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Pilotage et qualité de l’éducation

CHAPITRE IV : LA QUALITÉ DE L’ÉDUCATION DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

1. Pilotage et qualité de l’éducation

De fait, lorsqu’un pouvoir organisateur décide sur la base d’un ensemble d’éléments factuels d’engager la réforme de son système éducatif, il se positionne résolument dans la perspective de recherche de la qualité, ce qui n’exclut pas celle que la quantité. Dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne et malgré l’existence des programmes d’enseignement (quels qu’ils

soient) dans les classes, les niveaux des acquis scolaires restent encore très faibles chez les élèves, en tout cas, bien moindres que la moyenne que certaines évaluations internationales, mais aussi internes ont pu relever dans certaines régions d’autres continents de niveau socio-économique comparable. Certes, on connaît l’impact des facteurs extrascolaires dans l’apprentissage (Michaelowa, 2005) pour autant, si l’on veut en même temps développer la scolarisation et la qualité de l’éducation, il est urgent d’inventer, construire et d’intégrer dans la gestion courante de l’école africaine, d’autres outils, concepts et processus, mieux adaptés et applicables dans ce contexte. Une telle démarche, outre qu’elle est tout à fait normale, doit aussi pouvoir influencer positivement les apprentissages scolaires, ce qui de fait, procède d’une logique d’assurance-qualité. S’il est incontestable que la décision d’installer un nouveau curriculum relève d’abord de la responsabilité de l’autorité pilote, il convient aussi de comprendre que d’autres actions, développées parallèlement aux travaux de conception doivent contribuer au renforcement du curriculum et inversement, soutenir ces mêmes actions. Nous verrons dans les sections suivantes en quoi consistent ces actions. Toujours est-il qu’une approche sectorielle, puisque la stratégie à développer rentre dans ce cadre, en même temps qu’elle peut améliorer les aspects de couverture, donc d’accès à l’éducation, permet d’envisager des résultats qualitatifs meilleurs.

À propos du pilotage, De Ketele et Gerard (2007) rappellent que la qualité d’un système éducatif est une exigence essentielle, mais relativement complexe. Elle nécessite notamment un pilotage qui s’appuie sur toutes les composantes du système pour garantir que celui-ci atteint les objectifs qui émergent à partir d’un environnement social à multiples facettes, en cohérence avec les ressources disponibles et les stratégies définies. Cette vision pose qu’un pilotage sera d’autant plus efficace qu’il va s’appuyer sur une prise d’informations fiables du système, et des rapports entre ses différentes composantes en référence à une norme. Aussi, en fonction des effets attendus sur le terrain (EAT) il convient de cibler la qualité, notamment pour en avoir un meilleur contrôle et éviter la dispersion. L’efficacité et l’équité doivent aller de pair, en ce sens que la norme d’un pilotage réussi restera toujours l’efficacité recherchée en termes de performances des élèves ainsi que l’équité pédagogique (Lessard et Meirieu, 2005).

De son coté, Bernard (2004) déplore la « quasi-inexistence », faute d’indicateurs pertinents, des principes de pilotage, mais aussi de la qualité dans les SE africains, à l’heure où le type et la qualité du pilotage se présentent de plus en plus comme principes essentiels à l’amélioration

qualitative et des résultats en éducation. Ainsi, collecter des informations appropriées sur son propre système procède d’une politique éducative efficace, à condition toutefois de disposer d’instruments adéquats. À cet égard, l’utilisation et la généralisation d’outils d’observation de la qualité pour mesurer le plus objectivement possible les résultats du système sont indispensables (Bernard, 2004 ; Suchaut, 2002). Même si à l’heure actuelle, les instruments construits ne sont pas encore parfaits, l’adoption et le développement des procédures visant des mesures régulières du niveau de connaissances et compétences des élèves participent éminemment des méthodes de pilotage efficaces.

1.1. Vers un modèle de pilotage par les résultats

Les préoccupations soulevées dans la section précédente indiquent une nouvelle perspective, tournée vers un pilotage par les résultats. En pratique, ce modèle veut mettre à contribution toutes les ressources gestionnaires de l’école, notamment les directions générales (en charge de l’enseignement et de la pédagogie), celles de la planification et/ou de la prospective, les circonscriptions, les écoles ainsi que tous les personnels encadrants, administratifs et enseignants. Cette conception collaborative, sous forme de réseau, doit normalement permettre de passer d’un pilotage par les moyens, à un pilotage par les résultats (pilotage pédagogique). Nous verrons plus loin qu’il est de tradition, donc assez courant, d’évaluer la qualité de l’éducation en se limitant seulement au niveau de la qualité des intrants (qualification des maîtres, ratios manuels/élèves, présence de matériel didactique, etc.), la qualité de l’environnement (ratio élèves/enseignants, ratio élèves/classes, tables-bancs, etc.) et à celle des infrastructures (bâtiments). Mais tous ces indicateurs, bien que révélateurs des moyens mobilisés pour atteindre la qualité, laissent souvent de côté, faute sans doute d’instruments adéquats, toute la dimension micro rattachée à l’évaluation de l’impact des personnels pédagogiques, ou plus exactement des acquisitions des élèves. Celle-ci est, ou devrait être le critère d’évaluation principal auquel tous les autres sont subordonnés. L’apprentissage dont le produit final reste les acquisitions de l’élève est un processus dans lequel interviennent de nombreux facteurs. Aussi, c’est en dernière analyse et au moyen des résultats de cet élève que normalement doivent être évalués la pertinence des politiques éducatives, le niveau et la qualité des personnels administratifs et pédagogiques, et les moyens matériels ou financiers mobilisés ou indispensables à la réalisation du projet éducatif. Il convient donc de bien faire la distinction entre indicateurs de moyens et indicateurs de résultats.

Ce qui nous amène à rappeler que seuls les indicateurs d’efficacité ou de résultats sont concernés par ce travail.

Ainsi comme nous venons de le voir, la qualité est une fonction multifactorielle dans la mesure où elle permet entre autres, de juger la performance d’un système, de le piloter et de contrôler si l’école remplit son contrat de prestation. En effet, dès lors que l’école a les moyens et la capacité de fournir des services éducatifs d’une façon digne de confiance et constante, avec peu de variations, on peut véritablement commencer à parler de qualité. La qualité peut également être appréhendée sous l’angle des performances, c’est-à-dire, en termes d’acquisitions scolaires. C’est de cette qualité dont jugent les Survey, qui établissent par comparaison, des résultats obtenus à l’issue de tests standardisés, des niveaux de performances scolaires et des classifications internationales.

Le schéma qui suit montre qu’il existe trois dimensions essentielles dans la conduite ou pilotage d’un SE :

- une dimension macro où se définissent les politiques éducatives conduites dans un pays. Elle est en rapport avec la philosophie et les finalités à partir desquelles sont arrêtées les valeurs, objectifs majeurs à promouvoir au sein de la société.

- une dimension méso, où sont formalisées les intentions définies au palier supérieur. C’est à ce niveau que sont construits les différents outils conceptuels ou méthodologiques, qui vont permettre de déterminer les plans de formation et la structure du curriculum d’enseignement. - une dimension micro enfin, où sont appliqués et mis en œuvre les intentions de départ. C’est

à ce niveau que les produits, dont les résultats d’élèves, vont renseigner de la pertinence ou non des choix opérés ou du moins, de la cohésion entre les actions menées et les intentions fixées au départ, faute de quoi il y a nécessité de régulation.

Figure 2: Réseau de pilotage du système éducatif NI VE AU M AC R O A A O B JE CT IFS M A JE UR S D ’É DUC AT ION NI VE AU M ES O B B B O B JE CT IFS IN TER M ÉD IA IR ES FO R M EL S NI VE AU M IC R O C C C O B JE C TI FS OP ÉR AT IONNE LS D E FOR M AT ION / AP PR ENT IS SAGE

1.2. Le curriculum comme outil d’amélioration de la qualité des apprentissages

En règle générale, nombre de personnes, experts spécialistes rompus aux questions d’éducation, notamment des pays en développement pensent les uns, que le mouvement actuel qui porte de façon formelle sur les réformes curriculaires, n’aura que peu d’influence donc, laissera peu de traces aussi bien sur l’augmentation que la qualité des apprentissages des élèves. D’autres estiment au contraire, qu’une intervention directe au niveau du curriculum d’apprentissage, sans être le seul facteur quantitatif et qualitatif peut significativement contribuer non seulement à réduire les échecs et les redoublements, nombreux en Afrique, mais aussi améliorer les performances scolaires des élèves.

Philosophie Finalités de l’éducation

Référentiel

Tâches FormationRéférentiel CompétencesRéférentiel disciplinaires Contenus et pratiques Méthodes d’évaluation Principes

Acquisition des savoirs, habiletés et compétences professionnelles Acquisition des savoirs, savoir-faire et compétences scolaires

Déterminants des plans de formation Structurants du curriculum scolaire Cadre légal de pilotage des SE 87

Pour les premiers, plutôt que d’investir dans la rédaction de nouveaux curriculums qui, comme on le sait, s’accompagne parallèlement d’une mise à disposition d’outils didactiques (curriculum, guides pour les enseignants et supports cahiers pour les élèves), des actions de formations transversales au profit des enseignants et de l’encadrement pédagogique, les gouvernements des États gagneraient davantage à concentrer leurs efforts sur des principes organisationnels et gestionnaires de l’école. Dans ce sens, au lieu d’introduire de nouveaux curriculums dans les écoles, l’adaptation et la pertinence de l’enseignement aux enfants aurait une plus forte relation et des marges d’efficacité plus grandes avec l’organisation et la mise en œuvre des programmes existants (Bernard & al., 2007). Évidemment, il paraît beaucoup plus facile d’entretenir ce genre d’argumentation à forte connotation prescriptive que de traduire ces intentions en faits, tant et si bien que l’on revêt une casquette autre que celle de praticien. En effet, pour appliquer effectivement un programme, encore faudrait-il qu’il soit disponible. S’il en existe, un minimum de formation paraît nécessaire, et comme une hirondelle ne fait pas le printemps, il est peu probable que les quelques instituteurs privilégiés qui possèdent un programme soient en mesure et aient l’intention de l’exploiter au quotidien. Quand bien même ils le feraient, la question restera toujours : comment ?

Ralliée par beaucoup, l’opinion des personnes sceptiques aux effets potentiellement positifs des réformes curriculaires révèle que certains estiment, à tort ou à raison, que pour satisfaire aux attentes en matière d’amélioration des acquisitions d’élèves, il convienne plutôt d’agir sur des aspects motivationnels et de valorisation de la fonction enseignante. L’une des solutions possibles consiste à relever substantiellement le niveau du traitement des enseignants, ce qui pourrait les amener à consacrer davantage de temps et d’énergie à leurs tâches éducatives (Solaux et Suchaut, 2006) et probablement, atténuer un des effets pervers qui est la dispersion, conséquence directe de leur précarité socioéconomique, et à tout point de vue génératrice du penchant à exercer des activités de rente parallèles. Cette position en porte-à-faux avec les recommandations de certains organismes internationaux, notamment la Banque mondiale, qui au contraire, préconise la baisse des salaires des enseignants (Mingat et Suchaut, 2000), ne peut aboutir à une solution pérenne. En revanche ces problématiques inhérentes au contexte particulier des PED, sont davantage liées à la diversité et l’approximation des pratiques enseignantes, à l’adaptation des contenus disciplinaires par rapport aux réalités, à la disponibilité, à la lisibilité et à la capacité d’exploiter les programmes en vigueur.

Du point de vue des seconds, les nouveaux enjeux de la mondialisation invitent plutôt à ouvrir très tôt aux enfants l’accès aux savoirs sous toutes ses formes, c’est-à-dire, leur donner rapidement des outils qui leur permettent de donner du sens aux apprentissages qu’ils doivent acquérir. La quantité sans cesse croissante des informations, leur accessibilité ainsi que les exigences liées à l’efficacité interne, à l’efficience et à l’équité dans les systèmes éducatifs obligent les gestionnaires de l’éducation à appliquer les stratégies les plus à même d’apporter des solutions aux problèmes rencontrés par les systèmes (Roegiers, 2001). La mise en œuvre des nouveaux curriculums, sans être le seul facteur d’amélioration de la qualité, constitue l’un des points d’achoppement de nombreux problèmes récurrents dans les SE des pays en développement. Cela consiste, comme le suggèrent, même ceux qui y sont les plus réticents, d’adapter le curriculum aux réalités contextuelles de son exploitation. Par ailleurs, dans la mesure où très souvent lesdits programmes bénéficient des appuis financiers extérieurs, les actions de réformes curriculaires sont obligatoirement assorties d’un cadre de faisabilité ou manuel de procédures, qui précise, à quelques détails près, les modalités d’exécution et de mise en œuvre du curriculum. On fait malheureusement le constat que celui-ci reste évasif à propos des efforts de soutenabilité et de pérennité des actions engagées. Bien qu’elle ne soit pas toujours justifiée en l’absence d’éléments factuels contradictoires, la critique selon laquelle les mouvements de réformes ne pourront survivre au terme des appuis aux programmes s’en trouve, on ne peut plus renforcée.

1.3. Profil de sortie, contenus disciplinaires et qualité de l’éducation

Dans des pays d’Afrique subsaharienne, surtout francophones, la démarche d’élaboration de programmes consiste très souvent à cibler de façon précise les compétences de base ou compétences clés en fonction du profil de sortie attendu de l’élève dans chaque cycle d’apprentissage, ensuite, de déterminer par rapport à ce profil la durée de scolarisation conséquente. Cette procédure se fonde sur l’idée qu’un véritable processus d’apprentissage en profondeur, celui qui permet d’asseoir une alphabétisation durable chez la majorité d’apprenants, quels que soient leurs niveaux respectifs, ne peut aboutir que si les compétences à acquérir et le temps nécessaire à leur appropriation sont définis de façon relative. La réécriture des nouveaux curriculums APC n’a pas échappé à cette logique.

Dans un premier temps, on va formuler pour chaque discipline, un objectif terminal d’intégration (OTI). Celui-ci indique les compétences à acquérir par l’élève au terme du cycle primaire. On postule par exemple qu’un élève qui a bien intégré et maîtrise par conséquent l’OTI, dispose d’un potentiel suffisant pour suivre sans difficulté ses apprentissages ultérieurs, par exemple ceux du premier cycle secondaire. Selon le découpage interne du niveau primaire en sous-cycles, il est également défini pour chaque sous-cycle et par discipline, un OTI dont chacun se décline en compétences de bases (CB) suivant les matières composant la discipline. Les CB, qui ont pour fonction de déterminer de façon explicite le niveau d’exigence disciplinaire attendu de l’élève, ou ce qu’il doit être en mesure de réaliser au terme d’un programme, sont nécessairement en nombre limité. Principaux indicateurs aux évaluations d’acquis scolaires, leur satisfaction sanctionne la réussite ainsi que le niveau de qualité des apprentissages. La détermination des contenus disciplinaires va donc se référer auxdites CB et veiller qu’ils ne soient ni trop exigeants, ni trop faibles par rapport à la compétence. En effet, l’une des faiblesses imputées aux anciens programmes utilisés dans les SE africains est que beaucoup de contenus d’apprentissage n’ont guère ou ont peu de liens, ni avec le profil, ni avec le contexte de vie de l’élève. Conçus soit par transposition ou par simplement reproduction de ce qui se fait ailleurs, on y retrouve une multitude de contenus, dont certains parfois ignares, c’est-à-dire, qui n’ont pas d’impact en termes d’acquisitions immédiates ou en faveur de la progression scolaire. Une surcharge inutile partiellement responsable du faible niveau de performances des élèves, dont bien malheureusement beaucoup d’enseignants pour des raisons et d’autres, ne peuvent remettre en cause. Si les enseignants se voient obligés de dispenser de tels programmes, qu’en est-il des élèves qui doivent les subir ? Il s’en suit que la volonté d’arriver coûte que coûte au bout du programme entraîne inévitablement le survol de notions pourtant essentielles aux apprentissages ; sans oublier des pertes de temps énormes que de tels défis peuvent générer.

On voit bien que la démarche adoptée dans le cadre actuel des réformes curriculaires se veut plus pragmatique, plus réaliste du contexte et, en même temps, des exigences purement académiques ; ce qui ne garantit ni ne présage pour autant du succès de leur effectivité. En effet, si une classe, une école a fortiori un SE n’est jamais identique à l’autre, cela veut aussi dire qu’il en est de même des pratiques sous-jacentes. On peut même affirmer que les SE africains baignent dans un environnement d’obstacles épistémologiques plus importants que des leviers nécessaires à leur

développement. C’est du reste ce vers quoi convergent la plupart des résultats issus des études conduites dans ce contexte particulier et que nous allons analyser plus loin.

Dans tous les cas, comme le suggère Mingat (2000), il convient de trouver dans la conception des nouveaux curriculums le "juste équilibre entre deux objectifs contradictoires" : élaborer un curriculum suffisamment ambitieux pour atteindre un degré élevé d’éducation, tout en restant abordable pour éviter des niveaux d’échecs et de redoublements trop élevés.