée sociale. Les représentations
sont des modalités de pensée pratique orientées vers la communication, la
compréhension et la maîtrise de l’environnement social, matériel et idéel ».
Décrites et définies de cette façon, les représentations revêtent une grande importance
chez les individus et les groupes parce qu’elles participent à tous les niveaux de leur vie et de
leur existence. Leur lien avec l’identité, que nous aborderons ci-dessous lorsque nous
décrirons, entre autres, comment elles participent à la construction et à la négociation de
l’identité, est la preuve, nous semble-t-il, de cette grande importance.
À ce propos, Herzlich (1972, p. 309) considère que les représentations constituent
« l‟effort pour assimiler un discours, partager une expérience étrangère, ou, au contraire,
pour maintenir la distance et préserver l‟autonomie de sa vision propre » ; et elles sont pour
« chaque groupe, appropriation du monde extérieur, recherche d‟un sens dans lequel pourra
s‟inscrire son action ». Ainsi, pouvons-nous dire que les représentations déterminent les
relations, les conduites, les attitudes et les comportements d’un sujet/acteur social en rapport
avec un objet (humain ou non). Tout peut faire l’objet d’une représentation. En effet, comme
nous pouvons le constater dans l’expression « quelque chose », les représentations ne portent
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pas seulement sur les humains, elles portent également sur des thèmes, des théories, des
pratiques et, enfin, sur des objets de toutes sortes. La didactique des langues et cultures offre
un bel exemple, à ce propos, parce que les deux existent à la fois : représentations de quelque
chose d’humain - les locuteurs de la langue et de quelque chose non-humain - la langue et la
culture elles-mêmes.
D’ailleurs, les auteurs ayant contribué au développement de la notion en psychologie,
ont basé leurs études sur des thèmes ou des disciplines : la psychanalyse pour Moscovici
(1961) ; la santé, la maladie et le corps humain pour Herzlich (1969 et 1976), pour ne citer
que quelques exemples. Le livre dirigé par Abric, (1994) « Pratiques sociales et
représentations » est une illustration supplémentaire de l’étendue de la notion de
représentation dans différents domaines. Dans cet ouvrage, il est question des représentations
de la fonction d’infirmière, du sida, du commerce de l’artisanat et du changement
technologique en entreprise. En ce qui nous concerne, nous étudierons les représentations de
l’approche interculturelle en tant que pratique et principe d’enseignement et d’apprentissage
d’une langue étrangère chez les enseignants de FLE au Mozambique, nous y reviendrons.
Toutefois, les représentations ne constituent pas le thème central de cette recherche, elles ne
sont qu’un moyen d’analyse des pratiques d’enseignement.
Il importe de remarquer que chez Durkheim (1968) la notion de représentation a été
évoquée sous la dichotomie : représentations individuelles vs représentations collectives.
D’après lui (1968, p. 609), l’opposition entre les deux types pouvait être induite par le critère
de stabilité. Ainsi, les représentations collectives se caractérisent-elles par leur stabilité (parce
que « les événements d‟une suffisante gravité réussissent à affecter l‟assiette mentale de la
société »), tandis que les individuelles se distinguent par leur instabilité (parce que
« l‟individu est sensible à de faibles changements qui se produisent dans son milieu interne et
externe »).
Cependant, Moscovici (2003, p. 99), tout en s’appuyant sur la théorie de Durkheim,
remet en cause l’adjectif collectif et le remplace par un autre : social. D’après lui, ce
changement/remplacement est motivé par le fait qu’il était nécessaire de « faire de la
représentation une passerelle entre le monde individuel et le monde social et l‟associer
ensuite à une société qui change ». On assiste également à la disparition de la notion de
représentations individuelles. En effet, dans les travaux postérieurs, notamment ceux de
Moscovici (1961 et suivants), Abric (1976 et suivants) et Jodelet (1989 et suivants), entre
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autres, il est seulement question de représentations sociales. Selon Moscovici (2003, p. 99),
c’est la remise en cause du critère de stabilité qui fait disparaître le caractère individuel des
représentations. D’après lui, « en reconnaissant que les représentations sont à la fois
générées et acquises, on leur enlève ce côté préétabli, statique […] » et, comme pour étayer
son propos, il évoque le constat de Condol (1982, p. 2) qui affirmait « ce qui permet de
qualifier de sociales les représentations, ce sont moins les supports individuels ou groupaux
que le fait qu‟elles soient élaborées au cours du processus d‟échanges et d‟interactions ».
Cette idée est à mettre en relation avec les raisons qu’avance Abric (1994, p. 18) pour
qualifier les représentations de système simultanément sociocognitif (donc cognitif et social)
et contextualisé. Selon l’auteur, la représentation est tout d’abord cognitive parce qu’elle
suppose un sujet actif, dotée d’une « texture psychologique » et, ensuite, elle est sociale parce
que le fonctionnement de ces processus cognitifs dépend des conditions sociales d’élaboration
ou de transmission d’une représentation. Enfin, la représentation est un système contextualisé
parce qu’elle émane en grande partie de la situation d’interaction.