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CHAPITRE II CADRE CONCEPTUEL

2.2 Construction d’un cadre pour appréhender le travail effectué dans les exposés

2.2.3 Un regard sur l’utilisation du tableau

Dans les exposés oraux, une attention particulière est portée sur la manière dont les futurs enseignants utilisent le tableau. Dans une première sous-section, nous allons nous attarder à expliciter pourquoi cette utilisation est importante dans l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques. La deuxième sous-section présente les composantes retenues pour l’analyse portant sur l’utilisation du tableau dans les prestations orales des futurs enseignants.

Importance de la formation à l’utilisation du tableau

Nonnon (2000) mentionne qu’ « écrire au tableau est un geste professionnel quotidien important dans la maîtrise d’un enseignant » (p. 83), elle qualifie ce geste de spontané. Toutefois, ce geste n’est pas toujours spontané et il doit être au contraire bien réfléchi. Selon Nonnon, il s’agit d’un indice pour détecter l’expertise d’un enseignant :

[…] la qualité du tableau fait partie des indices d’expertise pour un enseignant du primaire. Même si (comme c’est plus souvent le cas au secondaire) le texte s’écrit sous les yeux des élèves, au fur et à mesure du flux oral, il correspond à la structure sous-jacente du discours planifié par l’enseignant. (p. 108-109)

À cet effet, Nonnon souligne une double logique temporelle qui influence toute décision de l’enseignant, dont celle concernant l’utilisation du tableau. Cette double logique temporelle réfère à la planification de l’enseignant et à l’improvisation qu’il peut faire dans un cours. Les actions de l’enseignant en classe sont donc menées par des choix préalables et par des choix dans l’instant, ces choix se répercutant sur ce qui

est écrit au tableau. Par ailleurs, ce qui est écrit au tableau prend une certaine valeur : « l’inscription au tableau […] montre […] l’importance de certaines choses dites, leur légitimité à devenir objet de stockage » (p. 91). Les éléments écrits au tableau constituent donc la trace qu’il s’est produit quelque chose dans le cours.

De plus, le tableau peut avoir différentes utilités, par exemple comme lieu pour institutionnaliser une notion ou pour faire un résumé de tout ce qui a été dit en classe. Or, cela ne signifie pas que tout écrit doit pouvoir prendre le rôle de « bon exemple ». En effet,

[…] la définition de l’activité que peut se donner un élève passe, entre autres, par ce que l’enseignant retient comme légitime pour figurer dans la trace écrite, et ce qu’il choisit de ne pas écrire. (Nonnon, 2000, p. 86)

Ainsi, le choix de l’enseignant d’écrire des erreurs au tableau ou non est supporté par des intentions précises et influe sur la manière dont l’élève perçoit l’activité mathématique. Un aspect intéressant est celui des liens tissés entre l’écriture au tableau, la gestuelle et le discours. Pour Nonnon, le tableau permet en effet à l’enseignant

[…] d’exposer aux yeux de tous les données auxquelles se réfère son discours, sur lesquelles il prend appui : il est le centre d’une gestuelle spécifique qui met en scène l’activité enseignante et focalise l’attention en jouant des alternances entre oral et écrit. (p. 88)

Dans leur recherche sur les pratiques enseignantes, Robert et Rogalski (2002) ont été amenées à regarder de plus près l’utilisation du tableau par les enseignants. En effet, elles ont pu constater des différences entre certaines pratiques d’enseignants. Elles s’appuient pour cela sur les constats faits par Robert et Vandebrouck (2001) qui ont

[…] trouvé deux pôles d’utilisation : le tableau lieu de savoir, avec un écrit complet, rédigé, sans erreurs, à recopier; et le tableau lieu de travail, avec un écrit

58 intermédiaire, non complet, non rédigé, éventuellement vite effacé, qui peut présenter des erreurs. (Robert et Rogalski, 2002, p. 520)

Comme conclusion de son article, Nonnon (2000) énonce que l’usage du tableau pour les enseignants « est typique des objets de réflexion et des démarches de théorisation qui sont à inventer en formation d’enseignants » (p. 116). Nous avons retenu cette proposition qui rejoint notre recherche. En effet, nous pensons que l’utilisation du tableau doit être un élément de réflexion dans la formation et c’est le cas dans le cadre du dispositif de formation des exposés oraux.

Toutefois, dans les exposés oraux, il n’y a pas vraiment d’improvisation comme cela peut être le cas en enseignement. Nous sommes face à un monologue et, ainsi, aucun élément extérieur n’est susceptible de modifier la planification de l’étudiant. Celui-ci devrait pouvoir écrire au tableau exactement ce qu’il a prévu, sauf si une nouvelle idée survient au moment de l’action. Ainsi, le dispositif de formation des exposés oraux place les étudiants dans un contexte où ils n’ont pas à s’adapter aux interventions des élèves, les décisions prises par les futurs enseignants ne sont généralement influencées que par leur planification. Nous pensons que les exposés oraux permettent aux étudiants de s’exercer à présenter un exposé conforme à leur planification et l’ajout de l’aspect improvisation se fait dans des contextes tels le volet leçon du premier cours de didactique et les stages en enseignement.

Dans les séances des exposés oraux, nous faisons remarquer aux futurs enseignants que les traces laissées au tableau sont importantes, un élève distrait doit pouvoir lever la tête et comprendre, simplement en regardant le tableau, ce qu’il s’est dit dans les dernières minutes. En effet, l’écriture au tableau nous semble essentielle puisque le discours seulement oral demande une attention constante pour ne pas en perdre des bouts, ce qui n’est pas vraiment réaliste dans une classe du secondaire. L’écrit reste

visible longtemps et il permet à l’ensemble de la classe d’avoir des repères visuels sur l’avancée du cours.

Pour amener les futurs enseignants à planifier ce qu’ils vont écrire au tableau, nous les invitons à ne pas effacer de portion de tableau pendant leur exposé, et ce, peu importe la dimension du tableau mis à leur disposition. En effet, plusieurs étudiants souhaitent effacer des bouts, manquant de place pour poursuivre l’exposé, mais nous leur demandons de se préparer pour ne pas avoir à le faire. Ce choix pédagogique repose sur un désir d’amener, chez les futurs enseignants, une réflexion sur ce qui doit être écrit et sur l’emplacement où il doit être écrit sur le tableau. Ils doivent ainsi prévoir l’espace nécessaire de sorte qu’il leur reste suffisamment de place jusqu’à la fin et que ce qu’ils écrivent ait une structure lisible, que l’on puisse suivre facilement l’enchaînement de ce qui est écrit. Dans ce sens, les étudiants sont amenés à pratiquer leurs exposés dans des salles de classe de l’université, ils peuvent ainsi s’exercer avec cet outil qu’est le tableau.

Ainsi, les exposés oraux amènent les étudiants à se poser des questions sur ce qu’ils souhaitent écrire au tableau et à être capable de faire part de ce rationnel aux formateurs ou à leurs collègues.

Un cadre d’analyse sur l’utilisation du tableau

Afin d’analyser l’utilisation du tableau par les futurs enseignants lors de leurs prestations, nous avons retenu certains éléments présentés par Nonnon (2000, p. 88) comme composantes du regard sur l’utilisation du tableau. Lorsque bien maîtrisés, ces éléments permettent une « ergonomie de l’écriture au tableau » (p. 88). Dans le tableau 2.2, nous présentons ces composantes que nous décrivons dans le cadre des exposés oraux.

60 Tableau 2.2 Composantes du regard sur l’utilisation du tableau

Composantes Description

Quantité d’écrits Le tableau est-il rempli d’écritures à la fin de l’exposé ou seuls quelques éléments importants sont retranscrits?

Forme des écrits

La grosseur des caractères est-elle adéquate? L’écriture peut être trop petite pour être lisible par l’auditoire au fond de la classe ou encore trop grande pour permettre de tout écrire dans l’espace alloué.

Lisibilité La calligraphie est-elle appropriée? C’est-à-dire permet-elle à des élèves du niveau visé de bien comprendre ce qui est écrit?

Répartition claire dans l’espace (différentes zones)

L’étudiant écrit-il de façon stratégique au tableau ou au premier endroit disponible? Sommes-nous capables de comprendre le raisonnement simplement en regardant le tableau à la fin de l’exposé? Par exemple,

L’enseignant note dans une zone du tableau (à gauche) les questions quand elles suscitent un consensus et peuvent être considérées comme validées. Tout le centre du tableau est consacré à l’inscription, apparemment en désordre, de bribes à partir de ce que proposent les élèves. Cette écriture n’est ni linéaire ni exhaustive (des syntagmes, des mots, parfois des phrases), elle se charge au fur et à mesure de soulignements, de flèches et de cercles. Mais l’espace non-linéaire, apparemment désordonné de ce brouillon public montre quand même une organisation en train de se construire, et l’enseignant se déplace pour écrire certains énoncés à une place donnée. (Nonnon, 2000, p. 101)

De même, le

[…] choix des zones du tableau où inscrire les énoncés peut aussi expliciter leur statut, leur nature en tant qu’acte de parole […] : il est donc nécessaire de les situer dans une géographie pragmatique implicitement codifiée du tableau, qui répartit spatialement les informations et les énoncés selon leur statut épistémique (hypothèse, indice observé, résultat…) et leur statut discursif (p. 102).

Simultanéité de l’énonciation orale

Chaque fois que le présentateur écrit au tableau, les éléments écrits sont-ils nommés au même moment ou l’étudiant écrit en silence avant ou après les explications?

Cohérence avec les explications

orales

Ce qui est écrit au tableau est-il cohérent avec les explications orales? Nous pouvons aussi nous demander si l’écrit est antérieur à l’oral ou s’il vient comme support à l’oral.

Posture

Alors que la composante non-verbale du regard sur l’aisance à communiquer permet d’observer si l’orateur adopte une posture confiante ou non, celle-ci s’intéresse à la position relativement au tableau. Pour chacun des extraits de la transcription, l’étudiant est-il visible par l’auditoire? Celui-ci peut être face, de côté ou dos à la classe. De plus, peu importe la position de son corps, l’étudiant peut regarder le tableau ou la classe. Une position aux trois quarts face à la classe est aussi possible : majoritairement face à la classe, mais les épaules ne sont pas tout à fait parallèles au tableau, des personnes assises à l’avant sont alors dans le dos de l’orateur. Lorsque c’est possible, cette position est préférable à celles où le corps est dos à la classe, même dans les cas où l’étudiant regarde par-dessus son épaule.

Dans notre grille portant sur le regard sur l’utilisation du tableau, nous changerons le nom de la composante posture par le terme position, permettant ainsi d’observer la position de l’étudiant par rapport au tableau. Ceci nous permet de distinguer la composante non-verbale du regard sur l’aisance à communiquer dans laquelle nous observons la posture du présentateur.

Selon Nonnon (2000), nous pouvons

[…] chercher à décrire précisément le tableau comme support d’écrit (qu’est-ce qui figure au tableau, un texte fragmentaire ou complet, structuré ou désordonné? Quand est-ce effacé?) et comme support d’activité (qui écrit au tableau? L’enseignant ou un élève, désigné ou volontaire? De façon planifiée ou improvisée? Pour écrire quoi? À quel moment du déroulement des activités? Que doivent en faire les élèves : regarder, recopier, critiquer…)? (p. 89)

62 Les exposés oraux s’effectuant sans présence d’élèves, les questions soulevées dans l’extrait pour décrire le tableau comme support d’activité ne s’appliquent pas. Par contre, les autres questions concernant la description de ce qui est écrit au tableau comme support d’écrit nous intéressent particulièrement et c’est pourquoi nous les ajoutons comme éléments d’analyse sur l’utilisation du tableau. De plus, Robert et Vandebrouck (2001) expliquent, dans un contexte en classe de mathématiques, que, dans bien des cas,

[…] ce qui est donné à voir, ce ne sont pas les explications ou les méthodes, mais les formules, les calculs, les résultats ou les bifurcations éventuelles : les commentaires et les explications qui amènent à une méthode ne sont présents dans le scénario qu’oralement. Ce qui est donné à voir, c’est le produit fini et non le processus de réflexion ou d’élaboration. (Robert et Vandebrouck, 2001, p. 27, cité dans Nonnon, 2000, p. 92)

Dans les séances des exposés oraux, nous insistons auprès des futurs enseignants pour que lors des présentations, les écritures ne soient pas omniprésentes sur le tableau. Toutefois, nous leur demandons de laisser des traces de leur démarche et pas seulement des formules et autres écritures mathématiques. Par exemple, l’énoncé d’un problème est rappelé par l’écriture au tableau des éléments importants afin de pouvoir y retourner à tout moment de l’exposé. Autrement dit, nous demandons aux étudiants que les écrits soient le processus de réflexion en apparaissant au fur et à mesure des explications, mais que les traces soient suffisamment claires pour pouvoir être présentées comme un produit fini. Les futurs enseignants ont des exemples de l’utilisation du tableau dans les vidéos des exposés types. Le tableau 2.3 identifie les deux éléments ajoutés comme composantes dans la grille d’analyse sur l’utilisation du tableau pour l’analyse de prestations orales d’étudiants. Ces composantes sont : Effacer des éléments et Qu’est- ce qui est écrit?

Tableau 2.3 Deux autres composantes du regard sur l’utilisation du tableau

Composantes Description

Effacer des éléments

Lorsque l’étudiant efface un élément, il peut s’agir d’une mauvaise organisation de l’espace qui l’oblige à effacer une partie des traces de sa démarche ou d’une erreur qu’il souhaite corriger. Il peut toutefois aussi y avoir une raison bien précise, effacer prend alors un sens particulier.

Qu’est-ce qui est écrit?

Texte fragmentaire ou complet? Structuré ou désordonné?

Ce qui est écrit au tableau est-il un produit fini? Est-il un processus de réflexion ou d’élaboration?

Finalement, nous ajoutons une dernière composante, celle concernant l’utilisation de couleurs au tableau. En effet, dans les exposés oraux, nous amenons une réflexion auprès des futurs enseignants sur l’utilisation des couleurs. Écrire au tableau en changeant de couleur confère à cette écriture un statut particulier : l’utilisation de la couleur permet parfois de simplement distinguer un élément des autres, elle peut également souligner des liens entre différents éléments écrits au tableau.

Tableau 2.4 Composante supplémentaire du regard sur l’utilisation du tableau

Composante Description

Utilisation des couleurs

Les éléments liés entre eux sont-ils écrits d’une même couleur? L’utilisation de la couleur a-t-elle un but clair?