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La notion de compétence : origine et champs d’application

CHAPITRE II : THÉORIES DE L’APPRENTISSAGE ET APPROCHE PAR COMPÉTENCES

6. La notion de compétence : origine et champs d’application

C’est vers la fin du XVe siècle que le terme de compétence est attesté dans la langue française. Il sert alors à désigner la légitimité ou l’autorité conférée à certaines institutions pour traiter des problèmes déterminés (Bronckart & Dolz, 2002). Depuis la fin du XVIIIe siècle, le sens du mot a évolué et prend en compte le niveau individuel. Il désigne depuis lors toute capacité due au savoir et à l’expérience. Sous l’impulsion de divers courants des sciences humaines, d’autres tentatives visant à attribuer au terme un signifié plus précis ont émergé.

6.1. Le domaine de la linguistique

Tout d’abord, Chomsky (1955) dans l’un des textes fondateurs de la « révolution cognitive » et en réaction au béhaviorisme linguistique qui combat la thèse de l’apprentissage du langage par essais/erreurs, conditionnement, renforcements, etc., va avancer l’hypothèse d’une disposition langagière innée chez tous les individus. Pour Chomsky, ni l’apprentissage ni le déterminisme du milieu ne peuvent expliquer seuls, les phénomènes de rapidité d’acquisition du langage chez l’enfant, encore moins de la rapidité de récupération de celui-ci à la suite de lésions périphériques subies par un individu. Ces phénomènes seraient davantage liés à une disposition naturelle, ou compétence linguistique, que l’on retrouve chez l’homme. En somme, les habiletés ou compétences langagières à produire ou comprendre des énoncés verbaux résultent de l’existence au sein de l’esprit/cerveau humain, d’un organe mental.

C’est encore dans le domaine de la recherche en linguistique que la notion de compétence va évoluer vers une perspective beaucoup plus pragmatique et fonctionnelle. Hymes (1973 ; 1991) soutient notamment que pour développer les compétences linguistiques, il importe d’adapter dans l’enseignement les productions langagières aux enjeux communicatifs et aux propriétés contextuelles. La compétence ne se fonde plus uniquement sur des aspects biologiques, elle devient une capacité adaptative et contextualisée, dont le développement requiert une démarche d’apprentissage formelle ou informelle.

6.2. Le champ de la formation

Dans le cadre d’un mouvement de contestation de la logique des qualifications, le concept de compétence va réémerger dans le champ d’analyse du travail et de la formation professionnelle. En effet, alors que l’exercice d’un emploi repose en grande partie sur la possession des connaissances ou d’une qualification faisant suite à une formation validée par l’État, une autre logique substitutive va se fonder sur la nécessité d’adapter les capacités de l’agent aux enjeux professionnels. De fait, cette logique estime qu’en raison de leur caractère statique et déclaratif, et face à la flexibilité des situations de travail, les connaissances certifiées ne suffisent plus ; il faut en plus préparer les futurs professionnels en leur dotant de compétences, c’est- à- dire, de capacités plus générales et plus souples, qui leur permettent de faire face à la variété et à la complexité des tâches, et de prendre en temps réel, des décisions d’action adaptées (Bronckart & Dolz, 2002, p32).

Il apparaît ainsi que c’est la logique économique qui va conduire au développement de la notion de compétence dans le contexte professionnel et le monde de l’entreprise (Legendre, 2008). Cette évolution apparue aux alentours des années 70 s’est produite de manière progressive. La notion de qualification (ensemble de savoirs et techniques reconnus dans une formation et sanctionnés par un diplôme) va céder la place à celle de compétence, qui tient un peu plus compte des aptitudes individuelles et du rôle da la personne dans la réalisation de la tâche. Outre que la compétence requiert une certaine forme d’autonomie dans l’exécution du travail, c’est aussi un indicateur d’efficacité dans le sens où le salarié, à travers les résultats obtenus, va démontrer sa capacité à assumer les responsabilités inhérentes à la tâche qui lui incombe. De nombreux chercheurs ont analysé cette perspective du concept de compétence. Par exemple, De Ketele (2000) a admis une filiation de la notion de compétence dans le monde socio-économique parce

que selon lui, les adultes que l’école a formés n’étaient pas suffisamment aptes à entrer dans la vie professionnelle .Quant à Perrenoud (2000), il estime qu’il serait réducteur de faire de l’intérêt du monde scolaire pour les compétences le simple signe de sa dépendance à l’égard de la politique économique.Il n’en reconnaît pas moins que la notion de compétence n’appartient pas d’abord au monde de l’école, mais au monde des organisations, du travail, des interactions sociales. Elle ne devient une notion pédagogique qu’à partir du moment où on veut la construire délibérément, dans des situations de type didactique une jonction entre un mouvement de l’intérieur et un appel de l’extérieur. L’un et l’autre se nourrissent d’une forme de doute sur la capacité du système éducatif de mettre les générations nouvelles en mesure d’affronter le monde d’aujourd’hui et de demain.

Dans cet ordre d’idée, les référentiels de compétences sont adaptés soit au profil de formations destinées aux adultes soit dans l’optique d’une didactique professionnelle, pour concilier mettre en cohérence les contenus d’enseignement aux exigences liées aux activités et pratiques professionnelles.

Ainsi, le passage progressif d’une centration sur les savoirs, considérés comme préalables à l’activité et souvent abordés de manière décontextualisée, à une prise en compte des activités dans lesquelles ces savoirs incarnent, traduit de façon générale la prise en compte des compétences dans le monde de la formation professionnelle (Legendre, 2008).

6.3. Les compétences en éducation

Dans le monde éducatif, l’emploi du terme "compétence" est de plus en plus fréquent. Ce concept largement développé dans l’abondante littérature qui traite les problèmes pédagogiques, les travaux des chercheurs et le vocabulaire des enseignants se retrouve également dans les textes institutionnels porteurs d’injonctions officielles en direction des enseignants (Rey & al., 2006). Par ailleurs, bien que l’introduction du concept dans les systèmes scolaires de plusieurs pays soit relativement ancienne, il ne reste pas moins que celui-ci n’est pas encore tout à fait stabilisé (Rey & Carette, 2008, De Ketele, 2008 ; Jonnaert 2006). D’ailleurs à l’heure actuelle, il est encore difficile de trouver un consensus sur la définition de ce concept-clé, même auprès des auteurs les plus convaincus de la pertinence de la nécessité de transformer tous les programmes d’études en socles de compétences (Boutin, 2004). En effet, la signification du concept de compétence, en

dépit de nombreux débats qu’il suscite sur et autour de lui, pourrait entretenir, du moins pour quelque temps encore, autant d’amalgames que d’interrogations.

L’éclairage épistémologique du concept a montré combien l’acception de ce terme était particulièrement instable et fluctuante. Deux mouvements d’orientation contraire y ont été mis en évidence : l’un partant des propriétés de l’individu vers l’adaptation au milieu, l’autre allant des exigences du milieu aux capacités requises de l’individu. Cela peut accroître chez certains le risque de confusion, du fait qu’on a tendance à faire un rapprochement entre compétences, objectifs et standards de compétences. En effet, si les compétences sont définies comme une capacité d’action, il n’en reste pas moins qu’elles présupposent des connaissances, un savoir-faire, certains comportements et des capacités cognitives et globales sur lesquels elles se fondent (Boutin, 2004).

Dans le domaine des sciences de l’éducation, la notion de compétence continue malgré elle à entretenir des incertitudes lexicales et à alimenter autant de débats que de controverses, ce précisément en raison de la difficulté à identifier clairement les phénomènes qu’elle tente d’objectiver (Dolz & Ollagnier, 2002). En effet, les différentes interprétations qu’on en fait à travers les débats d’experts ne contribuent véritablement pas à faciliter sa définition et par conséquent, tend davantage à accentuer la nécessité de sa clarification. La compétence est devenue, comme l’indique Leboterf (1994), "un attracteur étrange" depuis les années 70 dans le monde du travail, de la formation et de l’école.

Disons dans une première acception très générale que la notion de compétence désigne la capacité à produire une conduite dans un domaine donné, une capacité de mobiliser diverses ressources cognitives pour faire face à des situations singulières (Boutin (2004).

Présente depuis plus d’un siècle dans les travaux en psychologie, elle ne devient, comme nous l’avons déjà évoqué, l’objet d’un débat scientifique qu’avec Chomsky dans le cadre de la linguistique générative, qui utilise systématiquement l’opposition entre compétence et performance. La théorie qu’il soutient repose sur l’hypothèse de l’origine innée du langage et de l’universalité des structures profondes (Goupil et Lusignan, 1993). Pour Delvaux (2003), le concept de compétence constitue un concept étendard, dans la mesure où il réalise autour de lui le consensus de groupes de pressions traditionnellement en opposition. En apparence du moins, il crée un compromis entre la pression du courant patronal, pour lequel il est urgent d’étendre les

savoir agir et celle de courants pédagogiques inscrits dans la foulée du pragmatisme de Dewey (1929), pour lequel il est important de favoriser le pouvoir-agir (Crahay, 2005). Pour Jonnaert (2004), l’arrivée massive du concept de compétence comme structurant des programmes scolaires actuels s’est réalisée en partie pour répondre à une nouvelle demande sociale, issue des contraintes du monde de l’entreprise. Cette position s’apparente à celle de Romainville et coll. (non daté) concernant les attentes des individus à propos de l’école et pour qui celle-ci ne doit pas se contenter d’un apport de contenu formel ne correspondant plus tout à fait ni aux attentes des jeunes ni aux demandes du monde économique.

Ainsi, le passage de la pédagogie par objectifs à celle par les compétences correspond à la fois à une transformation dans les référents théoriques des sciences de l’éducation et à une mutation dans la conception du travail propre au monde des entreprises (Perrenoud, 1997 ; Roegiers, 1997). Le premier courant pédagogique, qui date des années 60, s’inspire des principes de découpage des tâches d’apprentissage caractéristiques du béhaviorisme et dont les modèles de se réfèrent entre autres, des approches de Tyler (1949, 1964), de Lindvall (1964), de Gagne et Briggs (1974) et de l’ensemble du courant de la pédagogie par objectifs (PPO) développée notamment à la suite des écrits de Bloom (1956). Les programmes d’études dans cette perspective se suffisent à eux-mêmes et le contenu des matières à enseigner prime. Ces modèles coïncident avec la fragmentation des tâches de production inspirée de Taylor.

Fait à noter, le sens attribué au mot "compétence" varie selon les écoles de pensée. C’est ainsi que les béhavioristes l’emploient pour définir des comportements observables et mesurables faisant suite à un apprentissage donné. Quant aux constructivistes, ce mot illustre une construction de capacités qui proviennent d’une interaction entre individus engagés dans une démarche commune (Boutin, 2004).

Enfin, il faut savoir que le courant APC a d’abord envahi le système scolaire américain et a été brièvement mis en opposition avec l’approche centrée sur la personne, dont Maslow et Rogers furent les précurseurs. S’étant assez rapidement imposée dans le monde, notamment aux États unis et en Australie, l’influence de l’APC a vite fait de traverser l’Europe. Parmi les premiers pays à vouloir repenser leurs SE sur ce modèle se trouvent le Royaume-Uni, la suisse et la Belgique.