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Chapitre IV - L’interculturel : conceptions, usages et méthodes d’approche

4.1. L’interculturel : origine et définitions

4.1.2. La place de l’interculturel par rapport au multiculturalisme et au transculturel

4.1.2. La place de l’interculturel par rapport au multiculturalisme et au transculturel

Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, l’interculturel est né en France à propos de

la scolarisation des enfants des migrants. Cependant, il apparaît dans un contexte où d’autres

politiques ou idées (notamment aux Etats-Unis) proposent une certaine philosophie de gestion

de la diversité culturelle, comme tel est le cas des termes multiculturel, pluriculturel et

transculturel. Ainsi, pour être crédible, l’interculturel devrait-il non seulement expliquer ses

principes mais aussi, et surtout, se démarquer d’autres notions existantes en démontrant le

bien-fondé de cette nouvelle notion. C’est pourquoi nous jugeons nécessaire, dans cette

recherche, de procéder à une brève description de ces trois notions ou de cette triade qui a

intéressé plus d’un auteur ; l’un d’entre eux étant Demorgon (2004 et 2005) dont nous

présenterons et commenterons son avis sur ces trois notions.

À propos du multiculturalisme Demorgon (2005, p. 155) le définit en citant Charles

Taylor selon lequel « le multiculturalisme est une politique de reconnaissance de la culture de

l‟Autre et de son droit à pouvoir la manifester sous ses multiples dimensions privées et

publiques ». Selon lui (idem), « le multiculturalisme entraine tout un ensemble de conduites

sociales et juridiques qui visent à compenser les situations défavorables de certaines

populations culturellement et politiquement minoritaires ». En ce sens, cet auteur considère le

multiculturalisme comme un acte de « discrimination positive qui cherche à rééquilibrer des

injustices de la vie quotidienne ».

Enfin, pour Demorgon (2005, p. 156), « une situation multiculturelle et

multiculturalisme représentent bien des dimensions irréductibles mais insuffisantes de

l‟équilibration des relations entre populations culturellement différentes » car le

multiculturalisme fait un état des lieux des cultures en présence et n’avance pas la possibilité

d’une cohabitation égalitaire. Cette dernière caractéristique va dans le sens

d’Abdallah-Pretceille (1999, p. 37) qui soutient que « le multiculturalisme, tout en reconnaissant les

différences, s‟arrête en fait à une structure de cohabitation, de coprésence, des groupes et des

individus », partageant ainsi l’idée que le simple constat de la diversité ne suffit pas pour gérer

les contacts entre individus appartenant à des cultures différentes, il faut aller au-delà de la

simple reconnaissance.

Nous trouvons également cette conception chez Vieille Gros-Jean, (2012, p. 84) qui

soutient la nécessité de distinguer l’interculturel des notions telles que le multiculturel, le

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pluriculturel et le polyculturel, considérant que ces trois dernières « n‟ont de dissemblance

que leur lieu de naissance », ce sont donc des synonymes pouvant être :

« Employés pour désigner le rassemblement sur un même lieu et dans un même temps d’individus ou de groupes exhibant des caractéristiques différentes – soit par naissance, origine familiale ou géographique, comme des dissemblances physiologiques (coloration et pigmentation, facières, statutaire, etc. des différences comportementales (alimentaires, vestimentaires…) ou encore des attitudes sociales – les désignant l’un et l’autre en altérité ».

Ainsi, Vieille Gros-Jean, (ibidem, p. 85) considère-t-il qu’il faut distinguer

l’interculturel des autres termes car :

« Le multiculturel ou polyculturel s’appliquent à des situations où siègent le grand nombre et l’abondance, la variété et la diversité, ils ne disent rien de la rencontre et de la confrontation, et ils n’ont d’autre utilité que le comptage et l’arithmétique. Un groupe multiculturel sera donc un ensemble identifié comme tel à cause de l’aspect diversifié des manifestations ou des productions de ses composantes dans une situation donnée. Alors que « parler en termes d’« inter » relève d’un autre rapport à la diversité et à la pluralité, et inscrit de fait dans des phénomènes ainsi décrits, des opérations de combinaison, de conjugaison et de mélange dont les effets ont des indices majeurs sur la situation, les acteurs et les systèmes ».

Cependant, Demorgon (idem) le définit comme « une troisième perspective

relationnelle » et met en garde contre toute tentative ou volonté de prendre l’interculturel

comme étant exclusif des deux autres perspectives ou meilleur qu’elles considérant que :

« L’interculturel n’est pas une autre solution, encore moins « la » solution qui pourrait ou même devrait se substituer au multiculturel ou au transculturel. Il s’agit bien plutôt de mettre en œuvre des possibilités d’évolution pour des situations multiculturelles qui le permettent. Ou encore, de tester, dans l’échange affectif, quotidien, durable, la qualité de la référence transculturelle commune, déjà constituée ou en cours de constitution ».

Dans la perspective de cet auteur, il ne s’agit pas d’opposer les trois notions mais de

considérer qu’à certains moments elles puissent être interdépendantes soutenant que

l’interculturel peut servir, par exemple, à assouplir le multiculturel, à mettre le transculturel à

l’épreuve. Comme nous pouvons le remarquer, l’auteur insiste sur le caractère non exclusif et

non supérieur de l’interculturel allant jusqu’à affirmer que celui-ci « n‟est pas le tout, ni même

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une alternative. Il n‟est que l‟une des trois perspectives de la triade ». Par ailleurs, dans une

publication précédente, Demorgon (2004, p. 25) soutenait qu’il ne fallait pas « définir ces rois

termes séparément les uns des autres » mais qu’il conviendrait de «les situer ensemble dans

deux perspectives » : l’une historique et l’autre systémique, considérant par conséquent inutile

de chercher à les opposer systématiquement parce qu’elles ont eu, chacune, leur raison d’être

à un moment précis de l’histoire.

La première perspective historique, selon l’auteur, « montre que dans des

espace-temps différents, telle ou telle de ces trois a pu primer ». Il donne pour l’exemple l’étude de

l’histoire des États-Unis qui peut montrer que la mise en place du « melting-pot », perspective

transculturelle, a précédé le primat d’une référence multiculturelle.

La seconde perspective systémique, selon Demorgon (2004, p. 26), est la conséquence

de la première parce qu’« en raison de ses fluctuations factuelles aussi bien que volontaires,

la perspective historique, conduit à poser la seconde perspective d‟ordre systémique ». Pour

cette seconde perspective il s’agit de se rendre compte que « les trois orientations

multiculturelle, transculturelle et interculturelle constituent un système adaptatif ».

Demorgon (idem) réitère le caractère de relativité et de complémentarité entre ces trois

notions en affirmant que :

« Alors que l’orientation multiculturelle ne peut que primer dans des situations où les cultures co-présentes sont, ou se perçoivent, comme radicalement différentes, l’orientation transculturel, elle, refait nécessairement surface dès qu’il y a possibilité et volonté d’unification des personnes, des groupes ou populations de cultures différentes. Et enfin, l’orientation interculturelle représente des possibilités de transition entre orientation multiculturelle et transculturelle, ou des occasions de tester, la validité du transculturel et de le remettre en cause ».

Ainsi, le plus important n’est pas de savoir quelle orientation est meilleure que telle

autre mais de comprendre laquelle répond le mieux aux besoins d’une situation donnée, il

convient finalement d’être conscient qu’elles peuvent être révélatrices de difficultés

adaptatives et qu’aucune des trois orientations, prise indépendamment, ne pourra traiter

correctement.

Enfin, en ce qui concerne le transculturel, nous remarquons que certains auteurs

comme Abdallah-Pretceille (cf. 1999) et Vieille Gros-Jean (cf. 2012) ne l’intègrent pas dans

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cet exercice de distinction. Néanmoins, Demorgon (2004) le considère comme un troisième

élément de la triade multiculturalisme, interculturel et transculturel. Selon lui (ibidem, pp.

164-165), le transculturel renvoie à trois sens : le premier « résulte du constat effectif qu‟il y a

des transferts » d‟éléments entre les cultures, autrement dit, « ce qui est transculturel, c‟est ce

qui transite d‟une culture vers une autre : une modalité alimentaire, vestimentaire, un rite

religieux, une technique peuvent être dans ce cas ». Le deuxième, « une donnée

transculturelle pénètre une multiplicité de cultures. Elle les traverse toutes et leur est

commune ». Et, enfin, le troisième sens, « le transculturel n‟appartient pas à telle ou telle

culture acquise, il constitue une donnée qui les transcende. Le transculturel concerne aussi

un idéal, une valeur qui permet aux acteurs de cultures différentes de pouvoir s‟accepter

comme faisant partie d‟un même ensemble ». Comme nous pouvons le voir c’est une notion

complexe et difficile à délimiter et c’est probablement pour cette raison que certains auteurs

ne la prennent pas en compte.

Il était, en effet, nécessaire pour notre recherche de connaître le contexte dans lequel

est apparue la notion d’interculturel et de chercher à comprendre sa différence par rapport au

multiculturalisme et au transculturel afin de mieux situer nos analyses. L’étude des points de

vue de différents auteurs nous permet de conclure que tous acceptent et reconnaissent le droit

d’exister à chacune de ces trois notions, ils admettent également que ce sont des notions

différentes puisque chacune d’elles aborde différemment la question de la diversité culturelle

tout en divergeant quant à la place de l’interculturel par rapport aux autres notions.

Toutefois, dans cette recherche, nous ne situerons pas l’interculturel en fonction de son

importance par rapport au multi- et au trans- culturel. Ainsi, nous adopterons la démarche que

propose Demorgon (cf. 2004, p. 25) en analysant et interprétant les trois notions selon les

perspectives historique et systémique, c’est-à-dire que nous devons prendre conscience

qu’elles sont apparues chacune dans des contextes différents et périodes différentes et que

chacune a eu raison d’exister dans ces conditions ; par ailleurs, il est essentiel de prendre

conscience qu’elles peuvent être complémentaires et non contradictoires.

Notre objectif ici est donc d’analyser et de comprendre la prise en compte de la culture

dans le processus d’enseignement-apprentissage du français au Mozambique. Ainsi, nous

privilégierons l’orientation interculturelle parce qu’elle est la seule à avoir donné lieu à une

approche en didactique des langues et surtout parce qu’elle est en rapport avec l’objectif

fondamental de l’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère : développer la

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compétence de communication chez l’apprenant. C’est, en effet, dans ce sens qu’elle s’est

imposée comme une démarche incontournable donnant lieu à plusieurs réflexions et débats

dans le but d’une meilleure interprétation et clarification. Ci-après nous présenterons et

discuterons successivement les types d’interculturel, les objectifs d’une approche

interculturelle et les différentes approches méthodologiques pouvant être mises en place dans

les classes de langues étrangères.