SECTION I – LE REFUS DE SOINS, EXPRESSION DE LA VOLONTÉ
Paragraphe 1 : Une expression de la volonté reconnue par la loi et la jurisprudence
B) Le refus de soins en droit comparé
d’un « droit à la mort » pourtant si bien exclu par la loi dite « Léonetti » ou bien par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) dans le fameux arrêt « Pretty », précité238, exposant que le droit à la vie n’avait pas de pendant négatif et qu’il n’impliquait pas un « droit à mourir ».
B) Le refus de soins en droit comparé
Au Canada, une loi fédérale de 2003239, le « Care consent act » modifié au 21 décembre 2012, prévoit expressément le droit au refus de soins. Son article 3 dispose que : « Chaque personne capable de donner ou de refuser un consentement à des
soins jouit » de divers « droits ». Notamment, selon cette loi, le patient a le « droit de
donner ou de refuser un consentement pour tous motifs, y compris des motifs d’ordre moral
ou religieux, et ce, même si ce refus entraînera son décès ».
Cette loi canadienne semble beaucoup plus libérale que notre loi française. Alors qu’en droit positif, les textes ne se bornent qu’à souligner une possibilité de refus de soins, la loi canadienne explicite bien le fait que cette loi est un droit détaillé, qui peut être soulevé pour n’importe quel motif. Là où la loi française s’efforce de démontrer le rôle de médecin à obtenir le consentement du patient, la loi canadienne rappelle que le refus de soins ne souffre d’aucune contestation et ce même lorsque ledit refus de soins entraînerait le décès du patient. Nous pouvons considérer que si la loi canadienne détaille autant le droit de refuser des soins, c’est qu’elle considère ce droit comme étant d’une importance capitale. L’utilisation des termes « y compris » dans l’annonce d’un motif spirituel au refus de soins semble repousser toutes les limites d’un tel droit. En effet, cela pourrait sous‐entendre que même le refus de soins pour motif « d’ordre moral
ou religieux », qui semblent être les motifs les moins compréhensibles pour la plupart,
peuvent justifier un refus de soins qui pourrait entrainer la mort sans que le médecin ou quiconque puisse y remédier. Cela semble démontrer une volonté de la part du législateur canadien de faire primer le droit au refus de soins sur la liberté de croyance. Alors qu’en France le refus de soins est certes reconnu comme étant un droit, celui‐ci fait l’objet d’une vision différente. En effet, il semble passer au second plan par rapport à d’autres droits. Le fait de ne pas détailler les caractéristiques de ce refus de soins démontre qu’il s’agit plutôt ici d’une possibilité du patient à pouvoir refuser les soins et lorsque ce dernier peut entrainer une issue fatale pour le patient, alors le médecin doit tout faire pour l’en dissuader. Cela démontre une position différente du législateur français, qui, par son incapacité à passer outre le refus de soins, par justification éthique validée par le Conseil constitutionnel et par une tradition jurisprudentielle, préfère installer un garde‐fou, via le rôle du médecin pour sauvegarder la santé du patient. Il s’agit donc d’une position française plus traditionnaliste ou paternaliste qui considère le
238 Cf page 16 concernant le respect de la vie privée d’après l’arrêt CEDH du 29 juillet 2002, n°2346/02 « Affaire Pretty c/ Royaume‐ Uni »
droit à la vie et à la santé comme étant primordiaux par rapport à d’autres aspects du droit comme certaines libertés individuelles.
Le droit belge, quant à lui, est un hybride entre le droit canadien et le droit français. En effet, l’article 8, paragraphe 4 de la loi 22 aout 2002, déjà énoncée précise que : « Le patient a le droit de refuser ou de retirer son consentement ». L’article ajoute que ce refus de soins peut être « fixé par écrit » si l’une ou l’autre des parties le demande. Enfin, le dernier alinéa énonce que ce refus de soins est valable et applicable jusqu’à sa révocation.
Le droit belge, même s’il parait plus souple que le droit français, qui exige un écrit dans le dossier médical, semble être un mélange entre libéralisme médical et paternalisme. En effet, d’un coté, il n’est pas détaillé les motifs de refus comme pour le droit canadien, ce qui laisse sous‐entendre la possibilité d’un refus de soins soumis à conditions et ne pouvant être invoqué pour certains motifs. Néanmoins, à l’inverse du droit français, le droit belge reste silencieux sur le rôle du professionnel de santé dans sa démarche de conviction du patient lorsque ce refus entrainerait la mort. S’agit‐t‐il pour autant d’une véritable nuance de législation ? Dans la mesure où l’Etat belge autorise l’euthanasie, il n’est pas nécessaire pour le législateur d’invoquer le rôle du médecin. Le refus de soins pouvant s’apparenter à une volonté d’euthanasie « passive », il serait incohérent de vouloir faire intervenir le professionnel de santé dans la recherche du consentement du patient.
Paragraphe 2 : Le refus de soins, cas particulier de l’expression de la volonté du mineur ou du majeur incapable
L’enfant immature, craintif ou l’incapable majeur dans l’impossibilité de
raisonner sont également sujets à la décision médicale. Ils doivent donc être tous deux guidés par des personnes qui iront dans le sens de leur intérêt. Ces personnes, les titulaires de l’autorité parentale ou le mandataire légal, tuteur, de la personne incapable devront donc, en principe, décider de ce qui semble être le mieux pour la personne dont ils sont responsables. Néanmoins, la question est donc de savoir si le mieux pour eux est réellement le mieux pour l’enfant ou le majeur incapable.
A) L’exercice de l’autorité parentale et la décision médicale
Les parents sont responsables de leurs enfants, ainsi l’article 1384, alinéa 4 du Code civil dispose que : « Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant
avec eux ». La condition de la responsabilité des parents des dommages causés par leur
enfant est l’exercice de l’ « autorité parentale » qui, a contrario, leur donne un pouvoir de décision en ce qui concerne leur enfant.
1) Le régime de l’autorité parentale
L’autorité parentale est définie par l’article 371‐1240 du Code civil qui dispose que : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoir ayant pour finalité
l’intérêt de l’enfant ». L’alinéa premier est clair, l’autorité parentale désigne les
prérogatives des parents, les obligations et les droits qui leurs sont reconnus à raison de leur lien de parenté et dont l’exercice ne peut avoir une autre finalité que celle de
« l’intérêt de l’enfant ».
L’alinéa second ajoute qu’ : « Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour
assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à la personne ».
Cet alinéa concerne de plus près notre propos, dans la mesure où il annonce que les parents disposent du pouvoir de décision en ce qui concerne la santé de l’enfant. Néanmoins cet article pose déjà une limite à ce pouvoir de décision qu’est « le respect dû
à la personne ». Le législateur rappelle que malgré la situation d’apparente « servitude »
où se trouve l’enfant entre les mains de ses parents, ces derniers ne peuvent pas prendre de décisions qui dénuerait l’enfant de tout « respect », de toute reconnaissance de cet enfant comme être humain et qui porterait atteinte à sa dignité.
Enfin, le dernier alinéa dispose que : « Les parents associent l’enfant aux décision
qui le concerne, selon son âge et son degré de maturité ». Cette disposition semble être
d’une logique implacable et naturelle dans la mesure où des parents ne pourront pas faire participer des enfants en bas‐âge aux décisions relatives à leur santé en raison de leur degré de maturité. Cela signifie donc que lorsque l’enfant est dans un âge plus avancé, lorsqu’il est adolescent, il participe aux décisions relatives à sa santé. Néanmoins, en tant qu’associé, l’article ne semble pas lui donner les pleins pouvoirs. En effet, il reste lié à la volonté de ses parents, qui feront tout pour le convaincre de participer à tel acte médical, à la pratique de tels soins. Il s’agit, en réalité, plus d’une étape de « guidage », d’ « apprentissage » que d’une réelle participation à la décision. L’enfant, bientôt adulte, devra s’ « émanciper » du cocon familial pour être de plus en plus indépendant et peut être livré à lui‐même. Pour cette raison, le législateur prévoit la participation de l’enfant aux décisions qui le concernent, notamment lorsqu’il s’agit de sa santé, afin qu’il puisse agir en toute autonomie lorsqu’il sera majeur.
Pour le professeur Anne Kimmel‐Alcover241, ce consentement parental est « exclusif ». Elle souligne notamment les exemple annoncés préalablement, à savoir pour « les soins et interventions concernant les nourrissons, les enfants en bas‐âge et tous ceux qui, par leur manque de maturité et de discernement, ne sont pas aptes à comprendre les enjeux de la décision les concernant ». En tant que titulaire de la
240 Article 371‐1 du Code civil issu de la loi n°70‐459 du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale
241 A. Kimmel‐Alcover, « L’autorité parentale à l’épreuve de la santé des mineurs : chronique d’un déclin annoncé », RDSS, 2005, p.265.
décision médicale, il revient, dès lors, aux parents un droit à l’information concernant les risques pour l’enfant de l’intervention. Ils doivent bénéficier d’un consentement libre et éclairé exactement identique à celui recherché s’il était la personne sujette à l’intervention médicale.
L’auteur soulève la problématique du consentement des parents lorsque ceux‐ci sont séparés. Les parents étant tous deux dépositaires de l’autorité parentale, décident communément pour l’intérêt de l’enfant. Si l’autorité parentale est retirée à l’un des parents, la solution est dès lors simplissime, dans la mesure où la personne sur qui repose seule l’exercice de l’autorité parentale sera apte à décider. Lorsque l’urgence l’ordonne mais que les parents ne sont pas d’accord, notamment en matière de santé, il est préférable d’aller dans le sens de la décision qui favorise le plus, l’intérêt de l’enfant comme l’indique l’article du Code civil. Anne Kimmel‐Alcover souligne également, de manière logique, qu’en matière de décision de santé bénigne, un seul parent soit apte à prendre la décision relative à l’enfant et ce dans l’exercice du régime de l’article 372‐2 du Code civil selon lequel : « A l’égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre, quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale
relativement à la personne de l’enfant ». Ce texte étant issu de la loi du 04 mars 2002, nul doute que l’intention du législateur était celle‐ci, à savoir faciliter la décision médicale du parent lorsque celle‐ci concerne des actes courants. 2) Le rôle du mineur dans la décision médicale depuis la loi du 04 mars 2002
Depuis la loi dite « Kouchner », le mineur bénéficie d’une certaine « émancipation en ce qui concerne sa santé. En effets, plusieurs dispositions le sollicitent afin que ce dernier puisse donner son avis. La question est donc, alors, de savoir s’il s’agit d’un réel avis qui ne serait revêtu que d’une certaine autorité relative ou s’il s’agit d’un réel pouvoir de décision s’imposant aux parents mais également à l’administration médicale ?
Tout d’abord, l’article L.1111‐2, alinéa 5 du CSP prévoit que les mineurs ont droit à l’information médicale comme tout autre patient. Il dispose en effet que : « Les intéressés ont le droit de recevoir eux‐mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d’une manière adaptée soit à leur degré de maturité s’agissant des
mineurs… ».
Cet article semble démontrer toute la relativité de la prise de décision du mineur en ce qui concerne sa santé. En effet, l’article énonce en premier lieu qu’il s’agit d’un droit pour le mineur de participer à la prise de décision. Il ne s’agit pas d’une obligation pour le médecin mais d’un « simple » droit pour le mineur qui peut en profiter ou non, selon sa convenance. Il s’agit, ensuite, pour lui de « participer à la prise de décision » et non pas d’en être l’acteur principal. En effet, le terme de participation lui confère le droit d’être informé des traitements envisagés ainsi que des risques, lui confère également le droit de donner son avis, qui sera suivi ou non, mais en aucun cas lui confère un réel pouvoir de décision. Néanmoins, cette information et cette participation sont graduées
en fonction de l’état de maturité de l’enfant. Il ne s’agit pas donc pas de son âge, même si la maturité est le corollaire de l’âge, mais de sa capacité de discernement, de sa faculté de compréhension et de sa « sagesse » dans sa prise de décision. Cela signifie donc que l’avis d’un adolescent de 16 ans sera d’avantage suivi que l’avis de l’enfant de 10 ans. Cela semble légitime dans la mesure où les craintes d’un enfant ne sont pas les mêmes que celles d’un adolescent, que ce dernier se montrera plus téméraire, et que si les décisions des enfants craintifs étaient toujours suivies, le taux de mortalité infantile serait bien plus élevé que ce qu’il est. En ce qui concerne l’alinéa 6 de l’article L. 1111‐4 CSP, il semble considérer, de manière plus importante, l’avis du mineur. En effet, il dispose que : « Le consentement du mineur (…) doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision ». Cet article crée pour le corps médical une obligation, celle de rechercher le consentement de l’individu mineur sous deux conditions. Cette obligation est nécessaire lorsque le mineur est capable d’exprimer sa volonté, et lorsqu’il est capable de participer à la décision. Il faut donc que le mineur soit dans la mesure de tenir des propos, de manière verbale ou écrite, cohérents et de les maintenir lors de la prise de décision. Il semble, néanmoins, qu’il ne s’agisse que d’une participation, comme pour l’article précédent et il faut peut être modérer l’importance de l’avis du mineur. Il ne s’agirait donc, ce qui a été qualifié par certains242, que d’un droit d’ « expression du mineur » dans la recherche du consentement aux soins et non d’un réel pouvoir de décision. Cela se confirme par la dernière phrase de l’alinéa qui énonce que : « Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale (…) risque d’entrainer des conséquences graves pour la santé du mineur (…), le médecin délivre les
soins indispensables ». Cette disposition vient apporter une précision sur la force de
l’expression de la volonté du mineur. Dans la mesure où le « balayage » de la volonté des personnes exerçant l’autorité parentale entraine de facto la pratique des soins, cela signifie que le consentement du mineur ne présente aucune valeur. Effectivement, si la volonté du mineur recouvrait une certaine valeur, alors sa décision primerait sur celle de ses parents. Or, lorsque la décision de la personne titulaire de l’autorité parentale est néfaste pour la santé du mineur, alors seul le médecin est maitre de la prise de décision.
Ces deux articles sont néanmoins différents et complémentaires. En effet, alors que le premier d’entre eux est relatif à l’information, le second concerne la recherche du consentement, donc l’expression positive du recours aux soins. Ils sont donc complémentaires dans la mesure où l’information est nécessaire au plein consentement. Mais ils sont surtout différents dans la mesure où l’un concerne un principe général, « Le
consentement du mineur doit être systématiquement recherché… » alors que le premier
fait office d’exception au principe selon lequel « Les droits des mineurs (…) sont exercés
par les titulaires de l’autorité parentale. ». La combinaison de ces articles soulève donc
une incohérence dans la mesure où leur consentement est recherché mais que le droit à
l’information est limité. Cette information est limitée dans la mesure où elle est
« adaptée… à leur degré de maturité… ». Le consentement du mineur est dès lors
différent de celui du majeur capable dans la mesure où il n’est pas totalement éclairé. Cela signifie donc que le mineur dispose d’un droit restreint, par rapport au majeur concernant son « droit au consentement médical ». Néanmoins, cela n’est pas dérangeant outre mesure car le législateur ne semble accorder qu’une place symbolique, dénuée de valeur, à la parole du mineur. Certainement, celui‐ci dispose d’un droit à une information restreinte, effectivement celui‐ci dispose d’un droit à la participation de la décision par la recherche de son consentement mais il ne s’agit que d’une participation qui ne recouvre, en réalité, aucune valeur dans la mesure où le refus de soins exprimer par la personne exerçant l’autorité parentale laisse place à une pleine autonomie du médecin lorsque la santé du mineur est menacé.
L’article L. 1111‐5 CSP vient, néanmoins, créer une exception aux principes énoncés jusqu’à lors. En effet, il dispose que : « le médecin peut se dispenser d’obtenir le consentement du ou des titulaires de l’autorité parentale sur les décisions médicales à prendre lorsque le traitement ou l’intervention s’impose pour sauvegarder la santé d’une personne mineure, dans le cas où cette dernière s’oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l’autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé. Toutefois, le médecin doit dans un premier temps s’efforcer d’obtenir le consentement du mineur à cette consultation. Dans le cas où le mineur maintient son opposition, le médecin peut mettre en œuvre le traitement ou l’intervention. Dans ce cas, le mineur se fait
accompagner d’une personne majeure de son choix ».
S’agit‐t‐il d’un article visant à créer un véritable pouvoir du mineur dans sa démarche médicale ? Oui, certainement, mais de manière tempérée dans la mesure où il s’agit d’une exception au principe énoncé par les articles L. 1111‐2 et L. 1111‐4. Il s’agit en réalité de la consécration du secret médical pour le mineur et non pas d’un véritable pouvoir de décision sur sa santé. Le législateur emploi le verbe « pouvoir » pour désigner la possibilité du médecin à se dispenser du consentement des parents. Il s’agit donc d’une exception au régime général, ce qui confirme bien, qu’en règle général, ce pouvoir de décision médicale appartient uniquement aux parents.
Le texte exige, enfin, la présence d’un adulte pour accompagner le mineur. Quels sont donc la force et l’intérêt d’une telle mesure ? L’intérêt est simple, il s’agit en réalité de la possibilité pour le mineur d’avoir un conseiller, une personne qui serait présente afin de l’aiguiller ou de la raisonner en cas de décision excessive. Néanmoins, en ce qui concerne la force de cette mesure, elle ne peut être que relative dans la mesure où le mineur choisit cette personne, nul doute qu’elle effectuera son choix en fonction de son intérêt. Contrairement au Québec où, selon l’article 14, alinéa 2 du Code civil : « Le
mineur de 14 ans et plus peut, néanmoins, consentir seul à ces soins… », le mineur, France