SECTION I – LE REFUS DE SOINS, EXPRESSION DE LA VOLONTÉ
Paragraphe 1 : Une expression de la volonté reconnue par la loi et la jurisprudence
B) La santé, composante potentielle d’un nouvel ordre public ?
Aujourd’hui, l’article L. 1111‐4 prévoit que la décision du patient est inscrite dans son dossier médical, de manière à ce qu’il reste une preuve de sa volonté. Le rôle du médecin est, en l’espèce, très compliqué. Nous pourrions le comparer à un funambule qui s’il se penche trop à droite ou trop à gauche risque de tomber. Il doit se maintenir sur sa ligne directrice qu’est le respect de la loi et de l’éthique. Néanmoins, la dispense et l’instruction de textes légaux durant la formation de médecine est nulle ou quasi nulle ce qui complique l’attitude du médecin en situations d’urgences. Est‐il, à ce moment là, capable de se préoccuper d’autre chose que de la dispense de soins du patient. Les médecins, comme nous l’avons assez dit, sont des humanistes, ils respectent la volonté humaine mais surtout ont vocation à lui sauver la vie. Difficile, dans ces conditions, de devoir se rappeler les différents textes législatifs, règlementaires, jurisprudentiels qui tendent à sauvegarder leur responsabilité et leur dignité. B) La santé, composante potentielle d’un nouvel ordre public ? 1) La santé, tous victimes et tous financeurs de soins
Premièrement, tout le monde est susceptible d’être confronté directement ou
indirectement à la maladie. D’ailleurs, quelle poignée de main n’a jamais été conclue d’un « comment allez‐vous ? » ou d’une phrase similaire. La santé est universelle en ce sens où elle nous concerne tous à des degrés différents. Nous sommes tous également concernés par la maladie et la santé d’une manière indirecte. En effet, nous contribuons tous au financement de la santé, à la promotion du système de sécurité sociale basée sur la mutualisation des risques et à la solidarité. En effet, l’article L. 111‐1 du Code de la Sécurité sociale, en son alinéa premier, énonce que : « L’organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité
nationale ».
L’alinéa 1 de l’article L. 111‐2‐1 dispose que : « La Nation affirme son attachement
au caractère universel, obligatoire et solidaire de l’assurance maladie ».
La santé est donc l’affaire de tous, le système de financement des soins est universel, il bénéficie à tous et à toutes à raisons des principes d’universalité de la santé prévu à l’article L. 1110‐3, alinéa premier, selon lequel : « Aucune personne ne peut faire
l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins ».
Il a un caractère obligatoire, ce qui signifie que toute personne doit être affiliée à un régime de santé qui financera ses soins de manière quasi intégrale.
Enfin, l’assurance maladie a un caractère solidaire dans la mesure où nous
sommes tous payeurs à travers les cotisations.
Des soins gratuits, des outils à la pointe de la technologie, comment pouvons‐ nous, dans ces conditions refuser des soins ? Lorsque dans des régions du monde,
certaines populations ne connaissent même pas la signification du mot « cancer », il paraît totalement invraisemblable de ne pas, au moins, essayer de lutter contre la maladie. La vie est le bien le plus précieux qui nous appartient, d’ailleurs toute législation n’a qu’un seul objet, réguler, encadrer la vie de chacun afin de permettre de la préserver. Comme nous l’avons déjà mentionné, le « droit à la santé » ou à « la protection de la santé » n’est pas absolu. En effet, le « droit au refus de soins » ou le respect de la vie privée et l’avènement de la liberté individuelle font de ce droit, une simple obligation de la part de la « Nation » de mettre tous les moyens en œuvre afin que ce droit soit respecté et atteint.
Le « refus de soins » n’est, malgré tout, pas absolu non plus. Nous l’avons déjà évoqué, lorsqu’il s’agit d’un refus de soins motivé par des considérations religieuses et lorsque la vie de la personne engagée, alors le médecin peut, sans crainte, outrepasser la volonté du patient. La question est de savoir s’il s’agit d’une possibilité laissée en raison de la liberté de conscience ou de religion qui serait en deçà du droit à « la protection de la santé » ou si la raison principale est la supériorité « absolue » du droit à la vie sur l’ensemble des autres droits fondamentaux ? La réponse est aisée dans la mesure où la jurisprudence semble considérer que lorsque le pronostic vital n’est pas engagé, alors le médecin qui outrepasse la volonté du patient, commet une faute.
2) Le droit à la vie et le droit à la protection de la santé un nouvel ordre public ?
Néanmoins, le « droit à la protection de la santé » et le droit à la vie sont du même
acabits. Effectivement l’un ne peut aller sans l’autre. Nous ne pouvons vivre éternellement si nous sommes en mauvaise santé et nous mourrons la plupart du temps car nous sommes en mauvaise santé. Ce qui signifie concrètement que nous ne pouvons vivre correctement, de manière conforme aux exigences sociales, de manière digne lorsque nous sommes malades, mais en plus de cela, la maladie porte atteinte et détruit notre vie, notre droit le plus fondamental. Ces deux notions sont dès lors, plus que toutes autres, liées entre elles de manière à constituer un socle supérieur de droits fondamentaux. Par ce syllogisme, nous pouvons donc considérer qu’au‐delà du droit à la vie, le refus de soins porte atteinte au droit à la protection de la santé.
Dès lors, nous pouvons nous poser la question de savoir s’il est possible de fortement limiter le droit au refus de soins par une notion cadre, celle d’ordre public, à laquelle les droits à la santé et à la vie seraient nécessairement intégrés ?
Il existe déjà, ce que l’on appelle un « ordre public sanitaire ». En effet, le professeur Bernadette Le Baut‐Ferrarèse évoque déjà cette notion dans son article relatif à la consécration du refus de soins par l’arrêt « Pretty ». Qu’est‐ce que cette notion peut bien recouvrir comme réalité ? Nous pouvons déjà imaginer qu’il s’agit de toutes les mesures imposées par la nécessité de préservation de la santé publique. A savoir, les mesures de quarantaines, l’information obligatoire du patient de la réalité de sa maladie
malgré son refus lorsqu’il existe un risque de contamination ou de transmission à des tiers (article L. 1111‐2, alinéa 4 du CSP). L’auteur nous parle également de la vaccination obligatoire et cite à ce propos une décision de la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans une espèce du 15 janvier 1998354, la Cour européenne a affirmé que
l’obligation vaccinale ne constitue pas « une ingérence dans le droit au respect de la vie
privée ». Elle ajoute que : « La Commission estime que, pour ce qui est de l’objectif de la
législation mise en cause, l’ingérence litigieuse est justifiée par la protection tant de la
santé publique que de celle des intéressé eux‐mêmes ».
Cette décision va connaître une répercussion sur le plan national avec
l’ordonnance du Conseil d’Etat du 16 août 2002. Le juge administratif ne manquera pas de rappeler que le médecin ne commet pas de faute quant : « après avoir tout mis en œuvre pour convaincre un patient d’accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ».
Ces deux décisions viennent clairement freiner la liberté personnelle du patient
et le respect de sa vie privée par l’imposition d’un traitement médical pour la préservation de la santé publique et de sa santé selon la Cour européenne et par corrélation pour la sauvegarde de sa vie selon le Conseil d’Etat.
Pour les professeurs Serge Guinchard et Gabriel Montagnier l’ordre public
est une « vaste conception d’ensemble de la vie en commun sur le plan politique et
administratif. Son contenu varie évidemment du tout au tout selon les régimes. A
l’ordre public, s’opposent, d’un point de vue dialectique, les libertés individuelles dites publiques ou fondamentales et spécialement la liberté de se déplacer, l’inviolabilité du domicile, la liberté de penser, la liberté d’exprimer sa pensée. L’un des points les plus délicats est celui de l’affrontement de l’ordre public et de la morale ».
Pour les deux auteurs, l’ordre public est donc, en réalité, le pouvoir pour l’Etat et
ses organes d’imposer des règles contraignantes, tendant même à la limitation des libertés, qu’elles soient fondamentales ou non afin de justifier le maintien de certaines valeurs que sont la « sûreté, la sécurité et la salubrité publique (selon l’article L. 2212‐2 du
Code général des collectivités territoriales) » et ce, sous le contrôle du Conseil d’Etat.
Ainsi, le Conseil d’Etat a souvent limité certaines libertés, même les plus fondamentales, notamment dans des arrêts concernant la liberté de réunion ou d’expression355 à l’intérieur d’un établissement public, de la liberté d’expression
354 CEDH n°26536/95 du 15 janvier 1998, « Boffa et 13 autres c/ Saint‐Marin ». 355 Conseil d’Etat, ordonnance de référé, du 7 mars 2011, n°347171
concernant un spectacle humoristique356, de la liberté d’entreprendre par l’interdiction de l’ouverture d’un sex‐shop357.
Le Conseil d’Etat se veut être le « juste censeur » des libertés publiques mais surtout protecteur de l’ordre public et le contrôleur des pouvoir de police administrative dont disposent certaines organes de l’Etat.
Pour revenir sur la santé, nous voyons clairement, à travers les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, du Conseil d’Etat mais également du Conseil constitutionnel lorsqu’il approuve une loi limitant la propagande et la publicité d’alcool qu’il existe un ordre public sanitaire dans lequel fait partie de manière certaine le « droit à la vie », la préservation de la « santé publique » mais également, d’une manière moins directe, le droit « à la protection de la santé de l’individu » comme l’énonce la Cour européenne dans son arrêt « Boffa c/ Saint‐Marin »
Le droit au refus de soins reste néanmoins nécessaire. Nous ne pouvons soutenir
l’autonomie du patient et son indépendance s’il n’est pas en mesure de pouvoir réfuter une offre de soins. Ce refus de soins est fondamental et conditionne l’ensemble des progrès législatifs en la matière. Il est considéré comme droit fondamental par les magistrats européens et en droit interne à travers des principes phares, des principes conducteurs de notre société que sont le respect de la vie privée et des libertés individuelles.
Néanmoins, ce refus de soins ne peut être anarchique et absolu. Dans un premier
temps car, même s’il est accepté en cas de risque de mort, son « absolutisme » pourrait mener à la consécration de droits néfaste pour l’homme et pour sa considération. Deuxièmement, comme pour les jurisprudences d’avant 1994, il doit faire l’objet de responsabilisation de la part de son auteur. A savoir, quant au « quantum » d’indemnisation, nous pensons qu’il doit se limiter aux préjudices potentiellement constatés après l’intervention médicale refusée pour éviter la recherche du « tout pécuniaire » et ainsi privilégié l’handicap financier à l’handicap physique et la protection de l’intégrité de l’individu. Le refus de soins, tant fondamental soit‐il, doit trouver son intérêt et sa portée dans la manifestation de l’autonomie et l’indépendance de la personne et non dans les abus susceptibles d’en découler comme l’ouverture du « droit à mourir » et la « marchandisation du corps humain ».
Le droit à l’information ou le droit au refus de soins constituent donc le droit « au
consentement libre et éclairé » envisagé par l’article L. 1111‐4 CSP. L’information étant
indispensable pour la compréhension de la personne par rapport à la thérapie envisagée, le droit au refus de soins réifiant la liberté de la personne face à l’offre de soins, ces droits viennent protéger l’individu contre les atteintes que sa santé peut subir.
Véritables « libertés publiques », le droit à l’information et au refus de soins procèdent au respect du droit à la santé envisagé sous l’angle des droits subjectifs. La
356 Conseil d’Etat, ordonnance de référé, du 9 janvier 2014, n°374508 357 Conseil d’Etat, ordonnance de référé, du 8 juin 2005, n°281084
Cour de cassation ou le Conseil d’Etat veillent donc à leur respect en opérant un « contrôle de proportionnalité ». Les deux juridictions s’appliquent à préserver l’équilibre entre droit subjectif à la santé et « droit‐créance », impliquant une certaine contrainte. Si le Conseil constitutionnel demeure réticent concernant le primat du droit subjectif à la protection de la santé comme nous le verrons dans notre seconde partie, il n’est pas avare en ce qui concerne les mesures de protection du « droit‐créance ». Enfin, en ce qui concerne la CEDH, elle aussi opère, à l’image du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation un contrôle de proportionnalité permettant à l’individu de rester maître de sa santé et autonome tout en reconnaissant la nécessité d’une contrainte.
TITRE II – LE CONSENTEMENT AUX SOINS : UNE RÉALITÉ PLUTÔT PESSIMISTE
L’information du patient et son droit au refus de soins constituent donc l’approche optimiste du droit à la santé, une approche qui préserve le droit subjectif du patient. Néanmoins, cette approche optimiste est vite effacée par un certain nombre de règles qui viennent limiter le consentement de la personne. Ainsi, certaines pratiques médicales impliquent une certaine contrainte. Cette contrainte peut être positive ou passive.
Elle est positive lorsque la personne subie des soins auxquels elle n’a pas encore consentie, lorsque son consentement n’est pas respecté ou lorsque ce dernier n’est pas recueilli. Cette absence de consentement est souvent expliquée par une impossibilité absolue d’un recueil, lorsque la personne est inconsciente, ou impossibilité relative lorsque la personne connaît une déficience mentale passagère ou permanente. Dans un souci de protection de la personne, dans un souci de protection de sa santé, de sa vie ou encore de la préservation de l’ordre public, la loi permettra donc au corps médical de pratiquer les soins. La législation française est‐elle alors pourvue d’outil permettant d’établir un consentement ou une présomption de consentement de sorte à ce que ce dernier soit préservé ? De manière plus critiquable, la contrainte positive peut également exister, non pas en raison d’un impossible recueil du consentement, auprès de personnes parfaitement lucides ou capable. Ainsi, l’obligation vaccinale constitue un véritable frein au libre consentement de la personne pourtant en pleine possession de ses moyens intellectuels.
La contrainte est également négative lorsque la volonté de la personne de recourir aux soins existe mais que la loi ne lui permet d’y accéder. Ainsi, en matière d’interruption volontaire de grossesse (IVG), de procréation médicalement assistée (AMP) ou de fin de vie, le consentement de la personne est totalement inopérant.
Il s’agira donc d’envisager l’ensemble des contraintes médicales, que celles‐ci soient positive (Chapitre 1) ou négative (Chapitre 2) afin d’établir une lecture plus pessimiste du droit au consentement aux soins. Malgré les beaux principes édictés par les premiers articles du Code de la santé publique, nous nous apercevrons qu’en réalité le libre consentement de la personne est loin d’être pleinement consacré par le législateur.