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Le recueil de données d'observations, d'entretiens préliminaires et d'informations générales pendant l’inspection a constitué donc une forme de pré-enquête ; elle nous a permis d’évoluer vers le choix et la formalisation d’abord d’un questionnaire très simple, reproduisant la méthode des incidents critiques, utilisée dans la recherche sur les caractéristiques des éducateurs (voir notamment De Landsheere G., 1982, pp. 159-161); ensuite nous sommes passés à l’entretien individuel plus approfondi, s’inspirant de la technique d’Entretien Non-Directif de Recherche ou ENDR (Blanchet & al., 1985). La méthode des incidents critiques est utilisée entre autre dans la recherche sur les caractéristiques des éducateurs. Il s’agit par exemple de définir les exigences d’une fonction, telle que celle de l’enseignant, en étudiant les "incidents", ou traits saillants, comportements particuliers qui attirent l’attention de l’observateur ou de l’évaluateur. De Landsheere (o.c.) cite surtout des chercheurs américains (Flanagan, 1954 ; Evans, 1959 ; Ryans, 1963), et par exemple des recherches faites au sujet des aspects sur lesquels les inspecteurs pédagogiques fondent leur appréciation du travail des enseignants… Sorte de questionnaire où le nombre de questions est généralement très limité, cette technique peut aider à expliquer des phénomènes importants, tels les comportements à dominante émotionnelle, en montrant par exemple des aspects

positifs comme des succès (d’intégration sociale, d’amour de l’activité physique montré à travers la dépense d’énergie physique et le dynamisme…), ou des aspects négatifs comme des échecs ou considérés comme tels (de l’agressivité et des conflits entre élèves, des problèmes posés par des élèves malades ou dispensés, des accidents…). Les objectifs pouvant être atteints peuvent alors être très importants, comme :

- Déterminer des exigences de la fonction d’enseignant (ici d’EPS) qui n’apparaissent pas ou ne sont pas forcément connues ;

- Déterminer chez les professeurs interrogés les comportements caractéristiques face à l’expression des élèves (ici dans le domaine socio-affectif), ou face à des situations difficiles ou exceptionnelles (comme des accidents, des conflits entre élèves…) ;

- Noter les comportements à dominante socio-affective qui nous intéressent et pourraient être cités et même commentés par des enseignants désireux d’expliquer leurs expériences et points de vue.

Pendant les premiers "entretiens de fin de séances" décrits plus haut dans le cadre de la pré-enquête et ayant suivi directement la pratique pédagogique, nous donnions un maximum de liberté aux enseignants en leur demandant simplement de parler de leur expérience pédagogique. Nous avons remarqué alors la tendance à raconter des souvenirs marquants de leur activité professionnelle, comportant une charge émotionnelle plus ou moins forte. Ces récits étant apparus très intéressants dans le cadre de notre investigation, nous avons été tout simplement amené à construire un "questionnaire" ouvert, comportant une seule question simple, ou plutôt une "demande de récit" très ouverte: « Il vous est demandé simplement de décrire trois situations pédagogiques parmi celles qui vous ont le plus marqué pendant votre activité professionnelle comme professeur d’EPS». Tout en sauvegardant l’anonymat des enseignants interrogés, nous avons pris soin évidemment de recueillir des renseignements nécessaires à la connaissance de notre échantillon (âge, sexe, état civil et nombre d’enfants, ancienneté générale et ancienneté spécifique à l’enseignement secondaire, autres fonctions que l’enseignement).

Voulue générale et indirecte, notre question évite sciemment d’induire des réponses orientées vers notre objectif de recherche, qui est de découvrir des évènements où dominent les interactions à caractère socio-affectif ; mais en même temps, elle encourage le récit de souvenirs "saillants", qui peuvent être constitués par des évènements à forte charge émotionnelle. La réponse de chaque sujet est déterminée par la représentation qu’il se fait de la situation, par ses propres objectifs, qui ne coïncident pas nécessairement avec nos objectifs en tant que chercheur; mais nous émettons l’hypothèse que les enseignants se rappelleraient plus fréquemment des situations où dominaient les expressions de type émotionnel et social. Nous évitons donc dans la question telle qu’elle est posée de faire allusion à notre orientation de recherche, mais nous nous attendons en quelque sorte à voir les enquêtés aborder eux-mêmes le problème (ou les manifestations d’ordre socio-affectif en EPS) et donner ainsi d’eux-mêmes la preuve de l’importance de ces aspects que nous recherchons.

Instructifs et parfois originaux, les résultats nous ont permis par ailleurs de nous apercevoir des limites du questionnaire, même ouvert et très simple, pour aller vers

l’entretien. Et nous sommes allé plus particulièrement vers la technique de l'"Entretien Non-Directif de Recherche" (ou ENDR), guidé par des références méthodologiques apparaissant finalement mieux adaptées à nos préoccupations. « Employé après la passation du questionnaire, l’ENDR permet d’élucider les mécanismes langagiers et en particulier les "ambiguisations" découlant de l’imposition stricte des questions » (Blanchet & al., 1985, p.75).

4.2.2 - Les Entretiens Non-Directifs de Recherche (ou ENDR):

L’entretien de recherche nous est apparu au début difficile, au vu d’habitudes prises dans le cadre des entretiens d'inspection, et orientées vers l’évaluation de l’activité professionnelle. Il s’est imposé finalement comme un outil d’investigation plus approprié. Son utilisation en complémentarité avec la méthode précédente, des incidents critiques, apparait encore plus fructueuse. Si le récit d'incidents critiques permet de connaitre des situations originales ou particulières dans lesquelles se sont trouvés les enseignants, l’entretien ouvert embrasse un champ beaucoup plus large d'informations, de connaissance de "problèmes d’adaptation" des enseignants aux comportements de leurs élèves et de leurs propres solutions. En plus, dans le jeu plus souple de l'entretien, à la différence de questions écrites, nous pouvons nous orienter vers les phénomènes de la vie affective, pour lesquels nous avons essayé de mettre au point un guide d’entretien adapté à notre problématique, sans la citer expressément (voir en annexe B: Guide d’entretien avec Enseignant, en langues arabe et française). Par rapport à la technique précédente des incidents critiques, l’entretien est même apparu convenir à une expression plus facile de la part des enseignants et au récit du vécu immédiat ou lointain, au lieu de nous renvoyer vers le rappel mémoriel du passé uniquement. L’entretien est effectué dans la plupart des cas en dehors de la circonscription, prenant rendez-vous par téléphone, et me présentant en tant que retraité, recherchant la mise en confiance et le consentement des personnes à interroger. Pendant cet entretien présenté comme entrant dans le cadre d’un travail de recherche relatif à la formation professionnelle, nous proposons aux enseignants de parler d’abord de leur travail, thème large à partir duquel, dans la plupart des cas, ils racontent l’expérience vécue.

La seule "directive" est celle du début où nous demandons: « Parlez-nous de votre

travail ». Les trois sujets inscrits dans l'entretien ensuite sont: les élèves, la formation,

le profil idéal de l'enseignant d'EPS. Cependant, l'interviewé n'est pas orientée obligatoirement vers cet ordre, mais guidé par des "relances" au moment où il aborde ces sujets, car tous les interrogés finissent pratiquement par aborder eux-mêmes les points suivants, suggérés souvent par le premier : parler de son travail d'enseignant, c'est forcément parler à un moment ou un autre des élèves, des problèmes matériels, humains, de formation… Notre relance essaie juste de respecter un ordre, établi parfois par l'interviewé. Pendant l’entretien par la suite, nous ne faisons donc que écouter et encourager à continuer, en nous gardant de toute appréciation, mais surveillant le moment où il aborde lui-même les points que nous recherchons pour le relancer dessus, ou suggérer nous-mêmes parfois ceux qui semblent avoir été "oubliés". Seul le dernier

point, relatif au profil idéal, est explicitement annoncé quand les sujets du travail, des élèves et de la formation semblent avoir été "épuisés", ou du moins tous déjà abordés. Dans la première partie de l’entretien (question relative au travail puis élèves), nous recherchons la mise en mots du vécu, dans lequel nous nous attendons à voir émerger aussi le vécu émotionnel, ou la dimension affective, alors qu’en dernière partie nous faisons plus appel à la dimension cognitive (parler de la formation engage quelques réflexions ou du moins des connaissances acquises). Vers la fin de l’entretien, notre intention est de les amener à l’auto-évaluation pour trouver eux-mêmes les lacunes et les solutions à leurs problèmes ou besoins de formation. Nous essayons en conclusion de l’entretien, de compléter notre recherche de ces objectifs de formation par un essai de définition du profil idéal d’enseignant d’EPS : Il s'agit pour nous de comprendre en quelque sorte, à quoi aspirent les enseignants d’EPS dans le perfectionnement de leur image ou identité professionnelle. Notre dernière intervention enfin est pour encourager à s’exprimer encore : «Si vous voulez ajouter autre chose, allez-y… »

Nous avons essayé ainsi de respecter une démarche d’explicitation de l’action, mais cherchant à être encore plus libre, plus approfondie progressivement, allant du récit ou description de l’action pédagogique vers son évaluation (l’autoévaluation de l’enseignant) et enfin la réflexion et l’application de l’esprit critique à sa propre expérience. Conçue comme un entretien de recherche dans le cadre de l’analyse psychologique du travail, cette forme d’entretien nous a semblé la mieux adaptée à notre orientation et nos objectifs de recherche. « L’entretien d’explicitation (…) est souvent nécessaire dans le cadre d’une approche éducative, de l’élaboration d’un portefeuille de compétences ou d’un entretien de validation des acquis de l’expérience… On peut enfin formuler l’hypothèse que cette activité d’explicitation des compétences mises en jeu dans les diverses activités professionnelles ou de loisirs, conduise les personnes à non seulement développer ces compétences (en les formalisant), mais aussi à construire certains sentiments de compétences (ou d’efficacité) susceptibles de dynamiser leurs projets » (Bandura, 2003, cité in : Baudoin & al., 2004, p.301). Nous nous appuyons plus particulièrement ici sur ces derniers auteurs parce qu’ils étudient l’entretien de Conseil en Orientation, dont l’objectif est d’aider la personne à prendre une décision relative à un choix de formation initiale, de formation continue ou de profession, c’est-à-dire un objectif qui se confond pratiquement avec le nôtre, qui est d’amener les interrogés à exprimer des besoins de formation.

A « la recherche des questions et des savoirs concrets des acteurs sociaux » (Blanchet & al., 1985, p.11), nous avons essayé de garder un style d’entretien dans lequel l’initiative est laissée à l’interrogé, en évitant de le couper ou le réorienter, sauf s’il s’éloigne trop de nos préoccupations ; nous le relançons alors à travers les points abordés qui nous intéressent. Il nous est apparu important de valoriser explicitement les réponses des enseignants (retenant en cela des recommandations méthodologiques précieuses venant notamment de Blanchet & al., o.c., p.74), particulièrement en ce qui concerne les réponses des enseignants relatives à leurs problèmes et propositions de formation (élément central de notre thèse). Nous avons essayé de développer dans la mesure de nos moyens "l’art du clinicien" : faire parler librement et découvrir les tendances

spontanées ; puis, de très ouvert au début, le "questionnaire" de l’entretien évolue progressivement vers des points plus précis, de préférence abordés par l’interrogé. Grâce aux premiers entretiens de pré-test, il nous est démontré que les enseignants évoluent progressivement durant l’interview vers l’analyse de leur pratique, ce qui nous a aidé à faire le choix de placer des questions d’évaluation (de la formation, des capacités et qualités de l’enseignant idéal) en deuxième position après le récit des réalités vécues. Dans sa deuxième partie, l’entretien est alors plus "guidé", sans classer forcément les questions, mais nous faisons attention à tout ce que dit l’interrogé, le notons et lui montrons ainsi que tout est important, et que cela vise à régler des problèmes collectifs de travail et de formation. « Une fois le sujet convaincu et mis en confiance, sa coopération dépasse souvent les prévisions les plus optimistes » (De Landsheere G., 1982, p.96). C’est en effet ce que nous avons ressenti : une coopération très positive le plus souvent.

Chez les enseignants, l’entretien cherche ainsi à détecter leur aperception des comportements à dominante socio-affective, les attitudes adoptées face à ces comportements et l’expression des besoins de formation. A la dernière "question" enfin (le profil idéal), il s’agit de travailler sur l’identité professionnelle subjective des enseignants : détecter leurs valeurs, sources de l’estime et de la confiance en soi face à leurs élèves, mais aussi d'une aspiration à une meilleure formation et à l’efficacité.

5 – PROCEDURES DE MONTAGE DES OUTILS D'INVESTIGATION:

Essayant d’être au plus proche de la spécificité du problème posé, et de son originalité, osons-nous dire, puisque nous n’avons trouvé aucun outil de référence suffisamment fiable, nous avons utilisé les ressources de notre propre expérience (d’observation et de discussion avec des enseignants pendant 27 ans); nous avons essayé de l'appuyer en théorie par des références méthodologiques reconnues [9] et en pratique par des pré-tests ou entrainements initiaux. Des outils sont élaborés par nos propres soins donc, cherchant à adopter une attitude de recherche-action et de créativité. Dans un domaine complexe et qui aura fait l’objet de peu d’études, nous n’avions que le choix de nos propres "inventions", mais toujours appuyées sur des méthodes, un raisonnement hypothético-déductif et des essais avec élèves et enseignants : à partir de l’analyse initiale des situations vécues par des élèves et des enseignants, et la compréhension du problème, nous avons développé des hypothèses sur les réponses probables, et les outils qu’il fallait construire pour les recueillir.

Si dans l’observation, nous avons adapté nos propres techniques d’inspection pédagogique aux objectifs de recherche (grille en annexe A), dans la deuxième étape, ce sont surtout les discussions avec enseignants et élèves en fin de séances qui nous ont aidés à aboutir au choix d’une démarche d’entretien individuel. Nous nous sommes appuyés en théorie surtout sur la technique d’Entretien Non Directif de Recherche ou ENDR présenté par Blanchet & al. (1985) et les techniques d’entretiens de la psychologie clinique et de l’orientation scolaire et professionnelle (Baudoin & al., 2004). Dans l'entretien, nous nous sommes préparés dans notre attitude à être surtout à l’écoute, et à reformuler des questions ou relancer sur un sujet ou des sujets abordés,

sans suggérer de pistes de réponses (comme les manifestations d’ordre socio-affectif que nous recherchons chez les élèves, ou les domaines de formation que nous recherchons chez les enseignants). C’est ainsi que nous nous sommes entrainé pendant une période de pré-test assez longue avec des enseignants, entre la fin de l’année 2009 et le mois de mai 2010. Nous nous sommes efforcés surtout de nous décentrer d’habitudes prises dans le cadre de l’inspection, orientées vers l’évaluation des compétences des enseignants, pour aller vers l'expression du vécu et des sentiments ressentis liés au vécu professionnel, sans chercher à évaluer, et sans montrer explicitement notre objectif. Pendant cet entrainement des pré-tests, nous avons essayé d’instaurer une relation de confiance qui puisse amener les interrogés à parler en toute liberté. Rappelons qu’il s’agit pour nous d’essayer de découvrir des "besoins", et que notre objectif est de venir en aide par l’apport de solutions de formation notamment; celles-ci peuvent d’ailleurs émaner des entretiens eux-mêmes comme propositions de la part des enseignants, dont l’expérience doit constituer une ressource. Nous tentons alors par ces entretiens, d’atteindre les niveaux des attitudes et des représentations en partant des récits du vécu, pour aboutir à un essai d’évaluation par l’intéressé lui-même de son propre vécu, un sujet apportant ou entrainant l’autre: parler du travail, puis de l’élève (ou des élèves), puis ( des besoins) de la formation puis du profil idéal de l’enseignant d’EPS. Nous pouvons ainsi parler d’entretiens « focalisés », ou orientés vers nos objectifs de recherche sans les expliciter, et en s’efforçant de partir de la réalité (Blanchet & al. o.c., pp. 50-51).

C’est finalement l’entretien qui nous aura permis d’effectuer la collecte systématique de données après la clarification d’une problématique et d’hypothèses relatifs à un domaine subjectif, où il s’agissait plus d’évoluer vers la compréhension de cette subjectivité des aspects affectifs (par une approche de type clinique), que de faire de l’observation de comportements manifestes, impossibles à saisir dans leur intégralité. Démarche progressive passée par beaucoup de tâtonnements et de difficultés en raison d’abord de la complexité du problème, ensuite de notre situation d’inspecteur d’EPS s’efforçant en même temps de faire de la recherche dans le domaine de notre activité professionnelle. Le port ainsi de deux casquettes nous gêne mais il va nous amener à découvrir des dimensions où il nous aide au lieu de nous bloquer: Nous prenons conscience du fait que être proche des enseignants par notre propre expérience (d’enseignant nous-mêmes puis d’inspecteur pédagogique) est un avantage pour mieux comprendre. C’est l’une des explications du choix de l’entretien non directif.

Nous sommes pleinement engagés ainsi dans une position de recherche-action, où nous nous apercevons que les enseignants se détachent difficilement de l’image de l’inspecteur; c’est pourquoi après avoir effectué le pré-test des prototypes d’entretien, nous nous éloignerons de notre circonscription pour les entretiens systématiques [10]. Par ailleurs, nous avons présenté au début des entretiens un sujet large (parler de leur travail pour les enseignants) comme moyen systématique de saisir les attitudes et les représentations des interrogés sans qu’ils aient été influencés par l’idée qu’ils pourraient se faire des attentes de l’enquêteur. Précaution supplémentaire pour

contourner le biais toujours possible créé par notre position d’inspecteur: présenter un sujet large pour contourner le biais d’un discours préconstruit, et amoindrir les effets de notre propre influence. Largement analysée même dans des cas de travaux de recherche expérimentale (De Landsheere G., 1982, pp.60 à 66), cette influence de l’observateur ou de l’enquêteur est pratiquement impossible à éviter. Tout au moins pouvons-nous essayer d’en prendre conscience en permanence, l’éviter ou l’amoindrir, et l’évaluer au moment de l’analyse des données.