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Histoire de l’empire inca à partir de 12 générations de dirigeants (chapitres 14 à 62) 81

Chapitre 2 Construction des données sociologiques relatives à la chronique retenue, son

2.4. Sujets abordés et ordre d’exposition du discours 75


2.4.5. Histoire de l’empire inca à partir de 12 générations de dirigeants (chapitres 14 à 62) 81

Le récit de Sarmiento passe ensuite, dans les chapitres 14 à 62, à ce qu’il considère être l’histoire (et non la fable) des Incas, soit une généalogie de 12 générations de chefs incas qu’il réussit à situer chronologiquement (sans indiquer comment) par rapport aux papes, empereurs et rois d’Europe (voir la figure 6 dans la section 1.2.2.2). Dès leur origine (voir figure 9 à la page précédente), les Incas semblent avoir exprimé de grandes ambitions (« lofty aims » (1907, 43)) impériales (« they had come forth out of certain windows to rule the rest of the people » (1907, 44)). L’histoire que rapporte Sarmiento montre que chaque souverain inca s’est appliqué à réaliser cet objectif, ce qui leur a permis de passer d’un royaume dans la vallée de Cuzco au grand empire décrit dans la section 1.2.1.2.

Or, nous avons vu comment Sarmiento associe la gloire des princes avec la grandeur de leur empire et le nombre de leurs sujets. Si on se fie aux territoires et aux nations conquis, les Incas devraient donc être perçus comme de grands princes. Par exemple, au sujet de Pachacuti Inca Yupanqui (le 9e Inca), Sarmiento mentionne qu’il avait conquis plus de 300 lieues (1 lieue équivaut à 4,83 km, pour un total de 1449 km) pendant son règne (1907, 139). Pachacuti est ainsi présenté comme un grand réformateur (son nom, Pachacuti, signifie « celui qui retourne le monde »), le visionnaire qui a posé les bases politiques, religieuses, démographiques, techniques et les infrastructures nécessaires au passage d’un royaume vers un empire. Les chapitres 26 à 45 traitent tous de la vie de ce 9e Inca, Titu Cusi Yupanqui, appelé Pachacuti Inca Yupanqui en référence au changement radical qu’il instaura dans l’ordre du monde. Sarmiento souligne que tout le monde croyait que les Chancas, qui attaquèrent Cuzco à l’époque où le père de Pachacuti régnait encore,

allaient gagner la ville, mais Pachacuti réussit à les vaincre. Certains disent même que le Dieu Viracocha aurait intercédé pour qu’il gagne cette victoire (1907, 92). Non seulement il réussi à sauver Cuzco de l’envahisseur, mais il vainquit également les Chancas à l’extérieur de Cuzco et il gagna leurs richesses et territoires. Ce retournement de situation lui valut le titre de Pachacuti et la prise de pouvoir malgré l’opposition de son père, qui se refusa toujours à le reconnaître comme successeur. Son auto proclamation (avant la mort de son père et sans son consentement) était appuyée par sa popularité auprès de la population et d'un grand nombre de capitaines ou Sinchis et sur l'approbation du Dieu Soleil, laquelle a été obtenue suite à des sacrifices qui lui étaient offerts. L'image du Soleil (figure en or de la grandeur d'une personne) se serait alors prononcée en faveur de Pachacuti devant une assemblée réunie dans la Maison du Soleil, ce qui aurait été accueilli par la prosternation des témoins, en disant : Ccapac Inca Intip Churin (Sovereign Lord, Child of the Sun).

Pendant les 19 chapitres qui portent sur sa vie, Sarmiento raconte comment cet Inca conquit un immense territoire et plusieurs nations, en faisant également les réformes nécessaires à l’assise du pouvoir inca sur cet aussi grand territoire. D’abord, il remit Cuzco sur pied, construisant de nouvelles infrastructures selon des plans et une architecture dont même Sarmiento est admiratif (1907, 98). Il reconstruisit également la Maison du Soleil et effectua des réformes démographiques, déménageant les habitants des terres autour de Cuzco, afin de les libérer pour l’agriculture. Il instaura d’ailleurs, selon Sarmiento, un système complexe d’observation des astres pour optimiser les cycles d’agricultures.

C’est aussi cet Inca qui aurait instauré de nouvelles façons de faire l’histoire, en réunissant les historiens de toutes les régions de l’empire, et en compilant leurs récits sous forme de peintures conservées à Cuzco (1907, 42). De plus, Pachacuti mit aussi en place des rituels religieux pour favoriser la succession. Par exemple, il a déterré les corps de 7 de ses ancêtres incas pour les couvrir de masques d'or, de couvre-chefs appelés chuco, de médailles, de bracelets, de sceptres appelés yauri, de champi (one-handed battle axe), etc. (1907, 100-101). Il a aussi organisé des festivals ou purucaya/puruccayan (1907, 102-103). C'était souvent l'occasion où la vie des Incas était représentée sous forme de pièces de théâtre en alternance avec des cérémonies d’offrandes, activités qui pouvaient s'étendre sur plusieurs mois puisque chaque Inca avait droit à son moment de gloire, à un moment où il était honoré comme des Dieux puisque même les étrangers devaient leur rendre gloire (1907, 101). Puis, dans ce temple, les grands prêtres, les Mama-cunas (1907, 110) et les

serviteurs devaient remplir différentes tâches pour honorer les ancêtres et les Dieux (1907, 101). Il ajouta également des figures divines dans le temple du soleil, de chaque côté de l'image du Soleil, l’image de Viracocha Pachayachachi, le Dieu créateur, en or, et celle de Chuquiylla, représentée sous forme d'éclair, en or également. Il avait choisi comme guauqui (divinité personnelle) l’Inti Illapa (1907, 140) parce que ce Dieu lui a remis un serpent à deux têtes pour le protéger tout en lui promettant de grandes victoires tant que Pachacuti le conserverait avec lui durant ses conquêtes.Pachacuti aurait également enrichi d'autres huacas (temple ou simple autel) : ceux d'Huanacauri, d'Anahuarqui, de Yauira, de Cinga, de Picol, de Pachatopan (1907, 102).

Mais ce qui ressort le plus du règne de Pachacuti dans le récit de Sarmiento, ce sont toutes les conquêtes qui lui sont attribuées, les Cuyos du Cuyo-suyu (1907, 107), les Cotabambas, Cotaneras, Umasuyus et Aymaras du Cunti-suyu (1907, 109), les Collas et autres nations du Colla-suyu (1907, 111-114), ainsi que celles du Chinchay-suyu, dont les Chancas (1907, 115). Après toutes ces conquêtes, Pachacuti a aussi mis en place un moyen de stabiliser son autorité sur les territoires, avec les mitimaes, ou des groupes de populations qui étaient des déplacés suite à un recensement, afin de permettre de stabiliser les frontières, mais aussi de défaire la résistance (1907, 119-121). Pachacuti vécu 125 ans, mourut en l'an 1191 et son ayllu se nommait Inaca Panaca Aylluor Hatun-ayllu (le grand lignage) de Hanan-cuzcos. (1907, 138-139). Selon Markham, il aurait amélioré l'organisation militaire et les services sociaux offerts à la population, en fait, Markham le considère comme le réformateur, le grand administrateur et le grand conquérant (Markham 1911, 91).

La généalogie inca que présente Sarmiento montre donc que ces derniers pouvaient tout autant que les Espagnols se rattacher à des ancêtres prestigieux, des ancêtres parfois controversés, mais ayant contribué à construire la grandeur de leur empire. Sarmiento reconnaît même des qualités fondamentales à l’héritier de Pachacuti, Tupac Inca Yupanqui: « The deceased Inca was Frank, merciful in peace, cruel in war and punishments, a friend to the poor, a great man of indefatigable industry and a notable builder » (1907, 154). Mais ce qui devrait en faire un prince glorieux en fait plutôt ici « the greatest tyrant of all the Incas » (1907, 154).

2.4.6. « Décadence » de l’empire inca au moment de la conquête

espagnole (chapitres 62 à 71)

Mais suite à la construction de ce grand empire et sa consolidation par la 10e et 11e génération de souverains, les chapitres 63 à 69 racontent qu’à la 12e génération de souverains incas, la grandeur de l’empire inca ainsi que la mort subite du souverain et de son fils qu’il avait désigné comme héritier auraient mené à des guerres intestines entre deux héritiers potentiels de la couronne44, entre Huascar et Atahualpa, ce qui fut utilisé, par les Espagnols, comme une opportunité. Finalement, les chapitres 70 et 71 résument l’argumentaire de Sarmiento sur les violences intestines ayant provoqué leur décadence, permettant ainsi la conquête de l’empire par une poignée d’Espagnols:

Turning their arms against their own entrails, robbing, and with inhuman intestine wars they came to a final end. Thus as they commenced by their own authority, so they destroyed all by their own proper hands. It may be that Almighty God permits that one shall be the executioner of the other for his evil deeds, that both may give place to his most holy gospel which, by the hands of the Spaniards, and by order of the most happy, catholic, and unconquered Emperor and King of Spain, Charles V of glorious memory, father of your Majesty, was sent to these blind and barbarous gentiles (1907, 192).

44 D’Altroy explique la guerre de succession entre Huascar et Atahualpa comme une guerre principalement entre deux lignées du Hanan (haut) Cuzco (Atahualpa appartenant, par sa mère, au lignage de Pachacuti, appelé Hatun ayllu selon d’Altroy, et Huascar appartenant par sa mère à la lignée de Tupa Inca Yupanqui, appelé Qhapac [Ccapac] ayllu (D'Altroy 2002, 107). Selon lui, Huascar aurait été un piètre successeur et aurait enfreint plusieurs règles diplomatiques pour maintenir de bonnes relations entre les différents lignages de l’aristocratie. Il aurait même rompu avec les lignages de Hanan Cuzco (le haut Cuzco, qui incluaient son propre lignage) pour s’allier avec ceux de Hurin (bas) Cuzco (D'Altroy 2002, 107-108), s’attirant ainsi l’inimitié de plusieurs lignages qui décidèrent d’appuyer alors Atahualpa comme souverain.

Arrivèrent alors les Espagnols, qui capturèrent Atahualpa et exigèrent de rencontrer Huascar. Atahualpa, craignant que les Espagnols n’appuient Huascar dans sa succession, ordonna alors de le faire tuer. Les Espagnols condamnèrent ensuite Atahualpa à la mort, sous le prétexte du fratricide et des « cruautés » qu’il avait commises envers la famille de Huascar :

« For this murder of Huascar, and for other good and sufficient causes, the Governor Don Francisco Pizarro

afterwards put Atahualpa to death. He was a tyrant against the natives of this country and against his brother Huascar » (Sarmiento de Gamboa 1907, 189-190).

Il est donc clair que la condamnation d’Atahualpa avait pu leur attirer la sympathie de certaines familles incas, alliées de Huascar, pendant que d’autres familles ont organisé la résistance aux conquistadores. C’est, par exemple, le cas de Manco Inca, frère cadet de Atahualpa et Huascar, qui fut d’abord proclamé Inca par les Espagnols qui croyaient pouvoir le contrôler, mais qui résista, s’enfuit et organisa même le siège de Cuzco. Suite à la victoire des Espagnols, Manco Inca et une partie de l’aristocratie inca s’exilèrent à Vilcabamba où ils installèrent leur gouvernement. Les institutions du gouvernement inca transférées à Vilcabamba réussirent à maintenir la résistance et un gouvernement indépendant pendant 35 années :

« When Manco Inca escaped from the Spaniards he took refuge in Vilcapampa, and established his court and

government there. The Sun temple, the convent of virgins, and the other institutions of the Incas at Cuzco, were transferred to this mountain fastness. Even handsome edifices were erected. Here the Incas continued to maintain their independence for 35 years » (Markham 1907, xxi).

D’autres choisirent plutôt de rester à Cuzco avec les Espagnols. C’était le cas entre autres de Paullu Tupac, baptisé Cristobal, fils de Huayna Ccapac (frère de Manco Inca, Huascar et Atahualpa), qui s’allia avec les Espagnols, s’installa à Cuzco et, lui et son descendant, Carlos Paullu Inca, ayant accepté de se soumettre,

Ainsi, pour Sarmiento, l’histoire a montré la supériorité des Espagnols, alors que les Incas seraient les seuls responsables de leur décadence. C’est donc à ce genre de « vérités » que Sarmiento cherche à aboutir en replaçant les « faits historiques », des faits qu’il appuie par ailleurs en alignant la généalogie inca en fonction des rois et papes européens, dans le chapitre 71.

2.5. Constitution d'un objet d'analyse : représentations des

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