• Aucun résultat trouvé

Chapitre III – L’identité et les représentations : deux notions associées à l’interculturel

3.1. L’identité : définir, analyser et comprendre ses rapports à l’approche interculturelle

3.1.4. Les rapports entre l’identité et l’altérité

Pour mieux cerner les rapports entre identité et altérité, nous proposons ci-dessous

d’examiner certaines citations empruntées à différents auteurs et de les commenter par la

suite. Cette démarche peut rendre plus lisibles les rapports entre identité et altérité même si

l’aspect « catalogue de citations » peut être critiquable.

Ricœur (1990, p. 14), décrit le rapport entre identité et altérité de la manière suivante :

« Soi-même comme un autre suggère d‟entrée de jeu que l‟ipséité du soi-même implique

l‟altérité à un degré si intime que l‟une ne se laisse pas penser sans l‟autre, que l‟une passe

plutôt dans l‟autre, […] ».

Selon Charaudeau (2005) « le problème de l‟identité commence quand on parle de soi.

Qui suis-je ? Celui que je crois être ou celui que l‟autre dit que je suis ? Moi qui me regarde

ou moi à travers le regard de l‟autre ? Mais quand je me regarde, puis-je me voir sans un

regard extérieur qui s‟interpose entre moi et moi ? N‟est-ce pas toujours l‟autre qui me

renvoie à moi ? ».

Colin (2011, p. 53) exprime cette relation comme suit : « un moi ne se pose en tant

qu‟identique à lui-même – donc dans un temps relié – que dans son contact avec un monde

non moi ; un non-moi constitué d‟objets. Il se pose dans l‟identité de sa différenciation ».

Quant à Abou (1981, p. 31), pour lui « le problème de l‟identité en général ne surgit

que là où apparaît la différence. Le problème de l‟identité ethnique ne surgit que lorsque le

groupe ethnique entre en contact avec d‟autres groupes et que des systèmes de valeur

correspondants s‟affrontent ».

Par ailleurs, Colin (idem), dans un autre passage affirme que « la notion d‟identité ne

peut pas être séparée de celle d‟altérité dont elle tire sa légitimité ».

Enfin, pour Abdallah-Pretceille (1999, p. 8), « la maîtrise de sa propre identité intègre

l‟Autre comme élément constitutif et, systématiquement, la relation positive à l‟altérité repose

sur l‟assomption par chacun, de son unicité, c‟est-à-dire de sa subjectivité».

Nous pourrions continuer cet exercice et multiplier les citations en évoquant d’autres

auteurs mais nous ne saurions pas exhaustifs et ce serait peut-être sans grande importance

parce que nous arriverions au même résultat. En effet, organisées de cette façon, des plus

99

complexes et plus philosophiques (Ricœur et la première de Colin) aux plus simples

et/accessibles (la deuxième de Colin, Abou et Abdallah-Pretceille) et, enfin, la manière dont

Charaudeau nous invite à réfléchir sur ce qui donne sens à l’existence d’un être à partir des

questions qu’il pose, les citations véhiculent toutes la même signification et poursuivent le

même but (chose rare, parfois, pour des termes en sciences sociales). Les six citations

présentées ci-dessus, chacune à sa manière, mettent en exergue les liens d’implications

réciproques entre identité et altérité. À partir d’elles, nous comprenons que la perception et la

prise de conscience de l’identité d’un individu ou d’un groupe n’est possible que par la

confrontation avec celles d’autres individus ou groupes. Dès lors, identité et altérité

deviennent indissociables et interdépendantes parce que la première ne prend de sens que dans

son rapport à la seconde. En effet, d’après Lipiansky (1993, p. 7), l’identité est une notion

paradoxale dans la mesure où « elle implique, simultanément, semblables et différents ou

unique et pareil aux autres […] et recouvre en elle la dialectique entre le même et l‟autre».

En ce sens, poursuit l’auteur (idem), la définition de l’identité oscille entre altérité radicale et

similarité totale.

La citation de Charaudeau (2009, p. 7), ci-dessous, est, nous semble-t-il, très éclairante

à ce sujet car l’auteur évoque l’importance de la perception de la différence pour la

construction de l’identité considérant la première comme l’un des mécanismes de construction

identitaire. En effet, pour cet auteur :

« Il n’y a pas de prise de conscience de sa propre existence sans perception de l’existence d’un autre qui soit différent. La perception de la différence de l’autre constitue d’abord la preuve de sa propre identité. C’est le principe d’altérité. C’est cette différence de l’autre qui m’oblige à me regarder en me comparant à lui, en cherchant à détecter les points de ressemblance et de différence ; sinon comment percevoir des traits qui me seraient propres ? Il est différent de moi, donc je suis différent de lui, donc j‟existe ». (Souligné par l’auteur).

C’est sous ce postulat qu’identité et altérité trouvent leurs places dans les cours de

langues dans une perspective interculturelle parce que d’après Abdallah-Pretceille (idem),

« l‟interculturel repose sur un principe simple : l‟Autre est à la fois identique à moi et

différent de moi ». Cette hypothèse, introduite en didactique des langues, signifierait que

l’apprentissage d’une langue et d’une culture étrangères devrait permettre à l’apprenant

d’entrer en contact avec des pratiques culturelles différentes de la sienne afin que, par ce

100

contact, il prenne conscience de ses caractéristiques (propres et communes à d’autres

groupes), donc de ce qui forme son identité.

3.1.4.1. La subjectivité dans l’approche interculturelle

L’analyse et la compréhension des rapports entre identité et altérité peuvent se faire,

également, à travers la notion de subjectivité. Cette dernière, selon Benveniste (1966, pp.

259-260), est « la capacité du locuteur à se poser comme "je" » et se définit « non par le sentiment

que chacun éprouve d‟être soi-même […] mais comme l‟unité psychique qui transcende la

totalité des expériences vécues qu‟elle assemble et qui assure la permanence de la

conscience ». En effet, Benveniste (ibidem, p. 260) considère que « la conscience de soi n‟est

possible que si elle s‟éprouve par contraste » car on emploie le « "je" qu‟en s‟adressant à

quelqu‟un, qui sera dans l‟allocution un "tu" ». Bien que posée dans une perspective

linguistique cette théorie n’est pas indifférente à la question de l’identité dans son rapport à

l’altérité. D’ailleurs, comme nous avons pu le remarquer, l’identité est aussi définie comme la

conscience de soi. Ainsi, Benveniste (idem), considère-t-il qu’un rapport d’indissociabilité et

d’implication réciproque existe entre les deux entités parce que le « "je" pose une autre

personne, celle qui, toute extérieure qu‟elle est à "moi", devient mon écho auquel je dis "tu"

et qui me dit "tu" ».

En s’inspirant, très probablement, de cette conception de la subjectivité,

Abdallah-Pretceille, (ibidem, p. 54), lui accorde une grande importance dans l’interculturel parce que,

selon elle, l’interculturel « est fondé sur une philosophie du sujet, c‟est-à-dire sur une

phénoménologie qui construit le concept de sujet comme être libre et responsable, inscrit

dans une communauté de semblables ». Toutefois, Abdallah-Pretceille (ibidem, p. 55) précise

que la subjectivité dont il est question ici ne doit pas être confondue avec l’individualisme ou

l’égoïsme, la subjectivité dans l’interculturel étant une prise en compte du caractère

relationnel et multipolaire du sujet lié à la dialectique identité/altérité. Autrement dit, il s’agit

de prendre conscience que l’interculturel analyse ce qui se passe dans l’interaction entre un

locuteur « Je » et son allocutaire « Tu ». Ainsi, selon Abdallah-Pretceille, (1999, pp. 57-58),

l’objectif de l’approche interculturelle n’est pas

« d‟identifier autrui en l‟enfermant dans un

réseau de significations, ni d‟établir une série de comparaisons sur la base d‟une échelle

ethnocentrée. L‟accent est mis sur les relations entre les individus plus que sur les cultures

prises comme des entités homogènes ».

101

Pour Demorgon et Lipiansky, (1999, p. 6), dans les relations interculturelles c’est la

relation à l’autre qui prime parce que « l‟importance d‟autrui, non pas en opposition mais en

interférence avec le sujet, constitue un axe privilégié des méthodes d‟investigation de la

communication, de la négociation ainsi que de la gestion des conflits entre groupes et

individus ». C’est parce que l’autre est pris en compte que l’approche interculturelle porte sur

l’analyse des relations et des interactions. Ainsi, selon Abdallah-Pretceille (ibidem, pp.

58-59), la prise en compte du caractère relationnel de l’interculturel interdit de justifier toute

relation négative entre deux sujets comme étant due à la différence culturelle. En effet, la

perspective interculturelle ne vise pas une connaissance académique des cultures mais la

compréhension des rapports entre les individus dont l’une des caractéristiques est le fait d’être

étrangers. Il est fondamental de prendre en compte les relations parce que, entre autres, les

individus ne sont pas des représentants incontestables de leur culture, autrement dit, un

individu n’est pas la reproduction complète ou une copie de toutes les caractéristiques d’une

culture ; ses actes ne peuvent pas être systématiquement imputés à son appartenance

culturelle.

D’après Vieille Gros-Jean (2012, p. 77), puisque l’interculturel suppose faire face à

l’autre (donc à la différence), son grand pari est de « traverser cette différence ».

L’interculturel pris dans cette perspective nous invite à admettre que

« la culture et l‟altérité

puissent se conjuguer, comme deux mots dont l‟énonciation tout d‟abord doit être porteuse de

sens, et comme deux choses, révélant deux entités ou deux ensembles, une dualité perceptible

en attitudes et comportements, en inspirations et aspirations ». Nous pouvons donc conclure

que dans l’interculturel on accorde une place privilégiée au sujet, non pas pour renforcer son

égoïsme et son ethnocentrisme mais pour traiter de ses relations à l’Autre. C’est en ce sens

que la notion d’altérité devient aussi une notion annexe à l’interculturel, tout comme celles de

culture, d’identité et de représentations mentionnées ci-dessus.

Dans la définition de l’identité sociale que propose Lipiansky (cf. 1992), la notion de

représentation apparaît trois fois, ce qui lui confère un certain lien avec la notion d’identité, en

particulier, et avec l’interculturel, en général. Ci-dessous, nous aborderons cette notion et

d’autres qui lui sont annexes afin de comprendre leur lien à l’interculturel, de façon générale

et à l’enseignement des langues et cultures étrangères, plus particulièrement.

102