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Après avoir enrichi les premières observations de l’introduction par les données théoriques des deux chapitres précédents, nous "revisiterons" d'abord la problématique pour un essai de formulation plus opérationnelle. Pour ce faire, nous passerons dans ce chapitre par les étapes suivantes: essayer de poser clairement les questions, formuler les hypothèses et justifier les choix méthodologiques de recherche sur le terrain.

1 – LA PROBLEMATIQUE:

L’EPS offre des possibilités d’expression multiple, pas seulement au plan moteur, mais aux plans émotionnel et relationnel, aspects socio-affectifs auxquels nous nous intéressons plus particulièrement dans ce travail. L’éventail relativement varié du choix d’activités corporelles pratiquées en EPS à l’école, l’organisation de la classe le plus souvent en équipes pour effectuer les apprentissages, et l’utilisation d’espaces généralement ouverts et en plein air en font une discipline scolaire aux caractéristiques spécifiques, permettant par exemple aux élèves beaucoup plus d’expression qu’en classe. Afin de mieux apercevoir ces spécificités, et sans chercher à faire des comparaisons avec les autres matières d’enseignement, mais plutôt à saisir les différences, faisons le parallèle avec les enseignements effectués en salle de classe: - Si en EPS l’espace est utilisé pour bouger, en salle de classe, les élèves restent assis et ne peuvent se déplacer que pour des besoins urgents, ou des exercices rares au tableau, et pour un nombre très réduit d'élèves ; et cette organisation reste stable durant toute l’année scolaire ! Il apparait alors à l’évidence que les possibilités et les libertés d’expression données en EPS créent ainsi entre les élèves une proximité spatiale et relationnelle plus grande que dans la classe traditionnelle des cours théoriques ;

- L'enseignant lui-même est également "pris" dans les interactions qui se créent dans cet espace d'activités corporelles; la liberté relative de mouvement et d’évolution dans l’espace crée des interactions perpétuelles entre professeur et élèves, alors qu'en salle de classe, les rapports sont en quelque sorte "balisés" par une estrade généralement élevée, plaçant l’enseignant dans une position dominante, opposée à la rangée de tables où sont assignés les élèves ;

- L’engagement de l’ensemble du corps dans l’action en EPS entraine l’expression du potentiel individuel sous ses différents aspects : physique, affectif et intellectuel; c’est

ainsi que les élèves peuvent parler, crier, rire, se mettre en colère, s’affronter, s’entraider… et arriver parfois à une intensité élevée d’action, d’émotions, de conflits même, difficilement contrôlables par l’enseignant, tant l’énergie et la passion engagés sont grands ! En classe par contre, le silence est de rigueur, afin de permettre à chacun d’être attentif et de réfléchir ;

- En EPS, les apprentissages s’effectuent le plus souvent en petits groupes ou équipes plus ou moins stables, réorganisés à l’occasion du changement d’activités sportives ; les élèves apprennent ainsi à mieux se connaitre et travailler ensemble dans des situations plus ou moins différentes mais toujours actives ; de coéquipiers ils deviennent adversaires, et passent ainsi de la coopération à la confrontation à l’occasion surtout des examens, où la concurrence est parfois très forte et les émotions aussi; ainsi se créent entre individus ou entre groupes des interactions plus ou moins complexes d’attirances ou de rejets, d’oppositions ou d’entraide;

- La tenue même est différente, et doit l'être pour des raisons de mouvement et d'hygiène : Alors qu'en classe l’élève est obligé d'ajouter un vêtement supplémentaire (une blouse) à la tenue civile, l'engagement corporel en EPS, dans des tenues généralement légères, crée une proximité des corps; ce qui induit indirectement un rapprochement affectif et relationnel entre individus, y compris avec l’enseignant. Observant l’enseignant avec un peu plus d’attention, on remarquera qu’il est placé dans une position plus ou moins difficile de gestion d’interactions plus complexes et graves que ce que l’on serait tenté d’apercevoir comme un simple jeu ou un apprentissage uniquement de savoir-faire moteurs :

- Dans l’espace réservé à sa pratique pédagogique, l’enseignant peut bouger et évoluer continuellement parmi ses élèves, choisir ses emplacements suivant les situations d’apprentissage, s’impliquer souvent dans l’activité, pour démontrer, corriger, ou participer même à l’action collective, en vue d’encourager, de compléter un groupe… Certains apprentissages exigent un contact physique avec l’élève, afin de mieux faire sentir un mouvement, une attitude corporelle, ou parer ou sécuriser dans des activités à risque, telle la gymnastique ;

- Cette proximité des corps n'est d'ailleurs pas toujours perçue de manière positive, les filles faisant plus particulièrement les frais, à l'adolescence, des craintes liées à la résurgence de sensibilités à caractère sexuel. Il n'y a pas là, bien sûr, matière à élucider les phénomènes à caractère affectif, mais bien au contraire, à les expliciter afin de pouvoir les prendre en charge au plan éducatif; ce qui pourrait nous aider par ailleurs à lutter contre certaines formes de misogynie [8];

- Il arrive même que l'enseignant reçoive des confidences d’élèves au sujet de leurs problèmes particuliers, familiaux ou même intimes parfois. Beaucoup d’enseignants d’EPS affirment que les élèves se sentent plus proches d’eux ( voir Pujade-Renauld & al., 1981), et qu’ils se confient ainsi plus facilement qu’à des collègues d’autres matières. La proximité corporelle et les interactions d'ordre moteur et relationnel encouragent certainement ce rapprochement et ces confidences. Et les enseignants affrontent ainsi

des situations et des cas pour lesquels ils ne semblent pas avoir été préparés pendant leur formation.

A travers ces quelques observations, la dynamique des interactions et des relations entre l’enseignant et ses élèves apparait essentielle dans les conditions concrètes de l’acte pédagogique en EPS. On peut alors se demander ici si l’enseignant est préparé à ce genre de situations et d'interactions plus ou moins complexes, s’il possède les qualités et capacités requises pour assumer la relation pédagogique, ou du moins s’il apprend à travers son expérience quotidienne à gérer convenablement cette relation, les émotions et les interactions entre ses élèves, à adopter les attitudes et à prendre les décisions appropriées.

Les données théoriques que nous avons pu recueillir dans le premier chapitre, telles des analyses relatives au jeu, des méthodes comme la Pédagogie Par Objectifs, ou encore des concepts tels ceux de psychomotricité et de socio-motricité, montrent une place relativement importante accordée à l’affectivité dans l’éducation en général, et en EPS en particulier ; mais il apparait en même temps que l’analyse théorique comme la pratique pédagogique en ce domaine restent très en deçà de l’importance remarquée des phénomènes d’ordre socio-affectif: difficultés de conceptualisation et d’explicitation d’un domaine qui apparait complexe, difficultés de trouver les voies et moyens de réalisation de l’éducation en ce domaine, formation insuffisante des enseignants et de leurs formateurs, etc.

Dans les programmes de formation initiale des enseignants d’EPS, présentés au deuxième chapitre, on voit bien qu’il n’y a pas d’analyse suffisante des contenus relatifs à ces aspects socio-affectifs, qui apparaissent pourtant en théorie si importants dans l’activité pédagogique avec les élèves; la formation pédagogique pratique essaie toutefois de donner une place importante à la relation maitre-élève, mais sans s’attarder sur la dynamique des relations des élèves entre eux, et encore moins à formuler ou expliciter des objectifs éducatifs dans ce domaine. De notre participation à la formation des enseignants d’EPS destinés à l’enseignement secondaire, nous avons toujours remarqué, parmi les difficultés les plus grandes, celles relatives justement à la gestion de la dynamique des interactions en classe dans les lycées. C’est l’une des justifications de notre choix d’une population d’élèves et d’enseignants de lycées pour effectuer nos recherches.

Les apports de la discipline étant censés répondre à des besoins de développement des adolescents, on peut se poser les questions suivantes avec les deux populations concernées, enseignants et élèves:

Les élèves en cours d'EPS:

L’Education Physique leur permet-t-elle réellement de s’exprimer sur un plan socio-affectif ? Comment vivent-ils et perçoivent-ils cet apport ?

Les enseignants d’EPS :

Remarquent-ils effectivement la présence de ces phénomènes d’ordre socio-affectif ? Quelles conduites ou attitudes adoptent-ils alors? Ont-ils reçu une formation conséquente ou bien ressentent-ils le besoin d’une formation supplémentaire

susceptible d’améliorer leurs compétences ? Quels domaines plus exactement ou quels aspects des compétences et capacités professionnelles faudrait-il prendre en charge et développer ?

L’EPS est une discipline scolaire centrée traditionnellement sur des apprentissages moteurs. Mais parce qu'elle permet une expression multiple et des interactions plus ou moins complexes, elle offre aussi des occasions, encore mal estimées et peu exploitées, pour des apprentissages d’ordre socio-affectif, tels que l’équilibre émotionnel, l’intégration au groupe, la participation collective, l'apprentissage de règles et de rôles sociaux… Pour qu’une prise en charge éducative de ces aspects socio-affectifs puisse s’effectuer correctement, il nous apparait nécessaire de revoir la formation des enseignants, particulièrement en psychologie. Cela semble d'autant plus nécessaire qu'il s'agit plus particulièrement d'enseignants travaillant avec des adolescents, une période très sensible du développement, et dans une société où l’intégration devient de plus en plus difficile.

La démarche la plus appropriée n’est-elle pas d’observer et d’interroger les élèves et les enseignants ? Si nous avons pu reconstituer théoriquement le concept d’ "aspects socio-affectifs" pour désigner des comportements où dominent ces mêmes aspects, il nous faut maintenant essayer de reconstituer ce concept dans la réalité en quelque sorte. Notre hypothèse principale set que les élèves et les enseignants concernés devraient pouvoir nous montrer à travers leurs comportements ou leurs représentations l’importance des phénomènes d’ordre socio-affectif en EPS :