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En étendant la guerre en cours aux personnes qui fréquentent les friches, le parcours esthétique devient une activité de sensibilisation aux personnes marginales qui sont, selon Vasset, les victimes de cette guerre économique. Une personne qui pratique la marche esthétique fait face non seulement à la présence des marginaux dans l'environnement habituel de la ville, mais également dans les terrains vagues où la situation d'adaptation peut se trouver inversée. De ce fait, pratiquer le parcours esthétique ne mène pas uniquement à avoir accès à cette partie cachée de la société ; il permet au marcheur d'assumer le rôle de l'autre au sein de son parcours. Plusieurs pratiques du parcours esthétique nous poussent à nous dépayser, ce qui consiste en une expérience d'altérité. D'un autre côté, la déambulation en ville peut exposer, voire exacerber certains problèmes qui sont déjà présents pour les personnes marginales souhaitant entrer dans la pratique du parcours esthétique. C'est-à-dire qu'on découvre des aspects de la ville que d’autres marcheurs connaissaient avant nous.

En ce qui concerne Vasset, il se sent victime d'un dépaysement négatif lors d'un tour dans un quartier où il est étranger : « une première tentative de reconnaissance à Marseille avait rapidement tourné court : j'y avais croisé des jeunes des quartiers nord

moins intéressés par ma démarche artistique que par le contenu de mon sac à dos219. »

Sa présence dans certains quartiers suscite une réponse négative en raison de sa

217Ibid., p. 129. 218Ibid., p. 66-68. 219Ibid., p. 52.

différence, qui peut être perçue comme intrusive. À cela s’ajoute la paranoïa220 qu’il

ressent lorsqu’il pénètre dans des sites sensibles, sous l’œil des caméras, des vigiles et de leurs chiens. Dans tous les cas Vasset s’aperçoit comme intrus dans les terrains qui l’intéresse, et c’est à partir de la malaise qu’il fait l’expérience de l’altérité. D'un autre côté, même si Mythogeography reste écrit par une personne avec un profil similaire, le répertoire de personnages de Smith lui permet de faire découvrir d'autres regards sur le parcours esthétique qui prennent en compte la diversité des expériences humaines et donc des marcheurs. Le seul personnage féminin à avoir une voix dans son ouvrage, Norma Nomad, intervient afin de raconter les difficultés qu'ont les femmes qui marchent. La femme dans la rue a souvent été associée à la prostituée au cours de l'histoire, et même de nos jours les femmes en ville font souvent face aux agressions sexuelles, physiques et verbales de la part des hommes dans les espaces publics. Pour la femme, pratiquer le parcours esthétique n'est pas aussi simple, et Norma Nomad fait un appel à leur inclusion. « Parfois on déambule seules – beaucoup de femmes déambulent seules, c'est presque comme si elles devaient surmonter l'anxiété de marcher seules avant qu'elles puissent former des cellules, donc n'excluez pas les

femmes221. » En plus de vouloir faire inclure les femmes dans les groupes du parcours

esthétique, Norma Nomad fait appel à l'inclusion de toutes les personnes marginalisées. Les personnes en question apportent quelque chose d'intéressant à ces pratiques par leur fragilité relative aux types normatifs, car il y a moins de travail à faire, pour eux, pour décaler leurs points de vue. D'ailleurs, Norma Nomad tente de soustraire le parcours esthétique de l'emprise de la domination blanche, hétérosexuelle, éduquée et masculine.

I'm not saying ours is the only way, I'm saying there should be room for all the different kinds and no one in mythogeography should be sniobbish [sic] about the different walkers – refugee walkers, queer walkers, street walkers, 'walkers' who are escorts, 'walkers' in shops, Dongas, ramblers even… I don't think any of us have much time anmore [sic] for 'Audi Sinclair', and who is Richard Long ? Yes. I kno [sic] who Richard Long is!!!!!!!!… but how different are both of them from the exercises in this book ? It's not that massive a difference, is it ? So a bit of humility might be nce [sic]. Let everyone in ! Don't let anything divide us, even our own stupidity. Nobody fits the pattern of patterns ! The whole point is that walking is open to almost everyone. I was going to write inmagine [sic] if everyone was walking… but that's getting like THEM !! Defer ! Love and delay ! 'Don't do it222… !!!'

220 Voir la partie 1.1.3 sur la surveillance.

221 Smith, Mythogeography, op. cit., p. 156. « Sometimes we walk alone – a lot of women walk alone, it's lmost [sic] like they have to beat the nervousness about walking alobne [sic] before they can form the cells… so, don't exclude women. »

À travers le personnage de Norma Nomad, Smith évoque la radicalité et prête de l'attention à une voix fictionnelle mais féminine. Un tel exemple n'existe point dans le livre de Vasset, en partie en raison de son style de narration, pour lequel un extrait pareil ne conviendrait peut-être pas. Mais nous nous demandons également si Vasset ne s’intéresse pas à ce genre de questions, ou ne pense pas à les évoquer, vu qu’il fait partie d’une couche favorisée de la société occidentale. C'est seulement en prenant en compte les deux ouvrages que le lecteur peut voir la variation individuelle du dépaysement selon le marcheur, en fonction de sa relation avec le contexte qui l'entoure. Un homme hétérosexuel blanc éduqué devant se rendre dans un quartier d'immigrés ou une situation d'illégalité peut se sentir mal à l'aise, mais pour une femme ou une personne de race/ethnie ou de sexualité minoritaire les même sentiments d'étrangeté et de risque de violence peuvent se présenter en plein centre ville. Il y a donc une tension inhérente à l'état présent de la ville dont les pratiques dominantes tendent à une hiérarchisation selon les différences entre les habitants, et la pratique du parcours esthétique par des personnes diverses parvient à faire ressortir ce fait.