• Aucun résultat trouvé

3.3 - La représentation des conduites à adopter face aux élèves :

Si tous les enseignants sont concernés par les composantes socio-affectives du comportement de leurs élèves, d’une discipline scolaire à l’autre, il doit certainement y avoir des différences liées entre autre à la nature des activités. Les enseignants d’EPS en tout cas semblent suffisamment conscients de cet aspect de leur action pédagogique, qui consiste à affronter dans la relation aux élèves des phénomènes d’ordre socio-affectif dans des activités qui font appel à une expression multiple, motrice, verbale, émotionnelle, ; de ce fait, ils sentent l’obligation d’apprendre à les gérer. Et il apparait nettement qu’ils tendent à valoriser leur rôle en ce domaine sous deux aspects essentiels : une aide à la socialisation, et une aide plus individualisée apportée à des élèves qui en font parfois eux-mêmes la demande, et dont l’enseignant remarque les problèmes parfois pendant l’activité (santé physique, isolement, conflits…).

Confrontés à des interactions et des réactions pour lesquelles ils n’ont pas forcément de solutions toutes faites, dans des situations où dominent la richesse et la complexité des rapports individuels et de groupe, il se confirme pendant les entretiens effectués en dernière expérience que la plupart des enseignants s’adaptent selon les cas ou situations. Cet enseignant de 47 ans, qui a travaillé pendant longtemps dans un quartier populaire réputé difficile, semble bien exprimer cette capacité d’adaptation en nous disant: « Je ne cherche pas à avoir un style autoritaire ou démocratique, ou autre. Je trouve par le feeling, selon la situation à laquelle je m’affronte ». Cette ‘’flexibilité’’ ou souplesse d’adaptation dans la relation pédagogique est décrite par plusieurs auteurs : Guilford (1967) parle de ‘’flexibilité adaptative’’ quand le sujet modifie sa manière d’aborder une situation ou change de stratégie, pour aboutir à une solution valable ; Flanders (1970) utilise la notion de flexibilité pour désigner l’attitude de ‘’souplesse’’ caractéristique d’un style de commandement démocratique chez l’enseignant, qui agit de façon à permettre l’expression de ses élèves, et à l’utiliser pour faire progresser les apprentissages ; l’attitude flexible est opposée à une attitude rigide dans un type de commandement autoritaire.

Face aux comportements de type émotionnel chez leurs élèves, les enseignants n’adoptent certainement pas tous les mêmes attitudes, les mêmes stratégies et procédés pour résoudre les problèmes socio-affectifs qui se posent à eux. Même au sein d’une même position ou situation, l’accord ne peut être total, la conception de chaque individu étant marquée par ses propres expériences et qualités personnelles, par ses appartenances, par les autres rôles de son répertoire… (Ghiglione et Matalon, 1978 ) ; mais en raison d’expériences pédagogiques plus ou moins ressemblantes dans une même discipline d’enseignement, nous obtenons à partir d’un certain nombre d’expériences les conduites et attitudes suivantes chez les enseignants:

- Certains d’entre eux, très peu nombreux toutefois, ont des réactions de fuite par exemple, ou de rejet, dénégation, élimination : Ils attribuent le rôle éducatif sous l’angle socio-affectif uniquement aux parents et refusent carrément, chez certains cas limites, aux élèves de s'exprimer émotionnellement. Siedentop (1994, p.197) remarque aussi qu'il y a des enseignants dont la <<façon d'aborder le système d'interactions sociales entre les élèves consiste à vouloir l'éliminer en adoptant une approche autoritaire (…). Tous les signes d'exubérance, de joie ou de plaisir venant des élèves sont interprétés comme une violation du système d'organisation. Certains élèves se soumettent, mais en agissant ainsi, ils développent probablement une aversion pour l'éducation physique>>;

- Certains acceptent que les élèves puissent se sentir heureux et s'exprimer émotionnellement en EPS, mais ils refusent leurs confidences; se sentent-ils menacés dans leur propre équilibre affectif ? Dans une activité où ils s'expriment plus librement, les élèves se sentent en quelque sorte naturellement proches de l'enseignant, et vont se confier à lui. Les relations parents-enfants deviennent difficiles à un âge où les adolescents veulent s’émanciper, et ne peuvent pas confier à leurs parents toutes leurs préoccupations. A qui se confier alors ? A ses amis ? Là aussi il est probable que certains adolescents n’ont pas confiance en leurs pairs pour de multiples raisons : la discrétion, la maturité nécessaire pour juger de toutes les situations… C’est alors que les confidences à un adulte proche deviennent peut-être plus utiles, plus sûres. Qui peut alors le mieux remplacer les parents, si ce n’est les enseignants, dans une société où le psychologue n’a pas encore sa place ? Pourquoi refuser alors une aide psychologique, ou morale, à des élèves qui la demandent d’eux-mêmes à travers leurs confidences ? Ce serait, à la limite, refuser d’apporter une aide à une personne pouvant être en situation de danger!

- D’autres enseignants, peut-être les plus nombreux, choisissent l’affrontement des manifestations à caractère affectif en adoptant un choix de valeurs et de pratiques ou procédés pédagogiques dont ils ont jugé l’efficacité à travers leur expérience ; ceux-là élaborent en quelque sorte un système de conduites consistant le plus souvent à faire appel à des règles morales issues des us et coutumes et de la religion, mises en avant , conciliées souvent à des règles du fair-play et de l’esprit sportif: Par exemple, la notion de bonne « mou’amala » revient souvent pour insister sur l’adoption par les élèves d’attitudes ou conduites respectueuses vis-à-vis les uns des autres pendant l’activité, attitude intimement liée aux valeurs religieuses musulmanes aussi bien qu’aux règles du fair-play dans le Sport. « Toute conduite se déroule dans un contexte social qui contribue à sa détermination, qu’il s’agisse du contexte immédiat ou du contexte socioculturel global. Les manifestations affectives, par exemple, varient d’une culture à l’autre; ce sont, du moins en partie, des langages appris » (Huteau, 1995, p.126). Les enseignants ne peuvent alors s’empêcher de faire une sorte d’ « éducation sociale » se référant aux traditions et à la religion, nous rappelant des facteurs sociaux parmi ceux qui constituent en fait la personnalité de base telle que la conçoit Kardiner (1945); - D’autres enseignants acceptent et valorisent même l’exploitation des manifestations d’ordre socio-affectif dans le cadre de la réalisation de leurs objectifs d’apprentissages moteurs: émulation et encouragement de la concurrence et de l’opposition pour élever le niveau de performance de leurs élèves… Les émotions et les relations d’ordre affectif

sont en quelque sorte mises au service des apprentissages d’ordre moteur ; c’est dans ce cadre que la dynamique des groupes a d’abord été utilisée en éducation, et par exemple l’étude des attirances et des rejets en classe (voir la Sociométrie de Moreno in : Chaix-Ruy, 1960) ; en EPS et en Sport, la sociométrie est utilisée pour constituer des équipes et organiser les apprentissages et les compétitions (Thill, Thomas & Caja, 1983); cependant, ce qui est recherché, c’est une efficacité immédiate en fonction des rapports existants entre les individus; on a en vue le rendement physique, mais l’intention d’améliorer les relations dans les groupes est très peu perceptible ;

- Certains enseignants affichent la volonté de réaliser des objectifs d’éducation sous l’angle socio-affectif, en disant explicitement qu’il faut par exemple : laisser les élèves exprimer leurs émotions, leur apprendre à se maitriser dans certaines situations (échec, colère, agressivité…). La valeur éducative de l’EPS au plan socio-affectif est alors plus largement reconnue et pratiquée au plan de la socialisation, par des enseignants ayant bénéficié d’une formation en psychologie ou psychopédagogie plus poussée que d’autres. On retrouve en effet la mention écrite sur les fiches de préparation pédagogique exprimant clairement des objectifs tels que : respecter des règles plus ou moins précisées suivant les cas (plus fréquemment en sports collectifs), participer au travail collectif en remplissant des rôles qui sont parfois précisément mentionnés et poursuivis (arbitre, observateur, juge de départ et chronométreur sont ceux qui reviennent le plus souvent), systèmes tactiques de jeu dans les sports collectifs où les rôles sont plus ou moins précisés, et dont la réalisation est suivie, corrigée, évaluée par l’enseignant). Sous l’angle émotionnel par contre, les interventions pédagogiques semblent plus difficiles ; pourtant « les enseignants peuvent (…) déterminer des moments-clés où ils font émerger les émotions en classe, avec des situations précises, des dispositifs matériels adaptés (ateliers) et des APSA bien programmées (traitement didactique des activités) » (Debois, Blondel & Vettraino, 2007, p. 37). Encore faut-il qu’il y ait des possibilités de choix matériels et d’activités en vue de créer des situations suffisamment variées; ce n'est malheureusement pas le cas chez nous en Algérie;

- Malgré leur volonté d’aider leurs élèves, certains enseignants montrent en même temps leur gêne et leur désarroi devant des situations plus ou moins complexes et difficiles à prendre en charge, plus particulièrement s’agissant des conflits qui peuvent naître en classe entre élèves, ou de confidences faites au sujet de problèmes particuliers. Il arrive en effet, et souvent d’après le témoignage de beaucoup d’enseignants, que les apprenants leur fassent des confidences, parfois au sujet des problèmes les plus intimes, comme des déceptions amoureuses, des conflits avec les parents…Il semblerait que ce « rapport intimiste » soit créé plus facilement avec l’enseignant d’EPS. C’est alors que dans sa démarche d’écoute des problèmes de ses élèves, il se trouve parfois gêné de recueillir des confidences difficiles à gérer, surtout pour répondre à l’élève par une aide appropriée. Ne doit-on pas lui apprendre à affronter ces cas en utilisant les méthodes d’entretien clinique, puisqu’il joue, peut-être parfois malgré lui, un rôle de "pédagogue clinicien" (Chauvier et Missoum 1981) ? Dans cet apprentissage en formation d’une démarche d’écoute et d’entretien, s’appuyant sur le vécu et restant ouverte à

l’expression des intérêts des élèves, l’objectif est d’amener à apporter aux élèves une aide pédagogique, proche de l’aide psychologique recherchée par l’entretien clinique. Nous voyons ainsi que les attitudes sont relativement diversifiées face aux manifestations d’ordre socio-affectif chez les élèves. Certains enseignants luttent continuellement contre ce « flot » d’énergie et d’émotions risquant de déborder à tout instant, par le maintien d’une discipline ferme, où eux-mêmes restent "fermés" à toute expression bruyante ; mais l’exigence devient difficile et souvent inopérante d’efforts continuels de maintien d’une discipline parfois rejetée par des élèves devenant agressifs. Des enseignants plus permissifs rendent les élèves heureux mais sont parfois débordés par des exigences de choix ludiques de la part d’élèves qui n’ont pas envie de "travailler" mais cherchent à se défouler en EPS. Entre les deux pôles d’une rigueur inflexible, qui risque de se briser face à l’agressivité des élèves, et d’une permissivité qui risque de se transformer en séance d’animation, les enseignants expérimentés semblent aller vers le choix de valorisation des aspects socio-affectifs, les "privilégiant " dans leur expression ou l’apprentissage de leur maitrise, à travers surtout les systèmes d’organisation : rôles dévolus aux élèves (souvent uniquement les meilleurs dans des rôles de direction des équipes et des entrainements), méthode compétitive plaçant souvent les élèves en situations de confrontation directe de leurs capacités, pas seulement en sports collectifs, mais également en sports individuels... Nous avons remarqué que même des élèves dispensés en viennent à reprendre l’activité, à s’intégrer, à jouer des rôles décisifs dans l’organisation et le fonctionnement du groupe-classe en EPS; d’autres relativement isolés au début s’intègrent progressivement.

En résumé, on voit que les objectifs visés par les enseignants peuvent être une aide apportée aux élèves (écoute et soutien moral, apaisement…), ou à l’opposé, une volonté d’élimination (par le déni, le rejet, l’indifférence…) ou, dans un juste milieu, une volonté affichée d’effectuer une éducation de type socio- affectif en plus des apprentissages moteurs. Même si elle reste encore peu explicitée, c’est cette dernière attitude qui nous semble la plus courante et probablement la plus appropriée. Que ce soit dans notre ancienne expérience d’étude des rôles ou à travers les entretiens effectués en dernière expérience, cette reconnaissance d’une éducation possible de type socio-affectif par un grand nombre d’enseignants expérimentés peut constituer la base de départ de nouveaux projets de formation. Cependant il faut tenir compte aussi du fait que les enseignants se plaignent du peu de moyens qui leur sont donnés pour effectuer une EPS efficace, une des causes possibles d’un refuge dans des attitudes de renoncement, ou de valorisation de soi à travers l’aide à la socialisation apportée aux élèves. Ils remarquent d'ailleurs dans leur majorité qu'il est vain de vouloir en deux heures par semaine, réaliser les objectifs du programme relatifs au développement des capacités physiques et des habiletés motrices; d'autant que les adolescents algériens qui arrivent au lycée ont pour la plupart un niveau déjà très faible d'éducation motrice. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille abandonner un domaine d’objectifs par rapport à l’autre, mais trouver l’équilibre nécessaire entre des apprentissages utiles. Pour Siedentop (1994, p. 229), « il est important de faire la distinction entre les buts purement scolaires et ceux qui sont socio-affectifs ». Et après un essai d’analyse en termes de priorités de l’un ou l’autre

domaine de buts suivant les écoles, les professionnels de l’enseignement, les positions des parents, les besoins de la société, il conclue qu’ « un enseignement efficace tend à produire des acquisitions tant sur le plan scolaire que sur celui du développement des attitudes » ; puis il donne quand même la priorité aux apprentissages moteurs : « Je crois que les buts rattachés au développement socio-affectif devraient être réalisés à travers une éducation physique efficace qui met d’abord l’accent sur l’acquisition des habiletés motrices, sur l’engagement moteur productif dans une variété d’activités de conditionnement physique et d’apprentissage des sports » (idem, pp. 229-230). Ces remarques renforcent la nécessité d’une formation à revoir, mais aussi en ce qui nous concerne en Algérie les moyens et le temps impartis à l’EPS.

Devant les difficultés rencontrées dans la prise en charge des aspects socio-affectifs, des enseignants parlent souvent d’eux-mêmes d’une formation à revoir, sans toutefois le dire toujours de manière explicite, mais à travers leurs attitudes ou opinions, comme par exemple critiquer les comportements des nouvelles générations de collègues, ou montrer les lacunes de la formation initiale actuelle… Mais ils ne se contentent pas seulement de critiques. Dans les résultats de la dernière expérience surtout, des entretiens non directifs, beaucoup parmi les interrogés ciblent des difficultés spécifiques, et formulent une demande de formation dans des domaines et avec des méthodes plus ou moins clairement désignés. Dans un essai de synthèse des besoins exprimés par les enseignants et de notre propre expérience, nous présentons au dernier chapitre des propositions de formation dans les domaines abordés qui nous intéressent plus particulièrement ici : la psychologie et la psychologie sociale.

Chapitre VI

PROPOSITIONS POUR LA FORMATION