Chapitre IV - L’interculturel : conceptions, usages et méthodes d’approche
4.7. L’évaluation de la compétence interculturelle en classe de langue
Selon Dervin (2007, p. 99), l’introduction de l’approche interculturelle dans le
domaine de l’enseignement des langues comme objectif didactique « sous-entend développer
des moyens de s‟assurer de son acquisition », autrement dit il faut s’assurer qu’il est possible
de l’évaluer. En ce sens, il est indispensable d’identifier les méthodes adéquates de son
évaluation afin que son intégration dans le contexte éducatif soit effective. En effet, Sercu
(2004, p. 73) considère que dans l’enseignement des langues étrangères, l’évaluation de la
compétence interculturelle ne doit pas être sous-estimée car elle est importante pour toutes les
parties concernées, dans la mesure où « les apprenants veulent savoir s'ils font des progrès
adéquats et dans quels domaines des améliorations sont nécessaires […] et les enseignants
veulent savoir si leurs apprenants apprennent réellement ce qu'ils enseignent ». D’après cette
auteure (idem), l’évaluation a des conséquences qui vont au-delà de cet acte dans la mesure où
elle peut déterminer les comportements et les actions des acteurs en classe et au-delà. Ainsi,
les apprenants ont-ils tendance à ne pas prêter attention à ce qui n'est pas évalué tandis que les
parents attendent de voir le progrès de leurs enfants documenté et, enfin, cela oriente aussi le
travail des enseignants dans la mesure où ils « ont tendance à enseigner ce qui sera
testé/évalué ».
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Il est donc tout à fait justifié et nécessaire de nous intéresser aux modalités
d’évaluation de la compétence interculturelle parce que comme l’explique l’auteure supra,
l’évaluation est au cœur du processus d’enseignement-apprentissage, en général, et des
langues en particulier. Cependant, aborder les modalités d’évaluation de la compétence
interculturelle n’est pas une tâche facile, en témoignent d’ailleurs les réserves et les mises en
garde des auteurs tels que Byram, Zarate & Neuner (1997), Byram (1997), Dervin (2007) et
Sercu (2004) qui, tous, considèrent que malgré l’importance de l’approche interculturelle en
classe, l’évaluation de celle-ci reste une tâche très délicate, voire même impossible, pour
certains.
D’après Byram, Zarate & Neuner (1997, p. 11), les raisons qui expliquent une telle
délicatesse sont les suivantes : la première est que « la description des compétences culturelles
dans l’apprentissage des langues fait appel à une interaction entre des disciplines récentes telles
que la sociologie et l’anthropologie » ; la seconde tient au fait que « l’évaluation qualitative qui
est privilégiée pour l’évaluation de cette compétence va à contre-courant de la tradition
éducative qui fonctionne spontanément sur une évaluation quantitative des connaissances » ; et,
troisièmement, parce que « toute évaluation de l'apprentissage susceptible de refléter la
personnalité des apprenants ou leur développement psychologique dans des domaines autres
que cognitifs soulève la question de la responsabilité éthique ou morale ».
Ces préoccupations vont dans le même sens que celles formulées par Dervin (2007, p.
104) considérant que, au vu, des définitions de la compétence interculturelle proposées par
différents auteurs, l’évaluation de celle-ci semble impossible. Quelques années auparavant
Dervin (2004, p. 6) soutenait cette même idée en affirmant, par exemple que « les différents
savoirs de la compétence proposés par Byram (1997) ne sont pas véritablement observables
dans les comportements ou mieux dans des modifications de comportements des sujets » ; il
considérait que l’acquisition de certains de ces savoirs n’était pas quantifiable, autrement dit
certaines des composantes de la compétence interculturelle ne pouvaient pas, a priori, faire
l’objet d’une évaluation. Pour étayer davantage son positionnement Dervin (idem), prend la
définition de l’interculturel proposée par Sercu (2005, p. 2)
43et démontre, à partir d’elle, que
l’expression « the willingness to engage with the foreign culture» que l’on trouve dans cette
43 The willingness to engage with the foreign culture, self-awareness and the ability to look upon oneself from the outside, the ability to see the world through the others’ eyes, the ability to cope with uncertainty, the ability to act as a cultural mediator, the ability to evaluate others’ points of view, the ability to consciously use culture learning skills and to read the cultural context, and the understanding that individuals cannot be reduced to their collective identities.
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définition peut poser deux problèmes : le premier, « comment prouver l‟authenticité de cet
enthousiasme chez un individu ? », parce que, selon l’auteur, l’individu peut tout à fait faire
semblant ; et le second, se demande l’auteur « est-il possible/éthique d‟évaluer le point de
vue de l‟Autre, comme le suggère la définition ("the ability to evaluate others‟ point of
view")».
À ces difficultés et ces réserves viennent s’ajouter des exigences d’ordre
méthodologique de l’acte même d’évaluer, notamment la nécessité de respecter certains
paramètres pour qu’une évaluation soit considérée réussie. Le nombre de ces paramètres variant
d’un auteur à l’autre nous avons retenu ceux proposés dans le CECR (2001, pp. 135-136) : la
validité, la fiabilité et la faisabilité. Nous avons retenu les paramètres du CECR parce qu’ils
constituent tout d’abord une synthèse de tout ce que disent la plupart des chercheurs en la
matière, comme l’affirme Luodonpää (2007, p. 23) « ces trois concepts sont traités par la
plupart des chercheurs ». Nous avons pris en compte également la légitimité et l’influence dont
bénéficie le CECR dans ce domaine. Ci-dessous nous présentons brièvement chacun des
paramètres, selon le CECR (idem) :
La validité - La procédure d’un test ou d’une évaluation peut être considérée comme
valide lorsque l’on peut démontrer que ce qui est effectivement testé est ce qui, dans le
contexte donné, doit être évalué et que l’information recueillie donne une image exacte de la
compétence des candidats en question. Cela signifie qu’une évaluation valide est directement
liée aux objectifs d’apprentissage et aux finalités de l’activité de mesure. Par conséquent, une
évaluation donnée peut être valide pour certains usages mais pas pour d’autres.
La fiabilité (appelée également fidélité) – il s’agit de la mesure selon laquelle on
retrouvera le même classement des candidats dans deux passations (réelles ou simulées) des
mêmes épreuves. Selon le principe de fidélité, l’appréciation, dans un domaine particulier, de
la compétence ou performance de l’apprenant du point de vue de la notation doit toujours
rester la même, bien qu’elle soit faite à des moments différents, ou bien qu’elle soit réalisée
par des personnes différentes.
À propos du paramètre de fidélité, Luodonpää (ibidem, p. 25) considère que celui-ci est
lié au paramètre de validité, toutefois elle souligne qu’ils ne sont malheureusement pas toujours
réunis dans les évaluations. L’auteure démontre cela à l’aide de deux types d’évaluation dans le
domaine de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères. Selon elle (idem) :
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« Les tests à choix multiples sont le plus souvent fidèles, mais ils sont rarement valides pour mesurer la performance linguistique de l’apprenant. Les tests de production orale ou écrite, par contre, sont considérés plus valides pour atteindre ce but, mais leur problème constant est la subjectivité de la correction ».
La faisabilité - est un point essentiel de l’évaluation. Les examinateurs ne disposent
que d’un temps limité, ils ne voient qu’un échantillon borné de performances et, en outre, il
existe des limites au nombre et à la nature des catégories qu’ils peuvent manipuler comme
critères. Pour conférer ce paramètre à une évaluation, il faut que l’évaluateur prenne en
compte la situation ou contexte dans lequel se réalise l’évaluation, il faut surtout s’interroger
sur le temps disponible en relation directe avec le nombre d’apprenants, la performance à
évaluer, le type d’apprenants et la disponibilité du matériel pour la réalisation de l’évaluation.
Avec cette brève description des paramètres d’une évaluation réussie, nous avons pu
constater que ces trois paramètres sont interdépendants et doivent tous, dans le meilleur des
cas, être réunis dans chaque évaluation. La question qui peut se poser est de savoir si cela est
toujours possible car nous avons vu avec l’exemple des tests à choix multiples démontrant un
haut niveau de fiabilité que, malheureusement, ils n’étaient pas valides pour mesurer la
compétence linguistique des apprenants. Il semble donc que ces critères soient, en quelque
sorte, un idéal qui serait difficilement atteint, voire jamais. En témoigne pour cela l’exercice
effectué par Sercu (ibidem, pp. 85 - 87), dans lequel elle a appliqué les critères ou paramètres
d’une évaluation réussie à deux types de tests
44: the traditional multiple-choice knowledge
quiz et a test task in which the test-takers are instructed to „decode the cultural references in
the text.
Les résultats de cet exercice sont, en quelque sorte, décourageants parce que nous
découvrons que pour les deux types de tests les paramètres d’une évaluation réussie sont
majoritairement bas (low) et atteignent au maximum le niveau moyen (medium) seulement
avec des apprenants de niveau élevé ou très élevé donnant ainsi l’idée que l’évaluation de la
compétence interculturelle ne peut jamais se faire dans le respect des paramètres d’évaluation.
Par conséquent, la difficulté de mise en place de l’approche interculturelle est double car,
d’une part, existent les difficultés concernant sa mise en place et, d’autre part, demeurent
celles concernant la vérification des résultats de cet exercice.
44 Selon Sercu (2004, p. 85), ces deux types de tests sont ceux couramment utilisés dans le domaine de l’enseignement-apprentissage des langues – cultures étrangères.