2.2 aux réalités locales
1. Le New Urbanism : principes et outils au service du renouvellement périurbain américain
2.3. c De la démocratisation de l’urbanisme et de l’architecture
Dans un plaidoyer humaniste, Thierry Paquot faisait, déjà en 1999, le constat d'une nécessaire démocratisation de l'architecture et de l'urbanisme en se basant sur le désintérêt notoire et la passivité des habitants envers les plans d'urbanisme et où il proposait une réintroduction des thématiques à l'école et dans les médias. Mais pour cela, il fallait également que les métiers de
la ville, qui se disaient alors « en crise », opèrent une mutation profonde et se décloisonnent, tout autant qu'il fallait que les villes, principaux organes de la gouvernance locale, assument une temporalité propre à leur aménagement spatial, et donc humain, détachée des flux financiers mondiaux dont l'intérêt contradictoire se porte sur le court terme (Paquot, 1999).
C'est dans cette logique de démocratisation des pratiques que la démarche Bimby a mis en place une diffusion libre et ouverte du processus et de ses principes à travers une plateforme open source. Bimby.fr est non seulement un moyen de communiquer sur les avancées initiales du projet de recherche mais elle véhicule également, auprès du grand public, une boîte à outils pour mieux accueillir les injonctions à la ville durable.
Participant d'une pratique éminemment politique129, la démarche Bimby repositionne
indirectement la notion de densité au centre du débat public en offrant une alternative au discours normatif et en transmettant l'idée qu'une plus grande démocratie puisse faire émerger des solutions encore inexploitées (Miet, 2012a). Cependant, en dénonçant une série de contradictions portées par le discours normatif130 et en se contentant de maintenir des réflexes
consuméristes et spéculatifs131, la démarche Bimby s’expose au paradoxe d’une pratique qui
conserve un statu quo :
« Un an après notre atelier participatif, à l’issue de nombreuses rencontres avec les habitants et une tentative d’acculturation de la population aux problématiques du pavillonnaire, c’est le statu quo à Pont-‐Audemer. L’absence de volontaires pour jouer le jeu de densification […] trahit la difficulté concrète de transformer » (Robin, 2013, p. 101). Répondant à ces critiques, C. Andreault avance que la démarche n’incite pas aux réflexes évoqués par E. Robin :
129 « La politique de la ville — qui est, par nature, interministérielle — sur le « terrain », devrait être
interprofessionnelle et permettre le débat entre des personne qui bien souvent s’ignorent, alors même qu’elles participent d’une manières ou d’une autre à la vie de la cité » (Paquot, 1999, p. 30).
130 « De nombreuses institutions "urbanistiques" sont aujourd’hui confrontées à plusieurs sortes de
contradiction interne : d’une part elles délivrent un message « Grenelle » incitant les communes à ne pas s’étendre, afin de limiter les déplacements et de préserver les terres naturelles et agricoles ; et d’autre part, dans le cadre du Grand Paris par exemple, elles sont amenées à demander aux communes des objectifs de construction de logements bien plus élevés que la production actuelle. D'une part elles incitent à restreindre les droits à construire en extension, contribuant ainsi à créer la rareté foncière, alors que d'autre part elles prônent une action publique forte en faveur de la maîtrise des coûts du foncier. D'une part elles invitent à privilégier les opérations d'ensemble en renouvellement urbain, cherchant des terrains au sein des tissus déjà urbanisés, qui sont aussi les plus chers, et d'autre part elles aspirent à produire des logements plus accessibles financièrement. » (Miet, 2012a).
131 « Contrairement aux affirmations des auteurs du programme de recherche Bimby, d’autres outils de
transformation existent. […] Des pratiques qui favoriseraient l’implication des habitants sur leur quotidien plutôt que des réflexes consuméristes et spéculatifs » (Robin, 2013, p. 101).
« C’est en diffusant l’idée que chacun des propriétaires d’une maison individuelle peut devenir vendeur de foncier à bâtir que la spéculation diminue. Et c’est en figeant ces quartiers que la spéculation apparaît sur les quelques dents creuses constructibles qu’il reste sur la commune. Par ailleurs, on observe que sur les territoires à forte pression foncière, un des scénarios pensés par les habitants est de donner un bout de terrain à un enfant qui ne parvient pas à acquérir aux alentours, donc ni consumérisme, ni spéculation » (entretien, 179/2015).
Nous laissons pour le moment le débat ouvert car il nous permet de rejoindre une des questions qui anime notre recherche. En quoi les ateliers de micro-‐conception participent-‐ils d’une modification des structures de production de l’habitat périurbain ?
Nous l’aurons compris, la démarche Bimby est une pratique professionnelle encore récente, remettant audacieusement en question les stratégies de production du périurbain, mais dont les leviers urbanistiques sont critiqués (Robin, 2013 ; Charmes, 2014). Il n'en demeure pas moins qu'au regard des éléments qu'apporte la théorie des SST sur la notion de transition, l'ouverture du champ des possibles par la démarche Bimby permet de reconsidérer le rôle des habitants, des professionnels, des élus et des acteurs d'une filière locale de construction tout en se basant sur les pratiques sociales existantes comme moteur de l'innovation.
À y regarder de plus près, la filière libre existe déjà (Vilmin, 2012) et Bimby n'opère qu'un ajustement dont la finalité est la recherche de cohérence urbanistique. Toutefois, cette filière repensée cherche un compromis entre les nécessités d'un domaine technique et les aspirations utopiques et contradictoires d'une société plurielle. Elle concourt à l'idée d'une modernisation réflexive132, en œuvrant à l'objectif de développement durable, sur le long terme, par le biais
d'un processus de gouvernance qui repositionne toutefois l'urbanisme et l'architecture dans le giron de l’innovation sociale.
Conclusion
De ce chapitre dressant un état des connaissances sur Bimby et le New Urbanism nous retiendrons la spécificité de ces deux pratiques à développer une approche soutenant une vision durable du périurbain selon trois ordres :
132 La modernité réflexive renvoie à la troisième phase du changement sociétal décrit par U. Beck. Alors
que la modernité est coextensive aux sociétés industrielles, la modernité réflexive correspond à la « société du risque » (risk society) qui a notamment pour effet de repositionner les experts au centre de l’attention politico-‐médiatique afin d’imposer des agendas prenant en compte les risques liés aux processus issus de la modernité technologique (Beck, 1992).
§ Spatial : par la promotion de formes plus denses, ces pratiques renouvellent les principes sur lesquels le périurbain s’est construit,
§ Social : en intégrant dans leur mode d’intervention un panel d’acteurs variés, Bimby et le New Urbanism cherchent à répondre à l’enjeu de recomposition des jeux d’acteurs de la fabrique de la ville,
§ Opérationnel : en s’inscrivant dans un héritage théorique de l’urbanisme, ces pratiques développent des stratégies urbanistiques et architecturales qui s’insèrent dans les documents réglementaires de leur pays respectif.
C’est peut-‐être cette capacité à proposer des réponses à des questions d’ordre théorique ainsi qu’à des préoccupations opérationnelles qui leur assure un tel déploiement.
Ainsi, l’état de l’art mis en évidence dans les trois premiers chapitres de ce manuscrit pose un certain nombre de questions associant l’état actuel du périurbain à un système de production qui peine à s’adapter aux évolutions de notre société contemporaine. En introduisant Bimby et le New Urbanism dans le débat, nous proposons de construire un dispositif de recherche dont l’objectif est de tester leur impact spatial, social et opérationnel respectif. Puis, en comparant les résultats de cette analyse nous espérons pouvoir contribuer au débat sur la ville durable.
Chapitre 4 : Construction du dispositif de recherche —
comment étudier l’impact socio-‐spatial de pratiques
récentes visant un renouvellement durable du
périurbain ?
Introduction
Les trois chapitres précédents constituent un état de l’art sur le périurbain français et américain et leurs modes de production. Ils précisent à ce titre le sujet de cette recherche en se focalisant sur les moyens du renouvellement périurbain. S’il nous apparaît pertinent de mettre en regard, et a fortiori, de comparer Bimby et le New Urbanism, la comparaison internationale n’est pas un exercice aisé. Elle requiert en effet la construction d’un protocole spécifique lié à la collecte de données mais aussi d’un protocole d’analyse des matériaux issus des enquêtes de terrain. A l’instar des propos d’Emmanuel Négrier, nous cherchons ici à expliciter notre parcours en :
« rendant compte des chemins tortueux de l’épreuve empirique plus qu’en les masquant ; en reconnaissant sa dette au terrain, plutôt qu’en l’embrigadant dans un canevas tout prêt » (Négrier, 2005, p. 524).
Comme vu en introduction générale, cette recherche est inscrite dans le champ disciplinaire de l’architecture. Elle articule la nécessité de comprendre une logique de projet — qui est la logique socio-‐spatiale par laquelle la ville se transforme — avec la capacité des pratiques étudiées à réellement innover, notamment du point de vue de l’aspect social du développement durable. Nous commencerons donc ce chapitre par situer le « projet » dans la recherche sur la ville. Ensuite, nous verrons comment la discipline architecturale nous invite à considérer la phase d’élaboration du projet comme le lieu de l’action pour notre recherche.
Dans un deuxième temps, nous entrerons plus précisément dans le développement du protocole général de cette recherche en nous basant sur la première hypothèse de travail. La méthodologie se décompose alors en deux étapes. D’abord, nous construisons la méthode d’enquête liée à l’étude des processus de design charrette et de micro-‐conception. Puis, nous présentons la méthode et le protocole constituant l’analyse typomorphologique. Cette deuxième étape, focalisée sur une perspective historique du périurbain, vient alors compléter la mise en évidence d’un tournant pour le périurbain en se concentrant, à cet endroit, uniquement sur les formes urbaines et architecturales.
Enfin, les méthodes de la comparaison permettent d’expliquer comment l’association de ces deux approches (ethnométhodologique et typomorphologique) entraîne finalement la construction de sens conduisant à une prospective pour la ville durable française.