• Aucun résultat trouvé

Le mal : la relation privilégiée des Incas avec Viracocha ou l’influence du diable 97

Chapitre 3 Description et analyse du schéma organisateur de Sarmiento 90

3.1. L’univers de sens du religieux de Sarmiento selon sa position dans le catholicisme : les

3.1.2. Le mal : la relation privilégiée des Incas avec Viracocha ou l’influence du diable 97

Quand Toledo et Sarmiento entreprennent leur tournée de la région, ils sont choqués de voir que le travail d'évangélisation n’est pas bien en place et que les rituels païens existent toujours : « In such places they lived and died like wild savages, worshipping idols as in the time of their Inca tyrants and of their blind heathenism » (2006, 16). Donc, pour Sarmiento, les pratiques religieuses que les Incas et que les autres peuples de la région avaient mises en place relevaient de l’idolâtrie puisqu’ils adoraient des « idols47 and devils » (2006, 16).

Or, pour les Autochtones des territoires péruviens, la croyance en Viracocha comme dieu créateur est au cœur de ces pratiques :

The natives of this land affirm that in the beginning, and before this world was created, there was a being called Viracocha. He created a dark world without sun, moon or stars. Owing to this creation he was named Viracocha Pachayachachi (2006, 25).

C’est aussi Viracocha, dans la version que rapporte Sarmiento, qui a créé une première humanité (premier âge), l’a détruite par le déluge, a créé le Soleil et la Lune, puis, s’étant fait homme48, il se serait fait aider par des survivants du déluge pour favoriser le

47 Markham soutient que la relation avec les différentes représentations du monde de l’au-delà varie chez les Incas, comme chez les chrétiens ; si tous pouvaient croire en Viracocha (comme en Dieu chez les chrétiens), plusieurs prêtaient une dévotion spéciale à différentes entités que l’on pourrait comparer à la dévotion particulière de certains chrétiens pour un(e) saint(e) ou pour des représentations du Christ ou de la Vierge Marie.

« The cult of Uira-cocha by the Incas was confined to the few. The popular religion of the people was the

worship of the founder or first ancestor of each ayllu or clan. The father of the Incas was the sun, and naturally all the people joined in the special adoration of the ancestor of their sovereign, combined with secondary worship of the moon, thunder and ligthning, the rainbow, and the dawn, represented by the morning star Chasca. But each clan or ayllu had also a special huaca, or ancestral god, which its members worshipped in common, besides the household gods of each family » (Markham 1911, 104).

48 « They have the tradition that he was a man of medium height, white and dressed in a white robe like an

alb secured round the waist, and that he carried a staff and a book in his hands » (Sarmiento de Gamboa

2006, 28). Cieza de León, lui, fait la différence entre Ticiviracocha, le Créateur et Viracocha, un autre personnage qui aurait séjourné parmi les hommes, réalisant des miracles et prodiguant des enseignements et en l’honneur de qui aurait été construit un temple à Cacha (voir la figure 7). Il mentionne que les Espagnols l’auraient associé à un apôtre « I went to see the idol, for the Spaniards affirm that it may have been some

apostle. I heard many declare that it had legends written on its hands. But this is nonsense, unless my eyes were blinded, for although I looked closely I could not see anything of the kind. The hands were placed over the haunches, the arms twisted, and on the girdle were indications that the vestments were fastened with buttons. Whether this or any other was intended for one of the glorious apostles who, in the days of his preaching, had passed this way, God Almighty knows. I know not, and can only believe that if he was an apostle, he would work with the power of God in his preaching to these people, who are simple and with little guile; and there would be some vestige of his visit. Yet what we see and understand is that the Devil had very great power over these people, God permitting it, and that in these places very heathenish and vain sacrifices were offered up » (Cieza de León 1883, 7-8). De même, Don Juan de Santa Cruz Pachacuti Yamqui

Salcamayhua, un autochtone du Collao converti au catholicisme, associe Tonapa Viracocha nipacachan à l’apôtre Saint Thomas (Pachacuti-yamqui Salcamayhua 1873, 71).

développement d’une deuxième humanité (deuxième âge). Mais Sarmiento juge que leur récit de création est une fable et qu’il s’agit là d’un mensonge du diable qui a introduit

many illusions, lies and frauds, giving them to understand that he [the devil] had created them from the first, and afterwards, owing to their sins and evil deeds, he had destroyed them with a flood, again creating them and giving them food and the way to preserve it

(2006, 24).

Donc, une première raison pour voir la religion des incas comme négative, c’est qu’elle relève de l’idolâtrie, de la croyance en un faux Dieu, introduit par le diable, alors que les Espagnols croient au seul vrai Dieu, celui des catholiques. En niant la nature divine de Viracocha pour en faire une chimère du diable, Sarmiento ne reconnaît aux Incas aucune mission salvatrice, même s’ils affirment être les descendants de ce Viracocha et qu’ils allèguent entretenir une relation privilégiée avec ce Dieu leur permettant, tout comme le prétendent les Espagnols, d’être les plus riches et les plus habiles à imposer leur volonté aux autres peuples et civilisations.

They said that they were the sons of Viracocha Pachayachachi, the Creator, and that they had come forth out of certain windows to rule the rest of the people. As they were fierce, they made the people believe and fear them, and hold them to be more than men, even worshipping them as gods. Thus they introduced the religion that suited them (2006, 31-32).

Ainsi, les Incas adorant un faux dieu, ils ne peuvent avoir une descendance divine et leur religion et leur projet impérial ne sont que volonté humaine (non divine, comme pour les Espagnols). Selon Sarmiento, les Incas construisent leur religion sur la base d’intentions « evil » :

As these movements took place in many parts by many tribes, each one trying to subjugate his neighbour, it happened that 6 leagues from the valley of Cuzco, at a place called Paccari-tampu, there were four men with their four sisters, of fierce courage and evil intentions, although with lofty aims. These, being more able than the others, understood the pusillanimity of the natives of those districts and the ease with which they could be made to believe anything that was propounded with authority or with any force. So they conceived among themselves the idea of being able to subjugate many lands by force and deception

(2006, 31).

La seule motivation derrière la création de cette religion inca serait donc, pour Sarmiento, l’ambition des êtres humains, ce que prouve d’ailleurs leur comportement, lorsqu’ils cherchent à se faire vénérer eux-mêmes comme des dieux.

As Tupac Inca advanced with such power, force and pride, he not only claimed the subjection of the people, but also usurped the veneration they gave to their gods or devils, for truly he and his father made them worship all with more veneration than the Sun (2006,

68).

Nulle part dans la chronique de Sarmiento les Incas ne sont abordés en fonction de leur capacité à sauver leur âme, encore moins en fonction d’une mission de sauver des âmes

d’autres nations, alors que les Espagnols agissent au nom de Dieu en leur montrant « the road to heaven » (2006, 68). C’est ce qui fait que pour Sarmiento, contrairement à celle des Espagnols, l’agression des Incas envers les peuples environnants est de la pure méchanceté. Ainsi, selon Sarmiento, les Incas se situent du côté du mal, parce qu’ils entretiennent des relations avec le diable et parce qu’ils ont des comportements motivés par la cruauté (les mots « evil » et « devil » apparaissent 29 fois et les dérivés de « cruel » sont utilisés 72 fois).

Contrairement aux Espagnols qui mettaient de l’avant, selon Sarmiento, des « worthy and holy deeds » (2006, 14), les Incas sont « evil » parce que le fratricide aurait été présent dès la première génération de seigneurs incas et parce que cette première génération a fondé son autorité sur le vol des terres des autres nations (2006, 14) alors que « Among Christians, it is not right to take anything without a good title » (2006, 14):

When the Alcabisas saw that the new comers even entered their houses, they said: "These are men who are bellicose and unreasonable! They take our lands! Let us set up landmarks on the fields they have left to us." This they did, but Mama Huaco said to Manco Ccapac, "let us take all the water from the Alcabisas, and then they will be obliged to give us the rest of their land." This was done and they took away the water. Over this there were disputes; but as the followers of Manco Ccapac were more and more masterful, they forced the Alcabisas to give up their lands which they wanted, and to serve them as their lords, although the Alcabisas never voluntarily served Manco Ccapac nor looked upon him as their lord (2006, 38).

Finalement, les Incas sont du côté du mal parce que la seule relation qu’ils entretiennent avec le monde surhumain est avec le diable. C’est ce qu’il laisse entendre, par exemple, lorsqu’il soutient que, à sa mort, l’Inca Pachacuti Yupanqui rendit son âme au diable : « Having uttered these words, he laid his head upon a pillow and expired, giving his soul to the devil, having lived 125 years » (2006, 72). De même, Sarmiento les accuse d’entretenir des relations avec les « oracle[s] of the devil » (2006, 54) et de s’adresser à des nécromanciens (2006, 58, 70) pour interpréter la réalité49 et permettre aux rois incas de justifier leurs actions. De plus, selon Sarmiento, dans leurs cérémonies, leurs offrandes étaient dirigées vers le diable, et ils allaient même jusqu’à pratiquer des sacrifices humains, voire d’enfants.

Besides this House, there were some huacas in the surrounding country. These were that of Huanacauri, and others called Anahuarqui, Yauira, Cinga, Picol, Pachatopan [to many they made the accursed sacrifices, which they called Ccapac Cocha, burying children, aged

49 Pourtant, il est à noter que les rois d’Europe de l’époque faisaient également appel à toutes sortes de techniques divinatoires, dont l’astrologie. Certaines de ces grandes prédictions, dont celles de Nostradamus (père juif converti, ayant vécu de 1503-1566, médecin et conseiller du roi Charles IX, apprécié de Catherine de Médicis et d’Henri de Navarre, le futur Henri IV), sont encore citées de nos jours.

5 or 6, alive as offerings to the devil, with many offerings of vases of gold and silver] (2006,

14).

Cette accusation est par ailleurs fortement controversée, comme le souligne Markham :

The weight of evidence is, on the whole, in favour of this sacrifice of two infants having taken place at the Huarachicu, Cieza de León, in remarking that the Spaniards falsely imputed crimes to the Indians to justify their ill-treatment, says that the practice of human sacrifice was exaggerated (2006, 37).

Une fois situé le mal du côté des Incas en les accusant de relations avec le diable, cela donne encore plus de poids à l’argument de Sarmiento sur la mission divine des Espagnols. La conquête espagnole devient un bien puisqu’elle mettra un terme au mal que représentent l’idolâtrie et la tyrannie des Incas et qu’il s’agit de combattre le diable et son influence sur le monde.

3.1.3. Lecture historiciste du récit de création et rapport l’Autre :

Outline

Documents relatifs