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Chapitre IV - L’interculturel : conceptions, usages et méthodes d’approche

4.5. L’interculturel en didactique des langues étrangères

4.5.1. La notion de compétence en didactique des langues

Avant d’analyser, ci-dessous, la compétence (inter)culturelle, il est important de faire

un rappel historique sur la notion de compétence dans le domaine de la didactique des langues

en la situant par rapport aux différentes méthodologies d’enseignement des langues. En effet,

dans ce domaine, la compétence interculturelle qui est l’objectif de l’approche interculturelle

ne peut pas être analysée sans l’inscrire dans l’ensemble de l’évolution des méthodologies

d’enseignement des langues étrangères et donc des compétences qui ont traversé ce domaine

tout au long de son histoire. L’enseignement des langues est de loin, nous semble-t-il, le

domaine de la didactique qui a connu le plus de changements méthodologiques par rapport à

d’autres, probablement en raison de la complexité même de l’objet langue. Nous osons, de

fait, nous interroger ici : combien y a-t-il de manières ou de méthodologies d’enseigner

l’histoire, les mathématiques, la biologie, etc. ? Probablement pas autant qu’il n’y en a pour

l’enseignement des langues. Tout individu s’intéressant aujourd’hui à la didactique des

langues étrangères sait que l’histoire de cette discipline est marquée par plusieurs méthodes

ou méthodologies d’enseignement : de la méthode traditionnelle ou grammaire traduction à

l’approche actionnelle en vogue actuellement, en passant par la méthode directe, la méthode

audio-orale, la méthode audio-visuelle et par l’approche communicative. Chacune d’elles

poursuivait un objectif particulier et s’inscrivait en opposition ou se présentait comme un

réajustement de la précédente ; Puren (1988) fait une description exhaustive de tout ce

processus d’évolution.

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Nous ferons ici une brève récapitulation de ces méthodologies et notre focus portera

sur le type de compétence visée par chaque méthodologie ou approche. Ainsi, en fonction du

type de compétence visée par chaque méthodologie, elles peuvent être classées en trois

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groupes : dans le premier nous retrouverons la méthode traditionnelle, dont la compétence

visée était la lecture et la compréhension des textes littéraires ; le deuxième comprend la

méthode directe, la méthode audio-orale et la méthode audio-visuelle. Dans ces trois

méthodes l’objectif poursuivi était la compétence linguistique par l’intermédiaire de

l’enseignement de la grammaire. Ces méthodes étaient en relation étroite avec les

changements technologiques et théorico-scientifiques de chaque époque et c’est pour cela

d’ailleurs que les deux dernières ont reçu une forte influence de la linguistique structurale et

des théories d’apprentissage de l’époque, notamment le béhaviorisme et la gestalt (pour le

côté théorique et scientifique). Notons qu’elles ont également été caractérisées par l’utilisation

d’appareils sonores (magnétophones) et audiovisuels (magnétoscopes) qui constituaient alors

des innovations technologiques.

Dans le troisième et dernier groupe, nous trouvons l’approche communicative et

l’approche actionnelle. Toutes deux, que l’on n’appelle plus méthodologies, ont le mérite de

reconnaître l’importance de la compétence linguistique, toutefois elles y ajoutent une nouvelle

dimension : la dimension culturelle ou sociale de la langue. Avec elles, l’objectif poursuivi

sera la compétence de communication et/ou la compétence à communiquer

socio-langagièrement. Nous serions donc tentés de considérer que l’approche de la culture, en

didactique des langues, ne commence qu’avec les approches communicatives et se poursuit

avec l’approche actionnelle. Toutefois, Puren (2002) en fait une interprétation différente

considérant que dans toute l’histoire des méthodologies d’enseignement des langues, la

culture a toujours été traitée d’une manière ou d’une autre, c’est d’ailleurs sur cet argument

qu’il se base pour considérer la compétence interculturelle comme une composante de la

compétence culturelle, nous y reviendrons.

Cependant, un classement plus strict et rigide ne peut donner que deux groupes. En

effet, la méthode traditionnelle, ou grammaire traduction, peut être intégrée dans le deuxième

groupe puisque les textes littéraires étaient un moyen pour que l’apprenant arrive, par la

traduction, à parler la langue étrangère, c’est-à-dire que même s’il y avait une centration sur la

traduction des textes littéraires l’objectif ultime de l’exercice était de parvenir à développer,

39 Notre classement basé sur les compétences visées par chaque méthodologie ou approche n’a été emprunté à aucun auteur.

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chez l’apprenant, une certaine maîtrise de la langue et donc une compétence linguistique. Si

nous validons et acceptons cette hypothèse, nous constatons qu’il ne reste que deux

compétences : la compétence linguistique et la compétence de communication.

De manière générale, et comme l’affirme Robert (2002, p. 30), la compétence est

définie « comme une connaissance ou une capacité reconnue dans un domaine particulier ».

Alors que dans le CECR (2001, p. 15) la compétence est définie comme « l‟ensemble des

connaissances, des habiletés et des dispositions qui permettent d‟agir ». D’après Robert

(idem), en grammaire générative « la compétence est la connaissance implicite innée que tout

individu possède de sa langue » et cette compétence est opposée à la performance qui désigne

« la manifestation de la compétence d‟un individu à utiliser les actes de parole appropriés

dans une situation de communication donnée ». Pour cet auteur, les notions de compétence et

de performance relèvent tantôt de la linguistique tantôt de la communication et du fait que la

compétence relève de ces deux domaines elle est de cette importance en didactique des

langues, parce que les deux objectifs de l’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère

consistent à faire acquérir à la fois la compétence linguistique et la compétence

communicative.

Selon Cuq (2003, p. 48),la compétence linguistique :

« Se réfère aux connaissances intuitives des règles grammaticales sous-jacentes à la parole qu’un locuteur natif idéal a de sa langue et qui le rendent capable de produire et de reconnaître les phrases correctes. Ces connaissances concernent les unités, les structures et le fonctionnement du code interne de la langue (phonologie, morphologie et syntaxe) dont l’étude sera décontextualisée, dissociée des conditions sociales de production de la parole ».

Selon cet auteur (idem), si l’objectif principal de l’apprentissage d’une langue est

formulé en termes de compétence linguistique, on donnera la priorité à des approches

didactiques qui visent la maîtrise des formes linguistiques. En revanche, il considère que la

Compétence communicative - est généralement définie en opposition à la compétence

linguistique et désigne :

« La capacité d’un locuteur de produire et interpréter des énoncés de façon appropriée, d’adapter son discours à la situation de communication en prenant en compte les facteurs externes qui le conditionnent : le cadre spatiotemporel, l’identité des participants, leur relation et leurs rôles, les actes qu’ils accomplissent, leur adéquation aux normes sociales, etc. ».

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Selon Cuq (idem), cette vision de la compétence a pour conséquence en didactique des

langues la prise en compte des connaissances outre que linguistiques comme c’est le cas de la

culture et des aspects sociaux qui, à notre avis, débouchent aujourd’hui sur des notions telles

que l’approche interculturelle et la compétence interculturelle. Si l’on se tient à la dichotomie

compétence vs performance, nous pouvons déduire que la compétence linguistique relève

plutôt de la « compétence » alors que la compétence de communication relèverait davantage

de la « performance ». Toutefois, cette dichotomie n’a pas été retenue car elle n’est mobilisée

que pour faire l’histoire de la notion de compétence parce que très vite la notion de

performance a été abandonnée au profit de celle de compétence qui s’est imposée et sert à

désigner à la fois la compétence elle-même et la performance

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.

La compétence de communication a fait l’objet de plusieurs analyses et interprétations,

toutefois elle est pour tous une compétence complexe contenant plusieurs composantes. En

effet, même si le nombre et les appellations de ses composantes varient considérablement

d’un auteur à l’autre, force est de constater qu’ils reconnaissent tous que la compétence

linguistique à elle seule n’est pas suffisante pour réussir un acte de communication et qu’elle

est, par ailleurs, une composante de la compétence de communication.

Parmi les auteurs ayant proposé des composantes de la compétence de communication,

nous pouvons faire référence à Coste (1978), Abou (1980), Moirand (1982), Boyer (1990),

Van Ek (2001), Charaudeau ( ) et bien d’autres (la liste est longue). Nous rappellerons, ici, les

composantes de la compétence de communication selon Moirand (1982, p. 20) pour qui la

compétence de communication comprend quatre composantes. Nous avons retenu la

proposition de Moirand (idem) pour trois raisons : tout d’abord parce qu’elle correspond à la

vision que nous avons de la compétence de communication, ensuite parce que cette typologie

est simple et facile à interpréter mais aussi, et surtout, du fait que les autres auteurs peuvent

s’y retrouver et, enfin, parce qu’elle répond au mieux à l’objectif de ce rappel historique qui

est de trouver et de situer les premières indications et les premiers signes de la compétence

interculturelle en didactique des langues.

Pour Moirand (idem), les quatre composantes de la compétence de communication

sont les suivantes :

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- une composante linguistique – c’est-à-dire la connaissance et l’appropriation (la

capacité à les utiliser) des modèles phonétiques, lexicaux, grammaticaux et textuels du

système de la langue ;

- une composante discursive – la connaissance et l’appropriation des différents types de

discours et de leur organisation en fonction des paramètres de la situation de

communication dans laquelle ils sont produits et interprétés ;

- une composante référentielle – c’est-à-dire la connaissance des domaines d’expérience

et des objets du monde et de leurs relations ;

- une composante socioculturelle – c’est-à-dire la connaissance et l’appropriation des

règles sociales et des normes d’interaction entre les individus et les institutions ; la

connaissance de l’histoire culturelle et des relations entre les objets sociaux.

La dernière de ces composantes donne déjà une indication et nous pouvons, de fait, en

déduire qu’avant de parler de la compétence culturelle, voire même de la compétence

interculturelle en didactique des langues, on envisageait une compétence socioculturelle

comme l’une des quatre composantes de la compétence de communication. Ainsi, nous

pouvons la considérer comme étant « l’ancêtre » de la compétence culturelle ou

interculturelle. Par ailleurs, dans un ouvrage collectif de Byram, Zarate & Neuner (1997), la

notion de compétence socioculturelle est utilisée comme synonyme de compétence

interculturelle puisque Byram (1997) et Byram, Gribkova & Starkey (2002) reprennent les

composantes de la compétence socioculturelle décrite dans Byram, Zarate & Neuner (1997)

pour la définition de la compétence interculturelle, sans prendre le temps de justifier cette

reprise. Cependant, ils y ajoutent une cinquième composante le savoir s‟engager. Toutefois,

Byram (1997) se défend de cette fluctuation en évoquant la différence des contextes

d’apparition des deux ouvrages, donc le caractère probablement contraignant de l’ouvrage

écrit sous l’auspice du Conseil de l’Europe qui demandait une recherche de consensus entre

les différents auteurs ayant coécrit le livre.

Nous avons, à plusieurs, reprises utilisé le connecteur « ou » à propos des compétences

culturelle ou interculturelle, il ne s’agit pas d’un simple jeu de mots, c’est en effet le signe

d’un vif débat et d’un certain malaise autour de ces deux notions entre les chercheurs et les

auteurs qui les travaillent et les utilisent. Ci-après, nous présenterons et discuterons les

différents points de vue à ce sujet.

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