SECTION I – LE REFUS DE SOINS, EXPRESSION DE LA VOLONTÉ
Paragraphe 1 : Une expression de la volonté reconnue par la loi et la jurisprudence
B) Le mandat de tutelle et la décision médicale
Le Code civil reste relativement muet sur le rôle du tuteur dans son rôle de protection de la santé du majeur protégé. L’article 425 du Code civil, alinéa second, évoque néanmoins que : « la mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle‐ci. Elle peut toutefois être limitée expressément à l’une
de ces deux missions ».
Voilà ce que nous donne comme information le Code civil sur les mesures de protection de la santé du majeur incapable. Le Code de la Santé publique est plus précis en ce qu’il détermine le régime sous lequel la personne chargée de la protection des intérêts du majeur intervient. Les articles L.1111‐2 et L.1111‐5 n’évoquent que le cas du majeur sous tutelle, le régime le plus grave prévue par le Code civil. Le législateur a sans doute estimé que la personne placée sous sauvegarde de justice et sous curatelle n’avait pas besoin d’être assistée par une autre personne en matière de décision médicale dans la mesure où leur cas n’est pas évoqué par la loi. Concrètement, les dispositions relatives à la personne sous tutelle sont les mêmes que celles qui concernent le mineur, exception faite de l’article L. 1111‐5 du CSP qui ne concerne que le mineur. En l’espèce, il s’agit donc, pour la personne sous tutelle, d’un droit à l’information et à la participation si son état le permet. L’article L.1111‐2 parle effectivement d’un « état de discernement » suffisant.
Selon l’article L.1111‐4, le consentement du majeur sous tutelle : « doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la
décision ». Comme pour le mineur, le pouvoir de décision final appartient au tuteur. Cela
semble, pourtant, moins évident, sur le plan éthique, que pour le mineur. En effet, si le mineur reste un « immature permanent » du fait de son âge, le majeur protégé reste néanmoins majeur et il n’est pas exclu que lors d’un entretien médical, il n’est pas un moment de pleine lucidité. Le médecin, reste néanmoins le garant de la bonne décision médicale dans la mesure où si : « le refus d’un traitement par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables ». Le législateur, à travers ces dispositions, souhaite faire participer le mineur ou le majeur sous tutelle aux débats médicaux qui les concerne. En effet, si les parents ou le représentant légal conserve le pouvoir de décision pour la personne qu’il « protège », le législateur essaye, autant que faire se peut, participer à la décision médicale. Si leur expression n’a que la valeur d’un avis et ne revêt pas réellement le pouvoir de décision, il s’agit d’un premier pas d’une volonté de promouvoir l’autonomie de la personne. Le mineur, le majeur sous tutelle, n’est donc pas en mesure de refuser un traitement qui s’impose à lui. Même lorsque l’acte de soins est réfuté par le représentant légal, le médecin a toujours le pouvoir de le pratiquer, malgré le refus de ce dernier, dans la
mesure où l’absence de ce soin aurait des conséquences « graves » pour la santé du
mineur ou du majeur protégé.
SECTION II – LE REFUS DE SOINS, UNE LIBERTÉ
FONDAMENTALE ?
Nous venons de le constater, le refus de soins est largement consacré par notre
droit. De par la loi et l’article L. 1111‐4 du Code de la santé publique, il peut être considéré comme une véritable « liberté publique ». Il n’en demeure pas moins que nous pouvons nous attarder sur son caractère « fondamental » au sens normatif du terme. Le droit au refus de soins détient‐il un caractère fondamental ? (Paragraphe 1).
Liberté fondamentale ou non, nous nous apercevrons que ce refus de soins peut
procéder d’autres droits fondamentaux, notamment de la liberté religieuse, en l’invoquant comme justification d’un tel refus ou encore s’opposer à d’autres droits fondamentaux comme le droit à la protection de la santé tel qu’entendu couramment par l’alinéa 11 du Préambule de 1946 ou, in fine, du droit à la vie (Paragraphe 2) deux composantes potentielles d’un nouvel ordre public (Paragraphe 3).
Paragraphe 1 : La considération du refus de soins comme « liberté fondamentale » : une réalité ?
Nous l’avons vu, la possibilité de refuser des soins est largement consacrée par la
loi et reconnue par la jurisprudence. La question est donc de savoir si cette faculté est reconnue par des normes supra législatives qui permettraient de le qualifier comme droit fondamental en raison de sa normalisation. Comme nous l’avons vu, un droit n’est fondamental qu’en raison de sa protection vis‐à‐vis du pouvoir législatif ordinaire et, à plus forte raison, du pouvoir règlementaire. Si le refus de soins est largement envisagé les normes supra législative du droit européen (A), aucun texte, ou jurisprudence du Conseil constitutionnel ne permet de lui accorder une telle garantie (B).
A) Les normes supra‐législatives consacrant le refus de soins en droit
européen
Comme nous l’avons souligné préalablement, la Convention d’Oviedo fait figure de norme dans notre ordre juridique dans la mesure où ce texte a été ratifié par la France. La question est donc de savoir si ce texte consacre spécialement le refus de soins.
La réponse apportée est négative, la Convention ne traite pas, en tant que tel, du
refus de soins. Mais elle comporte une norme qui, sous interprétation, peut largement suffire à consacrer le « refus de soins ». Il s’agit de l’article 9 de la Convention qui s’intitule « Souhaits précédemment exprimés ». Cet article dispose que : « Les souhaits
précédemment exprimés au sujet d’intervention médicale par un patient qui, au moment
de l’intervention, n’est pas en état d’exprimer sa volonté seront pris en compte ».
In fine, le patient qui exprime un refus de soins à propos d’une intervention doit
voir sa décision prise en compte selon ce texte, qu’il soit hors « d’état d’exprimer sa
volonté » ou à plus forte raison en pleine possession de ses facultés intellectuelles.
L’article 5, alinéa 3, peut également servir de fondement à la consécration du refus de soins. Il énonce que « La personne concernée peut, à tout moment, librement
retirer son consentement ». Le retrait du consentement est donc le refus de soins. En
effet, une personne qui donne son consentement « libre et éclairé » est celle qui va accepter les soins mais celle qui le retire est donc celle qui refuse les soins. Nous pouvons, donc, légitimement penser que ce droit du refus de soin est implicitement consacré par cette Convention d’Oviedo.
Pour aller plus loin dans le droit européen, et notamment via la Convention européennes des droits de l’homme, nous pouvons nous demander si le refus de soins ne peut pas relever d’un droit fondamental garanti par elle ? Lors des arrêts devant le juge administratif par la procédure du référé‐liberté, les plaignants ont souvent invoqué les textes de ladite Convention, notamment les articles 3, 5, 8 et 9. Parmi ces articles, il en est un qui pourrait légitimement servir de fondement au refus de soins. Il s’agit de l’article 8, consacrant « le droit au respect de la vie privée et familiale ». En effet, le refus de soins relève de l’intimité de la personne, de son autonomie personnelle et de son intime conscience. La violation de cette décision et l’atteinte à l’intégrité physique sous la contrainte peut s’apparenter à une intrusion dans sa vie privée, à la violation de sa conscience.
Ainsi, une décision de la Cour européenne va en ce sens. En effet, la Cour a déclaré qu’ « Une intervention médicale sous la contrainte, même si elle est d’importance
minime, doit être considérée comme une atteinte à ce droit (article 8) »243.
Cette perspective a été confirmée par la Cour européenne, dans son fameux arrêt
« Pretty »244 et s’est prononcé sur le lien entre le respect de l’article 8 relatif au « droit au
respect de la vie privée » et les atteintes non consentie à l’intégrité physique. La Cour
commence par énoncer que « la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive. Elle recouvre l’intégrité physique et morale de la
personne… » et ajoute que « La Cour observe que la faculté pour chacun de mener sa vie
comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageable ou dangereuse pour sa personne (…) En matière médicale, le refus d’accepter un traitement particulier pourrait, de façon inéluctable, conduire à une issue fatale, mais l’imposition d’une traitement sans le consentement du patient s’il est adulte et sain d’esprit s’analyserait en
243 Cour européenne des droits de l’homme, du 13 décembre 1979, n°8278/78, « X c/ Autriche » 244 Cour européenne des droits de l’homme, du 29 avril 2002, n°2346/02, « Pretty c/ Royaume‐Uni »
une atteinte à l’intégrité physique de l’intéressé pouvant mettre en cause les droits protégés par l’article 8 § 1 de la Convention ». La CEDH le confirme, la pratique de soins sans le consentement de la personne porte nécessairement atteinte au respect de sa vie privée. Cela signifie donc que le refus de soins et son respect sont protégés par ce biais.
Certainement plus efficace que la Convention d’Oviedo, la Convention
européenne des droits de l’homme , et la jurisprudence qui en découle, vient sceller le sort du refus de soins, le considérant non pas comme droit fondamental en tant que tel mais comme étant le corollaire du principe selon lequel chacun a droit au respect de sa vie privée. Elle explique cela conditionnant l’atteinte au respect de la vie privée par une atteinte à l’intégrité physique non consentie. Lors d’un acte médical, l’intervention ou le traitement nécessite de facto, une atteinte à l’intégrité physique de la personne. L’article 8 § 1 de la CEDH est donc largement applicable en l’espèce. Plus connue et plus simple d’application, les justiciables pourront donc invoquer la Convention européenne et son article relatif au respect du droit à la vie privée devant les tribunaux nationaux en cas d’atteinte à leur droit du refus de soins.
Néanmoins, la jurisprudence de la Cour est contradictoire. En effet, elle a notamment considéré que certains traitements médicaux pouvaient être réalisés de force, notamment en matière pénale à des fins de recherche de preuve. Dans un arrêt de 2006, « Jalloh c/ Allemagne », elle a notamment estimé que « la nécessité de toute intervention médicale de force en vue de l’obtention de la preuve d’une infraction doit se
trouver justifiée de manière convaincante au vu des circonstances de l’affaire… »245. Si elle
est estime que cette pratique est envisageable, elle n’en reste pas moins conditionnée par les « circonstance de l’affaire ». Effectivement, la Cour poursuit en invoquant les conditions dans lesquelles peuvent s’opérer des pratiques médicales de force. Premièrement la Cour considère que cette pratique médicale de force ne pourrait intervenir que pour les infractions pénales les plus graves, il faudra ensuite que les autorités démontrent que cette intervention était nécessaire et exclusive, « l’intervention
ne doit pas faire courir au suspect le risque d’un préjudicie durable pour sa santé… ». Ainsi,
la Cour a considéré que le fait d’administrer de l’émétique au prévenu afin que ce dernier rende les sachets de stupéfiant qu’il dissimulait dans son estomac était de
« nature à inspirer au requérant des sentiment de peur, d’angoisse et d’infériorité propre à
l’humilier et l’avilir… ». Dans la mesure où il existait des mesures alternative au recueil
des preuves, les autorités allemandes ont violé l’article 3 de la Convention relatif au respect de la dignité humaine.
Outre le respect de la vie privée, la Cour rappelle donc que la pratique d’une intervention médicale sans le consentement de la personne peut également porter
atteinte à son intégrité physique, ainsi qu’à sa dignité246. Le refus de soins étant l’incarnation du libre consentement, nous pouvons comprendre de ces jurisprudence que le respect de la volonté de la personne est consacrée. Que le fait d’outrepasser le consentement de la personne conduit fréquemment sur une violation d’un principe fondamental garanti par la Convention. Ainsi, dans l’arrêt « V.C. c/ Slovaquie »247, la Cour rappelle que « dans le domaine de l’assistance médicale, même lorsque le refus d’accepter un traitement particulier risque d’entrainer une issue fatale, l’imposition d’un traitement médical sans le consentement du patient s’il est adulte et sain d’esprit s’analyserait en une atteinte au droit à l’intégrité physique de l’intéressé… ». Il en va ainsi, par exemple, de la personne qui est stérilisée sans son consentement par la section des trompes de Fallope, lors d’un accouchement par césarienne.
Néanmoins, nous avons du mal à nous positionner et à déterminer une règle
générale dans la jurisprudence de la Cour européenne. En effet, elle balance entre un libéralisme très prononcé considérant que le libre refus de soins peut aller jusqu’à se laisser mourir mais elle considère également que ce refus de soins ne peut obstruer les règles d’ordre public, de collecte de preuve et ainsi faire obstruction à une enquête. Tout cela ficelé par des critères propres, qu’elle dégage au long de ses jurisprudences, la Cour européenne des droits de l’homme semble avoir du mal à marquer sa position. Ainsi, le professeur Bernadette Le Baut‐Ferrarèse considère que la jurisprudence de la CEDH balance entre « fatalisme » et « pragmatisme »248. Elle considère la jurisprudence de la Cour ambiguë au sens où elle prône la liberté de traitement et la liberté d’y recourir (ainsi dans l’arrêt « Pretty c/ Royaume‐Uni » le juge, à défaut de consacrer un droit de mourir, consacre un droit au refus du prolongement de la vie par le refus de soins) mais elle prône également des principes tendant à protéger l’individu contre lui‐même et ses propres agissement au risque même de relever de l’ingérence dans le respect de sa vie privée (ainsi, toujours dans l’arrêt « Pretty c/ Royaume‐Uni », le juge refuse de consacrer un droit à mourir qui pourrait effectivement trouver sa source dans le droit à la vie). Comme le rappelle le professeur Le Baut‐Ferrarèse, ces décisions sont souvent fondées sur le respect de l’ordre public, voire d’un ordre public spécialisé qu’est l’ordre public sanitaire. B) Un droit au refus de soins absent des textes fondamentaux nationaux
En l’absence de toute allusion au droit au refus de soins par les textes supra‐ législatifs français, nous pouvons néanmoins nous poser la question si ce droit relèverait d’une liberté individuelle (1) ou d’une liberté personnelle (2). 246 CEDH du 8 novembre 2011, n°18968/07, « V.C. c/ Slovaquie ». 247 Ibidem. 248 B. Le Baut‐Ferrarèse, « La Cour européenne des droits de l’homme et les droits du malade : la consécration par l’arrêt Pretty du droit au refus de soins », AJDA 2003, p.1383.