Chapitre III – L’identité et les représentations : deux notions associées à l’interculturel
3.4. Les préjugés
3.2.4. Les représentations sociales en didactique des langues
3.2.4.1. Les démarches d’exploitation des représentations en classe de langue
Partant d’une définition de la classe de langue comme « le lieu où les représentations
de la culture nationale et étrangère sont mises à jour, analysées et objectivées », Zarate
(1986, p. 62), quelques années plus tard Zarate (1993, pp. 75-99), propose une approche des
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représentations en classe de langue en trois étapes que nous nous proposons de décrire
ci-dessous.
Première étape - Le diagnostic initial des représentations, (Zarate, 1993, p. 76), cette
étape peut avoir lieu dans « tout groupe-classe avec lequel l‟enseignant prend contact pour la
première fois » et consiste à recenser les représentations disponibles et à évaluer leur
pertinence. Diagnostic parce qu’elle orientera, en principe, la conception et le déroulement du
cours. (ibidem, p. 75). Selon Zarate (1993, p. 76), le diagnostic des représentations initiales
peut être fait à partir d’un test d’association de mots consistant à demander aux élèves de
produire, dans un temps bref, dans leur langue maternelle successivement deux listes de cinq
mots chacune: l’une sur les « mots spontanément associées au (x) pays dont on étudie la
langue » et l’autre sur des « termes associés aux habitants de ce (s) pays ». Cet exercice
individuel précède une phase de synthèse collective. Pour l’auteur, il est important de
conserver les résultats de cette synthèse qui serviront de point de départ à l’évaluation finale
du cours et à la mensuration de l’évolution des représentations initiales. Cette étape
correspond aux méthodes de recueil de représentations appelées « méthodes associatives »
chez Abric (1994, p. 81).
Pour l’exploitation des résultats de ce diagnostic Zarate (idem) propose trois modèles
(Voir les détails de chacun de ces types d’exploitation en annexe 1 pages 314-317) : le
premier modèle d’exploitation est proposé par l’auteure elle-même, le deuxième et le
troisième sont empruntés, respectivement, à Beacco et Lietaud (1985, p. 8) et Cain (1988, pp.
26 - 27). Toutefois, elle établit une différence entre le premier modèle d’exploitation et les
deux derniers. Selon elle, ceux d’autres auteurs sont davantage thématiques et concernent un
public avancé tandis que le sien est centré sur l’évaluation qualitative des représentations
initiales de la culture enseignée.
Deuxième étape – Apprendre à analyser les effets de la stéréotypie et à en analyser le
fonctionnement. Il s’agit d’une étape que l’auteure (ibidem, p. 79) qualifie de réflexive dans la
mesure où elle vise à analyser « comment ces représentations stéréotypées ont été
construites » et à comprendre les expériences ayant induit leur intériorisation. Ces analyses
doivent permettre aux élèves de revenir individuellement sur leurs expériences personnelles,
de réfléchir collectivement sur « les mécanismes d‟imposition des stéréotypes dominants » et
de comprendre, enfin, que les stéréotypes renvoient implicitement davantage à la culture
locale qu’à la culture de la langue qu’ils étudient. L’auteure (ibidem, p. 84) propose comme
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supports d’analyse les guides touristiques, les extraits de magazines de mode présentant un
pays étranger, les caricatures de presse, les journaux télévisés ou encore d’analyser les
stéréotypes d’un même pays véhiculés dans différents contextes.
Cependant, dans le contexte du Mozambique, où la plupart des supports proposés
ci-dessus ne sont pas accessibles au plus grand nombre d’écoles et d’élèves, il peut être difficile
de mettre en place cette phase. Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’enseignement
du FLE au Mozambique est essentiellement centré sur la grammaire. Hélas, ainsi que nous le
verrons un peu plus loin, les élèves n’ont pas accès aux manuels, même dans les grandes
villes, et ont pour seule source d’information l’enseignant et les notes qu’il inscrit au tableau.
La plupart des élèves n’ont pas accès aux journaux télévisés, aux guides touristiques, aux
magazines que l’auteure propose ici et n’ont pas la possibilité de naviguer sur internet car,
même s’ils se trouvent dans les zones connectées, il n’est pas sûr qu’ils aient les moyens de
payer un forfait, l’internet étant relativement chère et inaccessible au plus grand nombre
d’habitants.
Troisième étape – apprendre à relire la relation au réel. Cette étape, naturellement,
s’inscrit en complément des deux autres, voire même comme la fin ultime du travail sur les
représentations en classe de langues étrangères. Selon Zarate (ibidem, p. 91), il s’agit, en gros,
d’apprendre à l’élève à « remettre en question l‟évidence des rapports sociaux, démontrer les
procédés sur lesquels se fonde l‟exercice du pouvoir, analyser les prises de position à travers
lesquels s‟actualisent les mécanismes d‟imposition symbolique ». Autrement dit, il s’agit de
permettre aux élèves de porter un regard à la fois critique et de leur apprendre à relativiser
leurs représentations, nationales ou étrangères, c’est-à-dire leur faire prendre conscience que
les catégories attribuées aux autres (étrangers) sont « dépendantes des représentations
sociales de ceux qui les produisent » (Zarate, ibidem, p. 96). Cette idée est aussi soutenue par
Lipiansky (1996, p. 17) quand il affirme que « la perception de l‟autre est toujours
relationnelle, c‟est-à-dire qu‟elle n‟implique pas seulement le sujet perçu, mais aussi le sujet
percevant et la relation qui s‟établit entre eux ». Par ailleurs, elle trouve un certain écho dans
ce que disait Klineberg (cf. 1951) à propos de l’une des fonctions des stéréotypes - orienter le
sens des relations intergroupes.
Les trois étapes de traitement des représentations en classe de langue dans la
perspective de Zarate (cf. 1993) font état d’une certaine ressemblance avec l’approche des
représentations des rencontres interculturelles proposée par Lipiansky (1996, p. 23). Même si
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ce dernier formule ces propositions à destination de ceux qui travaillent dans un contexte de
rencontre interculturelle effective dans le cadre de l’observation des rencontres de l’Office
franco-allemande pour la Jeunesse, différent par définition de la classe de langue étrangère
qui est un contexte de rencontre interculturelle in absentia. Ainsi, la première étape qu’il
propose est décrite comme étant « d‟expression, dans un climat exempt de jugement, des
stéréotypes, des préjugés et des représentations mutuelles » ; elle correspond, en quelque
sorte, à l’étape de l’association des mots (cf. Zarate, 1993). L’auteur considère, en effet, cette
étape comme étant nécessaire parce qu’elle permet de travailler sur des éléments concrets
dans la mesure où « il n‟est possible de travailler que sur des représentations exprimées ».
Enfin, la classe de langue de Zarate (1993) ou l’apprentissage interculturel de
Lipiansky (1996) doivent viser l’exposition, l’analyse, l’interprétation et la compréhension
des mécanismes sous-jacents à la formation des représentations, des stéréotypes et des
préjugés sans être le combat des deux derniers parce que, selon Lipiansky (ibidem, p. 22),
cette démarche serait contreproductive dans la mesure où, d’une part, elle conduirait à leur
dissimulation et non à leur élimination et, d’autre part, parce qu’il ne faut pas négliger la
fonction qu’ils remplissent dans la vie de l’acteur social (individu ou groupe). L’auteur
(ibidem, p. 24) va plus loin et considère que telle démarche va à l’encontre même de la
formation interculturelle qui repose :
« Plutôt sur un principe "dissociatif" dans le sens où elle s'adresse à un public marqué par l'hétérogénéité culturelle, où elle cherche à instaurer une communication fondée sur la différence ; dans le sens aussi où elle réclame un travail de "déconstruction" des préjugés, des stéréotypes, mais aussi des idéologies universalistes et des identités nationales ».