New Urbanism Introduction
1. La design charrette : dispositif collaboratif du New Urbanism
1.1. Définitions et limites
Les design charrettes sont les ateliers publics d'urbanisme élaborés par le mouvement du New Urbanism. Ils correspondent à une forme d'engagement spécifique impliquant une gamme variée d'acteurs du territoire au cours d'une période de projet intensive et dont la vocation collaborative s'appuie sur des outils visant à faire émerger un consensus dans un contexte de créativité. Dans un ouvrage visant à théoriser le processus, Lennertz et Lutzenhiser le définissent comme « un atelier d’urbanisme collaboratif qui se déroule in situ sur une période de quatre à sept jours, impliquant dans la décision finale tous les acteurs porteurs d’intérêts197 ». Dans un ouvrage consacré à la
charrette comme outil au service du développement urbain durable, Patrick Condon oppose le caractère collaboratif de ces ateliers aux pratiques individualistes des méthodes classiques de réunions publiques bridant la résolution de problèmes complexes (Condon, 2008). Il formule à cet effet une définition plus générale :
« La charrette constitue un événement de conception urbaine limité dans le temps et organisé afin de générer un projet collaboratif pour une community durable198 » (Condon, 2008, p. 1).
197 « A collaborative design and planning workshop that occurs over four to seven consecutive days, is held on-‐
site and includes all affected stakeholders at critical decision-‐making points » (Lennertz, Lutzenhiser, 2006, p. 3).
198 « A design charrette is a time-‐limited, multiparty design event organized to generate a collaboratively
Comme le rappelle très justement T. Kirszbaum, « en langue anglaise, le terme community revêt une signification d’abord géographique, signifiant tout simplement le quartier » mais il fait aussi référence à « ceux qui vivent dans le quartier et à ce qu’ils partagent en commun » (Kirszbaum, 2013, p. 18). Ainsi, afin de ne pas porter à confusion avec la connotation péjorative française désignant « des territoires où les minorités ethniques sont minoritaires » (p.18), nous adopterons dans notre propos le terme community en anglais.
Par ailleurs, la redondance du terme « collaboratif » dans les définitions du processus de design charrette nous renvoie aux travaux de Patsy Healey, qui conceptualise l'émergence d'une nouvelle forme de gouvernance dans le contexte néolibéral de l'Angleterre thatchérienne. Influencé par la théorie de l'action collective habermasienne et la théorie de la structuration d'Anthony Giddens, le collaborative planning (Healey, 1997) se base sur une critique du système de planification néolibéral. Ce champ est également exploré par d'autres chercheurs européens et américains sous le terme de communicative planning theory (Innes, 1995 ; Forester, 1989 ; Hoch, 1988 ; Baum, 1996). Ces recherches, qui offrent une approche soulignant les interactions et les interdépendances au sein des systèmes d'acteurs des régions urbaines, mettent en évidence les complexités du pouvoir et de la gouvernance, sur lesquels le développement durable insiste aussi. Empruntant leur terminologie à la littérature du management, ces auteurs font ressortir l'importance de la notion de consensus, qui émerge aux Etats-‐Unis à la fin des années 1990 (Susskind, McKearnan, Thomas-‐Larmer, 1999). De la même manière mais à une échelle différente, Christopher Day, qui considère l’architecture comme un « art social » (Day, Parnell, 2003, p. 3), schématise un processus de conception consensuelle (consensus design workshop) en distinguant particulièrement des temporalités d'implication en fonction des rôles et responsabilités des acteurs (Fig. 6.1). Selon cet auteur britannique, le consensus vise à s'accorder volontairement et collectivement sur ce qu'il y a de mieux pour le groupe, sans passer par le vote. Inversement, le vote forme un processus démocratique qui contourne les velléités minoritaires. Le processus de consensus building* s'appuie donc sur l'art de l'argumentation et de la persuasion, conduisant nécessairement à des formes de compromis de la part de certains acteurs ou groupes d'acteurs (Day, Parnell, 2003).
Figure 6. 1 : Les différentes temporalités d'implication des acteurs du projet urbain en fonction des processus (Day, Parnell, 2003, p. 14).
Le vocabulaire et les outils utilisés par le New Urbanism rallient les concepts du collaborative planning et du consensus building et y adjoignent ceux de la planification stratégique (Grant, 2006), notamment en se référant aux participants par le terme de « stakeholders » et en les engageant à des moments clés en fonction d'un degré d'importance déterminé au cours de l'analyse du jeu d'acteurs. Schmitter, cité par Swyngedouw (2005), met en évidence la variété d’acteurs que contient le terme stakeholders et précise différentes catégories de porteurs d’intérêts (Fig. 6.2). Toutefois, à l’endroit du New Urbanism, il apparaît que ces catégories ne sont pas aussi détaillées. E. Swyngedouw précise dans ce sens qu’une telle catégorisation est « inconsciente » et impossible à réunir199.
Figure 6. 2 : Catégorisation des (stake)holders selon Schmitter (Swyngedouw, 2005, p. 1995).
Les design charrettes constituent ainsi, selon Lennertz et Lutzenhiser, un processus généralement assigné aux problèmes de planification les plus complexes et controversés. Cependant, les travaux de C. Day soulignent la crainte de certains professionnels face à l'opposition locale induisant une capacité limitée à accommoder la diversité (Day, Parnell, 2003). J. Grant (2006) rejoint ce constat en avançant que le New Urbanism inclut principalement des « convertis » et des « croyants » ce qui
199 « Of course, such an idealised-‐normative model of horizontal, non-‐exclusive and participatory (stake)holder-‐
based governance is symptomatically oblivious to the contradictory tensions in which these forms of governance are embedded » (Swyngedouw, 2005, p. 1995).
entraîne des réactions parfois hostiles de la part des défenseurs du mouvement200. Ces critiques
conduisent à une remise en question du mouvement, qui occupe le devant de la scène du Congress for the New Urbanism plusieurs années de suite. Jill Grant propose ainsi une revue détaillée de ces interrogations201 sous l'angle de l'authenticité, de l'accessibilité, de la démocratie, de la diversité, de
l'équité et de la durabilité.
Nous constatons que, si le New Urbanism continue d’animer le débat (cf. chapitre 3), un tournant s’opère au début des années 2000. Steven Coyle et Bill Lennertz, anciens architectes chez DPZ, créent le National Charrette Institute (NCI), afin de séparer le processus de design charrette du mouvement New Urbanist. Ainsi après avoir mené un travail de théorisation de la pratique, Lennertz et Coyle, accompagnés de Lutzenhiser, officient au sein du NCI afin de transmettre une méthode de projet au cours de formations professionnelles destinées aux architectes et urbanistes mais aussi aux community organizers. Les charrettes deviennent un processus à part entière. De fait, une collectivité peut solliciter des professionnels du New Urbanism sans avoir forcément recours à un atelier collaboratif. Les deux continuent toutefois d’être associés et certaines collectivités — comme Greenville et Prince Frederick qui ont engagé le Lawrence Group — réclament un projet élaboré sous l’égide de la pratique du New Urbanism, formulé avec les acteurs locaux au cours d’une design charrette.
Avant d’approfondir notre expérience de terrain, il apparaît important pour la compréhension du processus de revenir sur les étapes et les outils du processus que nous formalisons ici suite à la formation suivie auprès du NCI. Le recours aux outils spécifiques du New Urbanism se base sur un phasage précis révélant une ingénierie propre au mouvement développée et adaptée au cours des trente cinq dernières années.