2.2 aux réalités locales
3. Concevoir le changement : l’analyse par la théorie des SST
3.2. c Du renouveau pour la gouvernance : un exemple hollandais
Rejoignant Seyfang et Haxeltine sur la prise en compte du social, le transition management offre un exemple opérationnel précisant comment cette dimension sociale est abordée. Initié en Europe du nord, le transition management cherche à combiner la dynamique des systèmes et les comportements des acteurs dans le but d'accélérer l'innovation sociale pouvant servir de base pour de futurs modèles normatifs (Smith, Kern, 2007 ; Meadowcroft, 2005).
Au-‐delà des grands objectifs sociaux fixés à Rio (égalité, pauvreté, etc.), un des enjeux du développement durable est de s’assurer de la pérennisation des projets conçus à l’intérieur des dispositifs de gouvernance. Pour cela, le transition management postule que l’association des acteurs des futurs projets à leur développement est centrale. Par conséquent, les dispositifs sont associés à des réseaux d’acteurs impliqués et évoluant conjointement dans des systèmes de pratiques. Leur coopération temporaire peut alors être bénéfique d’un point de vue individuel mais aussi, et surtout, selon Loorbach, du point de vue structurel, lorsque la coopération
entraîne des changements plus larges55 (Loorbach, 2010). Le cadre théorique du transition
management a ainsi été élaboré pour prendre en compte ces enjeux et soutenir l’acceptabilité et l’appropriation des processus de changements (Fig. 2.5).
Figure 2. 5 : Cycles du transition management (Loorbach, 2010, p. 173).
Le cadre du transition management distingue alors quatre séquences permettant d’associer les acteurs et d’améliorer les transitions en les rendant pérennes sur le long terme :
1) Les activités stratégiques font référence à des processus de vision dont le but est de formuler des objectifs partagés communs.
2) Les activités tactiques font référence aux activités de leadership conduites par des porteurs d’intérêts identifiés et reliés aux régimes sociotechniques d'un sous-‐système incluant les modèles et les structures établis (règles et lois, institutions, associations et réseaux, infrastructures et routines). Le manque d’interaction, entre différents porteurs d’intérêts, conduit à une fragmentation de la gouvernance produisant des solutions sous-‐optimales au niveau des régimes sociotechniques.
3) Les activités opérationnelles font référence aux expériences et actions organisées sur le court terme, le plus souvent portées par les entreprises et les industries dans un contexte de projets ou de programmes innovants, généralement qualifiées d’« innovation ». À ce niveau, les actions sont conduites par des individus « avant-‐
55 « The governance or network-‐processes actors co-‐evolve with these broader societal system dynamics.
Societal actors (governments, business, scientists, nongovernmental organizations [NGOs], intermediary organizations) create formal and informal networks because they have partially overlapping interests, and they find benefits in temporarily sharing certain resources and working together toward shared objectives—something that they cannot do well without each other and that they can better achieve jointly than individually. Within networks, decisions and strategies are developed, negotiated and implemented that lead to changes in societal structures, which in turn structure the governance patterns» (Loorbach, 2010, p. 165).
gardistes » sur la base d’aptitudes entrepreneuriales ou d’innovations prometteuses. Dans la pratique, ces innovations émergent sous forme de « niches » et il est rare de les voir aboutir à des innovations engendrant des transitions.
4) Les activités réflexives sont liées au contrôle et à l'évaluation des politiques publiques en place et des changements sociétaux en cours. Ces activités sont recensées au sein des institutions établies mais elles sont aussi ancrées socialement, notamment par les médias, qui sont identifiés comme porteurs d’un rôle dans l'influence des opinions publiques. La science a aussi un rôle clé dans les activités réflexives puisque les chercheurs analysent et évaluent ces processus sur le long terme (Loorbach, 2010).
Conclusion
Le transition management nous donne un exemple d’une pratique de gouvernance renouvelée appliquée à la gestion urbaine. En accompagnant le développement de niches d’innovation, les médiateurs professionnels concourent à la transition durable de la ville.
Transposé au périurbain, le transition management et, plus particulièrement, la perspective multi-‐niveaux de Geels permettent d’envisager nos questionnements initiaux sous un nouvel angle :
§ Le système de production du périurbain — rapporté dans le premier chapitre — constitue un régime sociotechnique fonctionnant selon des logiques de marché et des moteurs idéologiques précis, décrivant a fortiori le mode de fonctionnement d’une époque.
§ L’économie de marché constitue le fondement du paysage sociotechnique dominant. Cependant, celle-‐ci dominait, presque seule56, jusqu’à la fin des années 1980. Depuis, le
développement durable est rapidement monté en puissance grâce à sa formulation collective au niveau supranational.
§ Au sein de cet environnement sociotechnique, Bimby et le New Urbanism — que nous introduisons dans le contexte spécifique de la recherche — constitueraient des niches d’innovations. C’est en tout cas une hypothèse que nous faisons.
En s’inscrivant dans cette perspective analytique, nous questionnons la capacité de ces deux dispositifs à enclencher une transition, autrement dit, à bouleverser le système de production institué créant de « l’insoutenable ». Pour cela, deux approches nous semblent pertinentes :
56 La perspective multi-‐niveaux de Geels montre que les gouvernements et les institutions supranationales
font également partie du paysage sociotechnique. Ce qui explique par ailleurs la montée en puissance rapide du développement durable.
§ Premièrement, il s’agit de faire un constat objectif montrant que ces « niches » ont une incidence spatiale sur la fabrique du périurbain. Ce premier angle d’étude nous permet d’envisager un constat concret pouvant servir de témoin.
§ Deuxièmement, à l’instar des propos exposés sur la gouvernance, il s’agit de mesurer le degré d’influence du public impliqué. Ce deuxième angle d’étude nous permet de saisir la part de responsabilité des différents acteurs dans l’évolution constatée ou non des formes urbaines et architecturales du périurbain.
Mais avant de voir plus précisément comment nous avons abordé ces deux approches, il est nécessaire de revenir sur l’origine même des pratiques comparées. En effet, dans l’introduction générale nous précisons comment nous avons été amené à penser la réversibilité de notre question de recherche. Par là, nous entendions comprendre l’influence de l’environnement exogène sur ces pratiques de niche. Cette étape préalable nous permettra au terme de cette recherche de voir comment elles peuvent monter en puissance, bouleverser le régime sociotechnique de la fabrique périurbaine et instaurer une nouvelle logique de fonctionnement, plus durable (fig. 2.6).
Figure 2. 6 : Représentation graphique de la problématique inscrite dans la perspective multi-‐niveaux de Geels57.
57 Les tableaux, schémas, représentations graphiques et photos dont la source n’est pas précisée dans la
Chapitre 3 : Bimby et le New Urbanism — des pistes de
réflexion pour un tournant durable du périurbain ?
Introduction
Bimby et le New Urbanism constituent les deux pratiques sur lesquelles cette recherche se focalise. L’introduction générale revient sur deux points fondamentaux qui nous permettent de les mettre en perspective afin de répondre aux problématiques de la recherche. À ce titre, nous évoquions des postures d’action spécifiques sur la fabrique périurbaine basées sur une critique des modes d’intervention de l’époque moderne. Mais aussi, l’existence d’un axe de travail commun se focalisant sur le renouvellement de l’urbanisme pavillonnaire — objet architectural et urbain que nous avons par ailleurs choisi d’étudier pour sa représentativité du fait périurbain. Comme nous le verrons dans ce chapitre, nous trouvons un intérêt particulier à analyser ces pratiques professionnelles. Cependant, avant d’explorer ce qui se passe « à l’intérieur », nous avons décortiqué un épais corpus de publications s’y référant. Si l’objectif initial est ici de voir comment Bimby et le New Urbanism s’insèrent dans un environnement sociotechnique existant afin de comprendre plus précisément comment ils abordent le durable, il a d’abord fallu faire la part entre les nombreux articles subjectifs et les rares articles critiques et scientifiques pour se saisir du fonctionnement et des principes durables des pratiques étudiées.
En effet, cet autre point commun à ces deux pratiques illustre une capacité à produire du contenu et à le publier, dès leurs débuts. Certains y verront une manière d’auto-‐justifier un travail qui n’a pas encore fait ses preuves sur le terrain.
Ainsi, nous avons constaté un « tournant scientifique » du New Urbanism au début des années 2000. Andrès Duany, leader charismatique du mouvement, s’associe à Emily Talen, universitaire rattachée à Arizona State University, pour sortir des carcans dogmatiques initiaux et envisager des vérifications expérimentales et scientifiques des grands principes du mouvement. Le CNU entre alors dans une deuxième phase, non plus auto-‐justificatrice, mais auto-‐évaluatrice. Ces articles, bien que fondés scientifiquement, caractérisent une autre forme de « travail à risque subjectif » dont l’observateur externe doit savoir se détacher en allant chercher des analyses extérieures au mouvement, sans oublier, là encore, de s’assurer connaître leur origine idéologique.
Pour Bimby, l’ordre de constitution est inversé. Cette démarche d’urbanisme émane d’un programme de recherche. Elle est donc construite scientifiquement et testée sur le terrain
concomitamment. Le soutien de l’ANR a permis une visibilité médiatique sur laquelle les instigateurs du Bimby ont su s’appuyer. Trop, selon certains auteurs (Robin, 2013). À tel point que le site Bimby.fr recense plus de deux milles articles publiés depuis 2012. Ce foisonnement d’articles produits par des acteurs du mouvement ou en faisant la promotion est à mettre en face de la vingtaine d’articles critiques publiés par des chercheurs extérieurs ou par des déçus (non moins subjectifs) de Bimby. L’inégalité numérique des publications montre bien le difficile équilibre auquel nous devons nous prêter en tant qu’observateur externe.
Ainsi pour comprendre comment ces pratiques, somme toute récentes, s’insèrent dans un environnement sociotechnique complexe, il nous a fallu observer un détachement objectivant. Pour y parvenir, nous avons opté pour une démarche explicative revenant d’abord sur l’origine et les principes fondateurs des pratiques, explorant ensuite les stratégies urbaines et architecturales, avant de conclure sur les modes d’intervention. À chaque étape, nous veillons à présenter différents points de vue, soulignant l’existence d’un débat d’idées et de valeurs, tout en précisant d’où parle l’auteur.