2.2 aux réalités locales
2. Explorer les conditions de projet du renouvellement périurbain
2.2. a La « neutralité engagée »
Selon Saunders et al., l'observation participante souligne l’importance attribuée aux données qualitatives. Cette approche empruntée aux méthodes ethnographiques nous intéresse particulièrement dans la mesure où elle laisse les processus exister par eux-‐mêmes. Avec cette méthode d’enquête, le chercheur a effectivement le choix de plus ou moins s’impliquer dans ce qu’il observe afin d’en obtenir des informations de différentes natures (Saunders, Lewis, Thornhill, 2003).
S’il nous apparaît assez naturel de rejoindre les équipes de conception pour « vivre » de l’intérieur les ateliers participatifs, l’articulation entre une implication sincère et l’observation d’un détachement par rapport à l’objet de recherche est moins évidente. Cette posture de recherche questionne donc l’engagement et la distanciation du chercheur par rapport à son objet de recherche. Nathalie Heinich nous rappelle à ce titre que si le chercheur pragmatique est engagé dans le changement social qu’il poursuit, ses observations sont également au service de son travail de chercheur. Comment, face à cette ambigüité, le chercheur impliqué dans le changement social peut-‐il rester distant, voire « neutre », par rapport à son objet de recherche ? Pour N. Heinich qui défend l’existence d’une « neutralité engagée » en sociologie, le chercheur pragmatique peut tout à fait observer de la distance sans être moins engagé. L’auteure met ainsi en évidence le « rôle social » du chercheur en reprenant l’opposition entre « engagement » et « distanciation » révélée en premier par Norbert Elias (1983). Ce rôle consacre une « neutralité axiologique134 » (portant sur les objets de la recherche) mais n’empêche pas pour autant la
suspension de prescriptions épistémiques (portant sur les moyens de la recherche). Ainsi, pour l’auteure :
« La neutralité n’est pas incompatible avec l’engagement : loin de n’être portée que par un souci de pureté, de distanciation à l’égard des objets investis par les acteurs, elle permet au contraire de se rapprocher de ce qui les agite, non pour prendre parti avec eux mais
134 La neutralité axiologique est définie par l’auteure comme un mouvement visant à « cesser de
redoubler les adhésions ou les critiques opérées par les acteurs, pour expliciter les conditions auxquelles ces adhésions et ces critiques se nouent à leurs objets, dans un sens ou dans un autre » (Heinich, 2002, p.122).
pour comprendre pourquoi ils ont tellement à cœur de le faire, et comment ils s’y prennent » (Heinich, 2002, p. 126).
La « neutralité » du chercheur dépend donc d’une combinaison entre une posture d’intervention et du registre d’énonciation qu’il adopte, impactant, par ailleurs, directement la nature des informations recueillies (Fig. 4.5). Ainsi, le rôle du chercheur engagé est défini par N. Heinich comme :
« Un rôle de médiation, de construction de compromis entre les intérêts et les valeurs en jeu, voire de refondation d’un consensus » (Heinich, 1998, p.81)
Cette posture de recherche, à laquelle nous souscrivons, nous a donc poussé à adopter deux grandes postures d’intervention :
§ Celle d’expert, pour laquelle nous avons rejoint les équipes de conception par notre qualité d'urbaniste et de médiateur : au Lawrence Group dans le cas des design charrettes et à Villes Vivantes pour la démarche Bimby. D’abord en nous formant à la pratique en question, puis en nous immergeant au sein de ces équipes professionnelles, nous avons adopté l’attitude deweysienne du learning by doing. Nous valorisons alors des résultats tirés d’une approche dans laquelle, en apprenant par l’action et le partage de situations communes variées, nous sommes arrivé à un niveau d’entendement plus fin des modalités de l’action de Bimby et du New Urbanism.
§ Celle de chercheur, qui nous anime depuis le départ et pour laquelle nous cherchons à comprendre et expliquer le fonctionnement du renouvellement périurbain. Cette posture nous engage donc à une « éthique de responsabilité » vis-‐à-‐vis de la science, sans pourtant nous priver de notre « éthique de conviction ». Le chercheur a donc pour mission de décrire et d’analyser les faits qu’il aura observés avec un degré d’implication plus ou moins fort en fonction de la posture privilégiée.
Figure 4. 5 : Les postures d’intervention prise au cours de la recherche (adapté de Heinich, 2002).
Les données générées par ces postures sont basées sur un processus d'interaction sociale nous impliquant dans la compréhension de la réaction et des attitudes des personnes observées dans
!"#$%&'()*+,$'&-',$+", .'/&0()*+123+45$+",()5,#( 3'()0&"%30()'(3*5$'3+'& 6'/+#$&'()*0,",4+5$+", 75$%&'()'#(+,8"&15$+",#( &'4%'+33+'# !"#$%&' '''''''(%)*+,-&$ '''''''./0,*&$1% 23$%43$1% 5*,)6$ 7+*68&,49:0$-4%,#&,; <$-4%,#&,=$-'$&'*+*68&,>1$- 59%& ?=*61*&,;'$&'#%$-4%,#&,; @%$-4%,#&,=$-'$&'
les ateliers participatifs d'urbanisme. En nous focalisant sur le sens que les participants donnent à leur action plutôt que sur la fréquence de ces actions, nous explorons les significations et les interprétations sociales des sujets en fonction des tenants et aboutissants du projet.
Selon Saunders et al. (2003), la compréhension en profondeur d’un tel processus passe par le partage et l’implication au sein de situations de projet dans lesquelles les parties présentes interagissent. Ainsi, au cours de l’atelier, nous organisons nos observations autour de l’étude descriptive de la succession de situations. Par là, nous souhaitons rendre compte d’une réalité sociale que nous revisitons par l’expérience immédiate du processus. Cette double interaction avec le processus nous permet de faire ressortir un niveau d’interprétation explorant de nouvelles significations dans l’intérêt postérieur d’élaborer une critique constructive.
2.2.b. Entretiens
Afin d'éviter les dérives d'un interprétationisme influencé par le citoyen ordinaire (que le chercheur peut redevenir à l’occasion) et de clarifier certains propos, ces observations sont contrastées par des entretiens conduits, dans un second temps, auprès de certains acteurs observés.
Ces entretiens sont opérés in situ pour les cas de Greenville, Prince Frederick, Vigoulet-‐Auzil et Challans et a posteriori, par contact téléphonique ou courrier électronique, dans les cas de Hercules, Contra Costa Centre et Bouray-‐sur-‐Juine (cf. infra). Pour ne pas trahir la réalité du terrain, les propos collectés au cours des entretiens sont rapportés dans leur langue originale, en note de bas de page, puis, repris dans le corps analytique du texte sous forme de synthèses interprétatives. Le référencement de ces entretiens est regroupé sous forme de tableau synthétique situé en annexe (cf. annexe 4).
Aussi, en choisissant la méthode des entretiens, nous insistons sur la préférence que nous portons au processus plutôt qu’au produit135 dans la mesure où l’entretien (source de données
qualitatives) permet d’obtenir des réponses plus détaillées, précisant des observations et s’intéressant à la signification que les entretenus attribuent à l’atelier :
« L’entretien constitue un outil permettant d’aider les entretenus à rendre plus explicites des idées implicites, afin d’articuler des perceptions, des sentiments et compréhensions tacites » (Arksey, Knight, 1999, p. 32).
Deux types d’entretiens — documentés par des prises de notes et par des enregistrements sonores — ont donc été privilégiés :
§ Des entretiens semi-‐directifs constitués sur la base du jeu d’hypothèses donnent lieu à un questionnaire (cf. annexe 3) permettant d’interroger les deux pratiques sur les mêmes points. Toutefois, la part de liberté au sein des entretiens reste assez grande dans la mesure où l'orientation de nos recherches nous impose de laisser aux entretenus la possibilité d'être expansifs.
§ Des entretiens ouverts, prenant la forme de conversations spontanées, où les questions posées sont progressivement formulées. Cette technique offre une certaine flexibilité et livre des données ouvertes, et bien qu'elles soient par la suite plus difficiles à analyser, elles fournissent des données précieuses dans le cadre d'entretiens permettant de revenir sur des incidents critiques. Ces derniers, définis par des événements qui produisent des réponses émotionnelles chez une personne (Gray, Griffin, Nasta, 2005), forment une approche qualitative qui repose sur les commentaires oraux et à chaud des participants à l'incident. Dans la mesure du possible, nous avons cherché à rencontrer une deuxième fois les personnes entretenues dans ces situations pour voir si les commentaires à froid correspondaient aux propos tenus la veille ou l’avant veille.