Chapitre IV - L’interculturel : conceptions, usages et méthodes d’approche
4.3. Les méthodes d’approche interculturelle
4.3.4. Quatrième approche : pragmatique ou interactionniste
Selon Collès (2006, p. 5), cette approche a été développée par Abdallah-Pretceille et
Porcher (1996). Elle est fondée sur l’idée selon laquelle l’approche interculturelle ne vise pas
l’acquisition de connaissances encyclopédiques ou d’un savoir sur une culture donnée. Il
s’agit ici du noyau de la philosophie de l’interculturel chez Abdallah-Pretceille qu’elle
présente, en ce sens, comme une autre manière d’approcher la culture en classe en opposition
avec une approche dite civilisationnelle. Dans cette perspective, l’auteure soutient que
l’approche interculturelle privilégie la fonction pragmatique ou instrumentale de la langue au
détriment de la fonction ontologique. Autrement dit, ce n’est pas la culture en tant que réalité
qui doit être visée mais l’usage de la culture dans l’acte d’interaction. Selon elle (2003, p.
20) :
« Un des objectifs de la formation interculturelle serait de comprendre l’intention des individus quand ils font appel à la culture ou plus exactement à certains éléments culturels. Il ne s’agit pas d rechercher hypothétiquement les réalités culturelles mais au contraire d’appréhender une forme de pragmatique culturelle, de comprendre comme [sic] se crée le culturel dans des situations complexes. La formation interculturelle s’édifie à partir de la fonction instrumentale de la culture, par distinction de sa fonction ontologique. Elle prend appui sur la manipulation et l’instrumentation de la culture par les individus eux-mêmes, instrumentation particulièrement développée dans les sociétés hétérogènes. Il convient donc
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d’envisager une formation à l’analyse du complexe, de l’aléatoire et de l’imprévu. Autrement dit à l’anticipation du comportement d’autrui ».
Cette approche est, en effet, en cohérence avec la conception de l’identité et surtout de
la culture comme entités dynamiques et en constante construction. Ainsi, toujours selon elle
(ibidem, pp. 20-21), le plus important n’est pas de voir comment « la culture détermine les
comportements mais d‟analyser la manière dont l‟individu utilise les trais culturels pour dire
et se dire, pour s‟exprimer verbalement, corporellement, socialement personnellement ». Par
conséquent, la centration est « sur le sujet et moins sur les structures et systèmes culturels ».
Comme nous pouvons le voir c’est une approche interactionniste que l’auteure revendique
clairement affirmant que dans l’interculturel le plus important est l’inter, c’est-à-dire ce qui se
passe dans l’interaction entre deux individus appartenant à des cultures différentes. Par
ailleurs, sa définition de la compétence interculturelle dissipe tous les doutes à ce propos
puisqu’elle la qualifie comme la capacité d’un individu à « anticiper le comportement
d‟autrui ». C’est, en effet, en ce sens que Collès associe cette approche à l’approche
ethnographique de la communication de De Salins (1992) et à celle des interactions verbales
de Kerbrat-Orecchioni (1994). C’est également la perspective que soutient Dervin (2009)
lorsqu’il écrit que :
« Dans interculturel, il y a l’idée d’interaction, de mélange, de négociation et donc d’instabilité. Faire de l’interculturel en classe de langues (et analyser l’interculturel), c’est travailler sur les contradictions qui nous touchent tous à travers une identité "mouvante" (et non unique ou stable) que l’autre contribue à transformer et donc c’est aussi remettre en question l’idée que la culture et l’identité gouvernent l’un et l’autre dans les interactions ».
Dans la suite de son approche Abdallah-Pretceille (1999) propose trois méthodes
d’analyse qui caractérisent une approche interculturelle.
4.3.4.1. Les démarches d’analyse interculturelle en lien avec l’approche pragmatique ou
interactionniste
Abdallah-Pretceille (1999) affirme tout d’abord que la démarche interculturelle se
définit comme globale et pluridimensionnelle afin de rendre compte d’un découpage des
dynamiques et de la complexité et d’éviter les processus de catégorisation. C’est pourquoi elle
considère que, d’un point de vue méthodologique, la perspective interculturelle est
caractérisée par trois démarches : la démarche compréhensive, la démarche interactionniste et
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la démarche situationnelle et complémentariste. Que préconisent chacune de ces démarches et
pourquoi intéressent-elles à la perspective interculturelle ?
La démarche compréhensive - s’oppose à la démarche descriptive. Selon
Abdallah-Pretceille (1999, p. 61), « les recherches descriptives s‟attachent à un découpage du tissu
social : migrants, "seconde génération", femmes, "beurs", " couples mixtes", asiatiques,
africains… ». Pour étayer son propos elle considère que la description n’est pas adaptée aux
situations actuelles parce que celles-ci sont mouvantes et transgressent sans cesse les normes
culturelles et sociales établies. Pour cette raison, il ne s’agit plus de décrire les situations ou
les cultures mais de les comprendre. Pour l’auteure (idem), la compréhension s’oppose à la
description dans la mesure où :
« Comprendre une personne ce n’est pas accumuler des connaissances et des savoirs sur elle mais c’est opérer une démarche, un mouvement, une connaissance réciproque de l’homme par l’homme, c’est apprendre à penser l’autre sans l’anéantir, sans entrer dans un discours de maitrise afin de sortir du primat de l’identification et du marquage ».
Une démarche interculturelle ne doit donc pas avoir pour objectif la description des
cultures en présence, mais doit permettre aux individus de se comprendre ou de faire un effort
pour comprendre l’autre car, toujours selon Abdallah-Pretceille, (ibidem, p. 63) :
« L’objectif est de rendre compte du fonctionnement instrumental de la culture, par opposition à sa valeur d’identification et de modelage des conduites et des comportements. La culture ou plus exactement les bribes ou les traits culturels sont utilisés comme instruments pour se dire, se présenter et non pas comme définition statique de soi. Cela interdit ou devrait interdire de fixer les individus, groupes ou événements à partir d’éléments culturels perçus dans l’absolu et hors contexte ».