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Redoublement et scolarisation en Afrique

CHAPITRE IV : LA QUALITÉ DE L’ÉDUCATION DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

4. Politiques éducatives et qualité de l’éducation en Afrique

4.1. Redoublement et scolarisation en Afrique

L’une des croyances largement entretenues en Afrique, surtout francophone, est que le redoublement constitue une aide appropriée aux élèves en difficultés d’apprentissage et contribue par conséquent à l’amélioration de la qualité de l’éducation. Cependant, on observe aussi bien à travers les comparaisons internationales que des études pays locales que les arguments avancés par les défenseurs de cette pratique ne reposent sur aucune base empirique vraie. En effet, une caractéristique du redoublement en Afrique est que celui-ci présente une très grande diversité dans son ampleur. Par exemple, dans une étude qui porte sur le développement humain dans des régions d’Afrique, Mingat (2000) montre que pour des pays ayant moins de 2000 $ US de PIB par tête d’habitant, le taux de redoublement se situait vers les années 1995 sur un continuum partant de presque zéro (Zimbabwe, Bolivie, Philippines) à plus de 30 % (Togo Gabon, Madagascar). C’est ce que montre le tableau (5) suivant. On y remarque d’ailleurs que la comparaison des taux moyens de redoublement entre les deux périodes ne présente que peu de variation et indique plutôt un fort degré d’uniformité. L’auteur en déduit que la fréquence des redoublements pourrait être une caractéristique structurelle du système scolaire de chaque pays.

Tableau.IV.1: Redoublement (%) au primaire par pays en fonction du PIB/tête <2000US$)

Pays Début des années 80 Début et mi-90

Zimbabwe 1 2 Bolivie 3 3 Philippines 2 2 Chine 7 6 Kenya 13 10 Honduras 16 12 Niger 14 14 Nicaragua 17 17 Malawi 17 19 Tunisie 21 20 Côte-d’Ivoire 20 24 Népal 21 27 Laos 27 30 Cameroun 30 30 Gabon 36 34 Togo 36 36 Madagascar 35 36 Sources : Mingat (2000).

Par ailleurs, il existe aussi d’énormes différences entre ensembles géographiques (groupes de pays) sur cette problématique du redoublement. Le tableau (IV.2) ci-après indique qu’il n’existe pas d’uniformité sur les pratiques du redoublement ; et que celles-ci seraient davantage reliées aux zones géographiques. En effet, d’après les statistiques mondiales (UNESCO, 2000), les pays de certaines zones comme l’Asie centrale ou l’Europe centrale et orientale n’ont pratiquement pas recours au redoublement à l’école primaire, alors que ce phénomène est beaucoup plus prégnant ailleurs. Avec 18 % d’élèves redoublants, l’Afrique subsaharienne a malheureusement pour elle le triste palmarès de se trouver en tête des régions qui recourent massivement à la pratique du redoublement. Même s’il est frappant de constater que le redoublement se concentre surtout dans les pays en développement, avec une moyenne 7,4 % contre 5,2 % de redoublement à l’échelle mondiale, il convient tout de même de nuancer ces comparaisons, car il existe de grandes variations entre pays d’un même ensemble géographique. Certaines recherches n’hésitent pas à faire le lien entre les phénomènes de redoublement et d’abandon avec la diversité des cultures éducatives existant dans le monde. Brimmer et Pauli (1971) pensent que ces phénomènes traduisent autant une expression de la philosophie éducative et des conditions économiques que des pratiques culturelles.

Tableau.IV.2: Le redoublement à l’école primaire dans le monde (2000)27

Ensemble Pourcentage de redoublants

Monde 5,2%

Pays en développement 7,4%

Afrique subsaharienne 17,9%

Amérique latine et Caraïbe 5,9%

Asie centrale 0,3%

Asie du Sud Ouest 6,5%

États arabes 7,1%

Europe centrale et orientale 1,1%

De toutes les façons, les approches éducatives sont multiples dans le monde et reflètent pour chacune une certaine conception de l’éducation par rapport à une culture bien déterminée.

Dans la conception caractéristique des pays francophones et lusophones, qu’ils soient en Europe, en Afrique, en Amérique ou ailleurs, il y a un fort marquage de cette pratique du redoublement. En effet, on y considère que chaque classe ou chaque niveau d’éducation correspond à une norme qualitative à atteindre et que pour accéder au palier suivant, les élèves doivent suffisamment avoir appris ; même si comme on le sait, le niveau d’appropriation des contenus d’un programme ne peut être standard ou isomorphe ; tout comme les capacités cognitives des élèves ne sont linéaires. Ici, le redoublement a pour objectif d’aider les élèves en difficultés (ceux qui n’ont pu atteindre le niveau d’apprentissages requis) à progresser pour répondre aux exigences de l’école. Cette conception, qui de toute évidence est centrée sur le système, établit un lien implicite entre le fait de redoubler une classe et le relèvement du niveau des apprentissages ; ce qui introduit l’idée qu’à chaque stade de scolarité correspond une norme définie par le SE, théoriquement identique pour tous ou du moins, indistincte des capacités des élèves inscrits dans le système. L’autre conception de l’éducation concerne les pays qui pratiquent la promotion automatique comme le Royaume-Uni, le Zimbabwe, le Danemark, la Suède, etc. Généralement, le redoublement n’y est qu’exceptionnel. Ces systèmes, beaucoup plus centrés sur l’élève visent autant que possible à faire progresser chacun d’entre eux en tenant compte des capacités intrinsèques. On pourrait citer les pays scandinaves comme modèle le plus abouti de ce système, lequel promeut avant tout la réussite.

27 UNESCO, Rapport mondial de suivi sur l’éducation pour tous 2003-2004 100

Cependant, même si globalement l’Afrique subsaharienne présente le taux moyen de redoublement le plus élevé, une analyse par pays montre, comme nous l’avons vu plus haut, que cette pratique entre autres, varie selon le groupe d’appartenance linguistique. Ainsi, des pays comme le Gabon, Madagascar ou le Togo présentent les taux de redoublement les plus élevés, alors que d’autres comme le Botswana, la Tanzanie ou le Zimbabwe, qui ont recours à la promotion automatique ont des taux de redoublement beaucoup plus faibles. C’est ce que suggère le tableau (IV.3) ci-dessous

Tableau.IV.3: Relation entre le redoublement et la langue d’enseignement en Afrique28

Groupes de pays Pourcentage de redoublants

Pays anglophones 8,5%

Pays francophones 19,3%

Pays lusophones 20,4%

Cette relation troublante entre la pratique du redoublement et la langue d’enseignement soulève bien des questions sur l’influence des cultures éducatives des pays colonisateurs en Afrique (Bernard, 2005). Celle-ci transparaît d’ailleurs et de façon nette lorsqu’on tente d’analyser par comparaison, les taux de redoublement dans les pays africains et ceux de leurs anciens pays colonisateurs respectifs. Ainsi, la promotion automatique pratiquée au Royaume-Uni existe également dans des pays africains comme le Zimbabwe, le Botswana ou la Tanzanie, tous anciennes colonies britanniques ; alors que dans des pays ayant une longue tradition de redoublements élevés comme la France, la Belgique ou le Portugal, ce phénomène transparaît dans les SE des pays qui y étaient affiliés et dans lesquels son compris le Gabon, Madagascar, le Togo ou la Guinée Bissau. Ce facteur est d’autant plus important que l’école africaine ou maghrébine, comme le soulignent Robert et Bernard (2005), est née en tout ou en partie, d’un héritage colonial repris par ces pays nouvellement souverains sans trop se poser des questions de fond à propos de ce legs. Par conséquent, celui-ci est presque devenu un mode de pensée scolaire. Ainsi qu’on le voit, chaque conception est liée à une culture éducative et un système de valeurs qui trouve ses repères à travers l’histoire et influence les pratiques sous-jacentes.