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Dans le cadre de l’expérimentation de l’environnement numérique de formation Eureka, se manifestent rapidement des préoccupations pédagogiques. En conséquence Eureka est qualifié par ses concepteurs de collaboratif. La collaboration ne s’est pas imposée en soit, bien qu’elle ait été très rapidement discutée dans le projet. Ce choix n’est pas anodin, il est même fondateur de la forme adoptée pour l’environnement numérique.

Le cheminement a été de penser d’abord en coopération, le projet trouvant son origine comme nous venons de le voir dans le monde corporatif, bien que né dans l’université. Cette dernière le cooptera pour devenir finalement sa principale utilisatrice. Nous nous penchons sur l’histoire de l’idée de collaboration dans Eureka, qui présente l’intérêt de mettre en relief les cheminements et les évènements qui ont abouti à son usage actuel. De l’histoire, nous retenons les évènements de rupture et les influences sur l’environnement numérique de ces éléments nous étayons notre analyse.

Relation historique sur la collaboration

3.7.1

En 1997, de nombreuses possibilités de format d’environnement numérique étaient envisageables. L’environnement aurait pu présenter comme objectifs : le suivi individuel de la progression de l’étudiant, le travail à partir de l’élaboration d’un scénario de formation ou d’une ligne temporelle établie, le contenu comme fil conducteur de l’étude, etc. Au lieu de cela, une structure peu contraignante quant à l’organisation et à la pédagogie est mise en place en réponse à des critères déjà établis qui favorisent la coopération puis la collaboration.

La forme de la médiation adoptée représente une rupture dans le projet : Eureka est d’abord tourné vers le corporatif, quand il entreprend de prêter service à l’université, il s’adapte à de nouveaux besoins et à un Projet Pédagogique Institutionnel tout en transportant avec lui les acquis et les prérequis de sa première phase de développement. Le choix de la coopération et de la collaboration n’est pas anodin, il marque Eureka dans sa structure et dans son application – même si dans la pratique son déploiement dépasse très largement ce cadre. En effet lors de cette période, l’usage se forme sur la base de l’empirisme, il existe des références bibliographiques, articles scientifiques, qui se limitent à décrire le dispositif dans ses composantes techniques ; l’aspect pédagogique n’est abordé que par le prisme technologique de l’instrumentalisation des premiers enseignants. En effet, c’est une période d’innovation tant technologique que pédagogique sans qu’aucune pratique ne se soit encore affirmée.

Les concepteurs d’Eureka ont été influencés par des congrès, colloques ou séminaires tels que les : Simpósio Brasileiro de Informática na Educação – VIII SBIE 97 et IX SBIE 98. Taller Internacional de Software Educativo – TISE 98 (Voir annexe : Entretien NH2 informatique/inventeur, p. 646). Lors de ces évènements, les premiers travaux consistants sur les environnements dédiés à l’apprentissage collaboratif sont présentés comme un thème émergeant : « Internet, multimédia et apprentissage collaboratif » (Ilabaca, 1998). Au Brésil, en 1998, les environnements d’apprentissage collaboratif commençaient ainsi à être étudiés et développés et dès 1999, Eureka était un des premiers environnements de ce type en opération (Nitzke, Carneiro, Geller, & Santarosa, 1999).

La préoccupation principale des concepteurs était la communication entre les différents acteurs impliqués dans un processus d’apprentissage. Le projet Eureka, même si très innovant en 1998, s’explique par le développement rapide de l’Internet à partir de 1995, de son passage d’un usage restreint à certaines industries et à l’université, à celui du particulier. Se pose encore la question d’expliquer le choix de coopération puis de collaboration comme base conceptuelle de conception d’Eureka. Le passage de la coopération à la collaboration peut être considéré comme un marqueur du changement, un passage d’une préoccupation corporative à une préoccupation académique.

Du point de vue de ses concepteurs, un tel dispositif de communication est capable de servir à la coopération et de favoriser et viabiliser de nouvelles formes de travail en groupe. L’idée est de mettre à disposition un environnement numérique, comme potentialisateur de la communication, de l’intégration des apprenants dans une dynamique de groupe. Ainsi, nous nous remettons à des préceptes très tôt préconisés par les inventeurs d’Eureka :

« L’objectif est l’implémentation d’un environnement basé sur le Web pour un apprentissage coopératif visant la promotion de l’éducation et de la formation continue en distant utilisant Internet comme moyen de création de communautés virtuelles qui participent de formations traditionnellement présentielles »40 (Eberspächer, Jamur, & Eleuterio, 1999)

Nous relevons ici deux points d’appui qui seront fondateurs du modèle d’usage de l’environnement numérique : l’Internet et la collaboration.

La première caractéristique, côté technique, fait que l’université conçoit l’Internet comme médiation quand d’autres optent à l’époque pour la diffusion via satellite ou pour le modèle papier d’un livre-texte, ouvrage de référence, combiné à la téléphonie puis au courrier électronique. Et la seconde caractéristique, côté pédagogique, est celle de la coopération qui évoluera vers une collaboration influencée par les théories constructiviste et socioconstructiviste. Les motifs de cette évolution sont abordés par le premier coordinateur de l’Éducation à Distance à la PUCPR, qui a contribué à la diffusion d’Eureka principalement dans son cadre pédagogique. Il présente une volonté affichée de mettre en place une forme ouverte de dispositif :

« C’est pour cela que nous ne pouvions l’appeler de coopératif, système de gestion, nous savons que ces approches pédagogiques de curriculum, laissent seulement en dernier ressort la collaboration. » (ANNEXE 2 – Entretiens des NH2 - Entretien NH2 multimédia – pédagogie/concepteur pédagogique, p. 655)

Pour préciser la portée de ces termes de coopération et collaboration, dans le contexte de l’époque, nous nous référons aux définitions simplifiées de Panitz, reprises d’un article de recherche se référant à Eureka (Nitzke, Carneiro, Geller, & Santarosa, 1999), qui s’appuie sur celles de l’épistémologie constructiviste :

« Collaboration is a philosophy of interaction and personal lifestyle where individuals are responsible for their actions, including learning and respect the abilities and contributions of their peers;

Cooperation is a structure of interaction designed to facilitate the accomplishment of a specific end product or goal through people working together in groups. » (Panitz, 1999, p. 3)

Dans ce cadre, nous rapportant à la production d’un produit ou à l’accomplissement d’objectifs, la spécificité de la coopération est de l’ordre du directif, y est sous-entendu plus de contrôle de la part d’un enseignant. La collaboration est, elle, une approche de l’ordre du qualitatif quand la coopération est de l’ordre du quantitatif (Panitz, 1999, p. 5). Cependant, les deux formes se basent sur des postulats qui techniquement se rejoignent. Postulats fondateurs des mêmes besoins instrumentaux d’un groupe opérant dans un environnement

numérique des activités collectives. Une spécificité du travail de groupe, dans l’interaction, est la proactivité horizontale et verticale entre un acteur et les autres acteurs impliqués dans l’apprentissage. Se forme alors un nouveau rapport entre cet acteur et les autres de l’ordre de la collaboration et de la coopération (Rabardel, 1995, p. 62). Coopération et collaboration se réfèrent à l’activité productive et constructive, les deux ont une même portée productive, mais pas constructive. Dans la coopération se côtoient sans se mêler les acteurs dans leurs tâches quand dans la collaboration la tâche se réalise en commun.

Eureka appartenant à plusieurs mondes – ceux de l’industrie avec Siemens et de l’académie – et mobilisant plusieurs domaines – ceux de l’informatique et de l’éducation – l’hésitation à le qualifier parait naturelle. La dimension émergente d’une pédagogique active prédomine aux yeux du rectorat sur la dimension traditionnelle de l’apprentissage. Nous constatons ici une volonté d’encourager une forme d’émancipation de l’apprenant vis-à-vis de l’enseignant, de se former à l’autonomie pour se délivrer d’un carcan induit par les atavismes de l’espace traditionnel. En contrepartie, la diffusion de l’information en masse par un média informatique concrétise une volonté de mettre en pratique les promesses « libertaires » promues par l’Internet. C’est donc au travers de la communication et de la coopération qu’Eureka prend d’abord du sens pour ses concepteurs. Eureka constitue une promesse de facilité dans la transmission et la construction de la connaissance et du savoir et aussi, il constitue un vecteur de partage. Les formes constructiviste et socioconstructiviste qu’abordent ses questionnements, pour les concepteurs, potentialisent la démocratisation de l’accès au savoir par la communication qu’elle soit horizontale ou verticale.

Le changement de désignation, de la coopération à la collaboration, est révélateur d’une nouvelle situation. La première phase du projet comporte uniquement des professeurs informaticiens et des développeurs appartenant au domaine de connaissances de l’informatique. Cependant dès 1998 des chercheurs en science de l’éducation se rapprochent du projet. L’un de ses chercheurs (voir : Annexe : Entretien NH2 multimédia – pédagogie/concepteur pédagogique, p. 655) revient des États-Unis avec un doctorat de la Michigan State University dans le domaine des technologies éducationnelles41, il intègre l’équipe d’Eureka pour ensuite devenir leader du groupe de recherche LAMI42

et fondateur

41 Le nom de sa thèse est : « Usability Feedback in Educational Software Prototypes: A Contrast of users and

experts ».

42 Voir : http://dgp.cnpq.br/buscaoperacional/detalhegrupo.jsp?grupo=0207103BOSHWZK accédé le

en 1999 du premier service de l’université dédié à l’Éducation à Distance – EaD et aux Technologies Éducationnelles – TE, la Coordination de l’EAD – CEAD. À la même époque, une doctorante (voir : Annexe – Entretien NH2 éducation – pédagogie, p. 665) s’intéresse à Eureka, sa thèse se rapporte spécifiquement à l’apprentissage collaboratif43

instrumenté par une plate-forme de formation. Son choix de plate-forme se fonde sur les fonctions forum et de partage de liens qu’offre Eureka.

Nous retrouvons la notion d’enseignement collaboratif distribué dès 1999 dans les travaux de l’équipe PACTO44

, qui discute de la coopération et de la collaboration dans son projet. L’équipe relève que la coopération est un terme qui aurait un sens plus large avec une note de hiérarchie alors que celui de collaboration est lié à un objectif commun, et que le travail ne possède pas de hiérarchie. L’apprentissage collaboratif est défini comme « un processus de ré-culturation qui aide les étudiants à devenir membre de communautés de connaissances dont la propriété est différente de celle à laquelle ils appartiennent. » (Behrens, Alcântara, & Viens, 2001, p. 49). Ces auteurs insistent sur l’importance du langage qui dans sa construction en commun acquiert des propriétés particulières. Ils présentent la connaissance comme socialement construite et comme un processus sociolinguistique.

Sous ces influences, Eureka, d’un dispositif technique dédié à la communication et à la coopération, devient pour l’université un « Environnement Virtuel d’Apprentissage Collaboratif ». Eureka est donc d’abord défini comme un environnement CSCL – Computer- Supported Cooperative Learning, puis comme un Environnement Virtuel d’Apprentissage collaboratif – AVA colaborativo45. Nous passons d’un projet corporatif à un projet intégré dans l’université et donc à portées académique et pédagogique. La collaboration apparente Eureka à une ligne pédagogique qui le caractérise explicitement comme un élément de l’instrumentation d’un dispositif pédagogique.

Une autre dimension est l’association collaboration et distribution, distribution dans le sens de la dispersion. Cette problématique trouve son origine dans la forme du réseau adoptée par Internet : la forme distribuée. L’organisation de ces informations en réseau offrait de

43 « Laboratório on-line de aprendizagem: uma proposta crítica de aprendizagem colaborativa para a educação »,

en français : « Laboratoire d’apprentissage en ligne : une proposition critique d’apprentissage collaboratif pour l’éducation ». Thèse défendue en 2002 : http://www.tede.ufsc.br/teses/PEPS2594.pdf accédé le 13/06/2013.

44 Projet de recherche : Recherche et Développement en Apprentissage Collaboratif via Technologies

Interactives - Pesquisa e Desenvolvimento em Aprendizagem Colaborativa com Tecnologias Interativas (de 1999 à 2002).

nouvelles perspectives. Le modèle en réseau distribué adopté met en réseau tous les ordinateurs pour qu’ils puissent communiquer sans passer par un point central (Curien & Muet, 2004). Dans cette perspective, les pédagogues pensent à la distribution géographique, la distribution temporelle et à la distribution dans les activités de collaboration. Ils tirent parti des principes que nous avons décrits de l’hétérotopie sur la juxtaposition de l’espace pédagogique, de « l’asynchronisation » de l’activité pédagogique et de la perméabilité d’un espace éducatif. Ils commencent à repenser l’espace de formation à partir des possibles qu’ouvre Eureka et aussi plus largement au travers de l’Internet.

Cependant, cela ne suffit pas à faire de la collaboration une réalité. Même si le nouveau Projet Pédagogique Institutionnel va en ce sens, il s’agit d’un travail constant et sur le long terme. En 2000, la CEAD a analysé les 367 salles virtuelles ouvertes dans Eureka : seulement 18 sont caractérisées par la collaboration entre les participants, dans 50 salles des tentatives expérimentales encore timides ont lieu et dans les autres salles continue le modèle transmissif.

« Les professeurs ont utilisé ces salles pour passer des tâches, envoyer des communiqués généraux, définir les dates des contrôles et principalement pour recevoir les travaux, évitant ainsi la remise de travaux sous forme papier ou disquette. La participation des étudiants a été faible, l’interaction minime entre les agents, peu de collaboration et d’initiative. De nombreuses salles ont été ouvertes, mais peu ou pas du tout utilisées, d’autres n’iront pas au-delà du tableau digital ou de messagerie électronique. » (Neto, 2003, pp. 149-150)

Les chercheurs constatent que le fait de décréter une forme ouverte d’enseigner et d’apprendre ainsi que de mettre à disposition des outils n’est pas suffisant pour que des interactions entre participants se mettent en place. D’autres paramètres doivent être considérés pour que la collaboration lors de l’étude soit assimilée dans les processus d’échanges d’informations et aussi culturellement (Neto, 2003, p. 50). En 2002, le projet de recherche puis programme MATICE46 – Méthodologie d’Apprentissage via TICe – (Voir : Partie I. 4.8.5. De la recherche, MATICE I, émergence de l’industrialisation dans les formations de graduation, p. 172), fort de cette logique, sera le relais des expériences préliminaires.

Enseignements sur l’inclusion de la collaboration dans le projet