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Chapitre 2 Construction des données sociologiques relatives à la chronique retenue, son

2.2. Relation de communication : les individus impliqués 56


2.2.3. De qui parle-t-il? Les informateurs 67

2.2.3.2. Alliés catholiques de Cuzco 71

En rassemblant les noms des Incas mentionnés dans le texte, une deuxième observation a été possible : presque tous les noms, à l’exception de trois (en bleu dans le tableau 1), sont formés de prénoms catholiques (Alonso, Francisco, Juan, Cristoval, etc.), ce qui indique qu’il s’agissait probablement de personnes baptisées, converties au catholicisme. D’ailleurs, dans les documents d’authentification et d’approbation signés par les instances coloniales à la fin de la chronique, il est mentionné que les témoins devaient jurer sur la croix et le nom du Seigneur : « They then swore, in the said language, by God our Lord, and by the sign of the cross, that they would tell the truth concerning what they knew of that history » (1907, 200). Donc, si les témoins autochtones ont accepté de jurer sur la croix et sur le nom du Seigneur, ils devaient probablement être catholiques. Il semble donc que Sarmiento ait retenu comme témoins crédibles des Incas qui évoluaient dans des réseaux catholiques.

De plus, Sarmiento spécifie qu’il accorde plus de crédit aux Incas de Cuzco qu’aux témoins qu’il a rencontrés dans d’autres régions au cours de ses visites :

I have drawn up this history from the information and investigations which, by order of your Excellency, were collected and made in the valley of Xauxa, in the city of Guamanga, and in other parts where your Excellency was conducting your visitation, but principally in this city of Cuzco where the Incas had their continual residence, where there is more evidence of their acts, where the mitimaes of all the provinces gathered together by order of the said Incas, and where there is true memory of their ayllus. (1907, 196).

Or, justement, quels étaient les réseaux incas demeurés à Cuzco ou qui y avaient migré suite à l’arrivée des Espagnols, qui occupaient la capitale inca depuis 1534 ? Pourquoi Sarmiento leur accorde-t-il plus de crédit et valorise-t-il davantage leur parole ?

Bauer et Smith (Bauer et Decoster 2007, 19) soutiennent qu’un des critères pour accorder la parole était le statut des témoins, car certains hommes avaient acquis des statuts importants dans le Cuzco postconquête en s’alliant avec les Espagnols43. Beatriz Loza

43 « Although we will never know the full range of Sarmiento’s informants, there are several individuals who

stand out among those who witnessed the Reading of The History of the Incas, including Diego Cayo Hualpa, Diego Cayo, and Alonso Tito Atauchi. Short description of these individuals are warranted to illustrate that Sarmiento had access to some of the most important indigenous citizens of Cuzco. Given their High positions in postconquest Cuzco, and the fact that their fathers had played important roles in the running of the Inca Empire, one can understand how Sarmiento was able to write such a detailed history » (Bauer et Decoster

2007, 19). En soutenant que le statut de ces individus dans le Pérou postconquête était équivalent à leur statut dans l’empire inca et que ce statut assurerait la validité des informations qu’ils ont rapportées, Bauer n’adhèrent-ils pas au même raisonnement que Sarmiento? Ne s’agirait-il pas plutôt d’individus dont les familles avaient moins de pouvoir que celles des Incas et qui ont profité de la conquête espagnole pour améliorer leur statut?

mentionne justement que les Incas ayant abandonné toute résistance contre les Espagnols pouvaient acquérir le statut de princes au service de la couronne espagnole (Beatriz Loza 2002, 386). Ainsi, Beatriz Loza souligne que les recherches de Toledo, dans lesquelles s’inscrit le travail de Sarmiento, visaient à briser le prestige de certaines lignées incas en procédant à une « désethnicisation » des Autochtones andins, une reconfiguration des statuts qui serait faite en fonction de la couronne espagnole et non en fonction du prestige inca : « Toledo imposa la naturalisation pour effacer les appartenances ethniques et les remplacer par de nouvelles catégories, en fait des statuts juridiques et fiscaux » (Beatriz Loza 2002, 377). C’est pourquoi les descendants incas reconnus comme « nobles » par la couronne espagnole, suite à l’abandon de la résistance, pouvaient être exemptés du paiement du tribut (Urton 1990, 15). Il semble que les informations compilées par Sarmiento devaient aussi servir à établir ce statut et cette exemption.

De plus, Bauer et Smith soulignent que, parmi les documents originaux envoyés au roi d’Espagne avec la chronique de Sarmiento, quatre peintures d’information sur les Incas, qui ont été détruites dans un incendie au XVIIIe siècle, avaient acquis beaucoup d’autorité en Espagne pour déterminer qui était de sang royal inca. Selon eux, ces peintures généalogiques, qui utilisaient une des stratégies incas de transmission de l’histoire, étaient devenues autorité dans la détermination des « privilèges » attribués à la noblesse inca (Bauer et Decoster 2007, 15). Cependant, comme la reconnaissance de ce statut dépendait des Espagnols, des controverses importantes étaient entretenues quant à la validité des généalogies représentées :

The final painted cloth contained a large genealogical tree of the royal kin groups of Cuzco. References to the different sizes of the painted cloths are noted within an inventory of King Philip's estate (Dorta 1975:70). Three of them were almost the same size, and one was considerably longer and narrower. The longer one most likely contained the genealogical record of the royal kin groups (Julien 1999:76-77). While the first three painted cloths appear to have been approved with little comment, the final cloth caused considerable debate, since various individuals attempted to better their own position and that of their family within the royal ranking (Iwasaki Cauti 1986:70). The strongest argument came from María Cusi Huarcay, the recently widowed sister-wife of Sayre Topa, who questioned why Paullu Inca's branch of the family was placed above that of her father, Manco Inca (Levillier 1940 [1570-1572]; Hemming 1970). The answer to this was, of course, because Manco and his sons (including Tito Cusi Yupanqui, who was still in the Vilcabamba area) had rebelled against the king, whereas Paullu's line, which included the current Inca ruler in Cuzco, Don Carlos, had remained loyal to Spain (Bauer et Decoster

2007, 14).

Autrement dit, si la couronne établissait une relation privilégiée avec un segment de la population inca en lui reconnaissant un certain statut de noblesse, ce statut était en fait

évalué en fonction de sa loyauté envers la couronne espagnole, laquelle loyauté devait aussi se manifester par une conversion religieuse vers le christianisme. Il n’est donc pas étonnant que Sarmiento donne davantage la parole et plus de crédit aux Incas de Cuzco, alliés des Espagnols et qu’il ne semble pas avoir consulté les rebelles que Toledo pourchassait, puisque l’établissement d’une histoire des lignées incas avait également pour but de réfuter le prestige de ces rebelles qui exerçaient encore de l’autorité, comme les chefs de Vilcabamba, de façon à établir quels étaient les Autochtones qui étaient loyaux au roi d’Espagne et ceux qui étaient des sujets tributaires.

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