2.2 aux réalités locales
1. Délimitation du champ d’exploration
1.4. Lire les modalités de l’action grâce à un jeu d’acteur identifié
Dans le chapitre consacré à la gouvernance, nous faisons état du nécessaire renouveau des modes de gouvernance périurbaine. Nous avons vu comment, en passant d’un modèle hiérarchique de conception à un modèle négocié, les acteurs de la fabrique urbaine se sont diversifiés au cours des quarante dernières années. À l’instar de G. Pinson, nous plaidons pour la nécessité de ne plus minorer le poids des relations horizontales entre les acteurs de l’urbain, car ces relations se jouent à l’endroit même du projet.
Reconsidérer la fabrique de la ville sous cet angle impose non seulement d’impliquer ces acteurs mais aussi de reconnaître leurs rôles et leurs fonctions. Bernard Lahire (1998) a montré qu’un acteur ne peut se réduire à un seul « principe générateur ». L’acteur est aujourd’hui « pluriel » qui agit dans une multiplicité d’univers socialisateurs, préfigurant des dispositions sociales
diverses. Cette complexité rend donc quasi impossible de réduire un acteur à une « formule génératrice » tant les compétences ou les dispositions déployées en fonction d’un contexte d’action peuvent être plurielles. De fait, l’auteur nous met face à l’une des limites de la majorité des courants de la philosophie occidentale en pointant du doigt la permanence de l’unité de l’individu :
« L’homme est souvent analysé en tant qu'élève, travailleur, consommateur, conjoint, lecteur, pratiquant d'un sport, électeur, etc. Or, dans des sociétés où les hommes vivent souvent simultanément et successivement des expériences socialisatrices hétérogènes et parfois contradictoires, chacun est inévitablement porteur d'une pluralité de dispositions, de façons de voir, de sentir et d'agir » (Lahire, 1998).
Face à cela, de récents travaux menés par Yves Sintomer (2008) et Héloïse Nez (2011) nous ont permis de prendre le recul nécessaire à cette complexité qui laisse à penser que les uns peuvent être possiblement les autres. Loin de contester l’existence de l’ « acteur pluriel », il apparaît qu’en partant des mécanismes d’échange et de partage qui président aux relations entre acteurs, il soit possible d’envisager une typologie de savoirs (Fig. 4.2), nous permettant ensuite de préciser une typologie d’acteurs (Fig. 4.3).
Pour H. Nez qui cherche à analyser les « savoirs citoyens », la catégorie d’analyse de ces savoirs, que l’auteure regroupe sous forme d’une typologie, « est aussi une catégorie d’action » (2011, p. 388). Et, ces savoirs sont forcément pluriels :
« Dans le champ urbain, les individus et les collectifs ne sont pas limités à l’expression d’un seul savoir d’usage, pour lequel ils sont en général sollicités, mais ils peuvent également mobiliser une expertise technique et des savoirs militants. La démocratie participative a ainsi pour effet une ouverture du cercle des savoirs et un certain brouillage des limites de la possession des savoirs dans le champ urbain » (Nez, 2011, p. 402).
Figure 4. 2 : Typologie des savoirs formant deux catégories d’action (adapté de Sintomer, 2008 et Nez, 2011).
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Les travaux de Y. Sintomer (2008) montrent quant à eux que les citoyens sont inégaux face aux compétences nécessaires pour s’adapter aux différents types de débats que la démocratie participative propose. Ainsi, certains citoyens, les plus dotés en ressources professionnelles, intellectuelles, voire même militantes, sont amenés à passer d’un type de savoir à un autre afin de s’adapter aux prérequis d’une situation et défendre une légitimité. Alors que pour d’autres citoyens, il semble difficile de faire valoir un type de savoir et donc une forme de légitimité. Malgré ces limites, l’approche typologique mise en place par ces chercheurs montre que les citoyens disposent bien de savoirs spécifiques mobilisables et légitimes.
C’est donc de cette typologie des savoirs que nous sommes parti pour distinguer des catégories d’action regroupant les acteurs de la fabrique du périurbain (Fig. 4.3) :
Figure 4. 3 : Typologie d’acteurs utilisée pour l’analyse de la phase de conception.
§ Les « acteurs médiateurs » renvoient au groupe de professionnels engagés par la collectivité pour faire le lien entre le gouvernement et la société civile. Avant de préciser les modalités de leurs rôles, nous ferons référence à leur compétence par l’expression « conception-‐médiation » dans la mesure où ils agissent en tant qu’intermédiaires au moment particulier de la conception.
§ Les « acteurs porteurs d’intérêts » représentent, comme leur dénomination l’indique, une variété d’intérêts divergents, potentiellement conflictuels. L’objectif du concepteur-‐ médiateur est de s’assurer que les thèmes abordés le soient en présence de tous les acteurs potentiels et que chacun s’exprime. Cette catégorie d’action regroupe de manière non-‐exhaustive une majorité de la société civile. Elle nous permet également de prendre en compte les stakeholders* américains que T. Kirszbaum traduit par « parties prenantes » (2013, p.18) et qu’il décrit comme les partenaires extérieurs d’une
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community mais dont l’action au sein de la « communauté élargie » (community at large) est indispensable.
§ Les « acteurs ressources » forment un ensemble de conseillers qui, par leurs savoirs, vont intervenir à différents moments du projet pour l’éclairer, le débloquer ou le faire avancer. Ils ont un pouvoir facilitant (Boutinet, 2010). À l’intérieur de cette catégorie d’action, nous retrouvons deux types d’acteurs : des acteurs proches intervenant de manière régulière et apportant des connaissances sur la situation locale en lesquelles les professionnels ont confiance. On retrouve notamment les techniciens de la collectivité dans cette catégorie et des acteurs externes, dont l’intervention plus ponctuelle vient supporter une situation dans un domaine de compétences précis.
Enfin, pour ne pas cloisonner cette typologie d’acteurs et exprimer la pluralité des profils, nous prendrons garde à préciser sous quelle compétence et sous quelle catégorie de savoir intervient un acteur qui aurait différents intérêts affichés et/ou cachés.