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Synthèse du chapitre I

I. Le pouvoir d’achat : évolution du concept et ses limites

1.2.2. Vers une redéfinition du pouvoir d’achat

Face à la dissonnance sans cesse accrue entre les chiffres officiels et la perception des consommateurs, le concept de pouvoir d’achat a été redéfini dans l’optique de retranscrire davantage les situations individuelles des individus. Pour ce faire, le concept de pouvoir d’achat a été décliné en trois nouvelles définitions : le pouvoir d’achat effectif du consommateur développé par le BIPE (1.2.2.1.), le pouvoir d’achat arbitrable développé par l’INSEE (1.2.2.2.) ainsi que le pouvoir d’achat discrétionnaire (1.2.2.3.).

1.2.2.1. Le pouvoir d’achat effectif du consommateur

En 2004, dans l’optique de proposer un outil susceptible de retranscrire au mieux le ressenti des Français, E. Leclerc en collaboration avec le BIPE (2007)11 ont défini un nouvel indicateur : le

« pouvoir d’achat effectif du consommateur » appelé également « pouvoir d‘achat discrétionnaire » (Moati and Ranvier, 2007). L’indicateur du pouvoir d’achat effectif E.Leclerc /BIPE mesure le pouvoir d’achat dont dispose un individu après s’être acquitté des « dépenses contraintes ». Cette approche consiste à considérer les charges contraintes, non pas comme des

11BIPE : société de conseil en stratégie aux activités diversifiées : https://lebipe.com/a-propos/presentation-du-bipe/

89 dépenses de consommation mais comme des déductions de revenus. Initiée par E.Leclerc et le BIPE, cette mesure du pouvoir d’achat passe par un calcul en plusieurs étapes.

La première étape consiste à déterminer le revenu « libéré » ou « libre de charges contraintes

»12 des ménages qui correspond au revenu total des ménages après paiement de toutes les dépenses « contraintes ». Selon le BIPE (2007), les « dépenses contraintes » correspondent à l’ensemble des dépenses dont la réduction à court terme entraînerait un coût supplémentaire ou constituerait une infraction tels que les loyers (réellement payés, mais aussi les loyers fictifs), l’ensemble des charges liées au logement (eau, gaz, électricité,...), les charges d’assurances obligatoires (santé, auto, habitation), les services de télécommunications et de télévision, les frais de transport collectifs et les remboursements de crédits (hors paiements d’intérêts, ceux-ci étant déjà déduits des revenus du patrimoine). La seconde étape consiste alors à calculer le pouvoir d’achat « libéré » des ménages à prix constants, c'est-à-dire net des hausses des prix des biens et services achetés par les ménages. Le pouvoir d’achat « libéré » des ménages correspond donc à la différence entre le revenu libéré des ménages et le prix de la consommation

« libéré » des ménages. Enfin, comme détaillé par la Figure 24, le pouvoir d’achat effectif du consommateur est obtenu en divisant ce pouvoir d’achat libéré des ménages par le nombre d’unités de consommation du ménage.

1.2.2.2. Le pouvoir d’achat arbitrable

En 2008, face aux dénonciations d’experts et de syndicats quant à un défaut d’indicateur concernant le pouvoir d’achat au sein de la statistique publique, l'INSEE a développé une mesure complémentaire : le pouvoir d'achat « arbitrable ». Cette nouvelle mesure est obtenue à partir d’un revenu disponible dit « arbitrable » qui est calculé en retranchant du revenu

12 Revenu « libéré » : indicateur mesurant l’ensemble des ressources effectivement mobilisables pour la consommation ou l’épargne c’est-à-dire l’ensemble des moyens sur lesquelles le consommateur peut effectivement arbitrer.

Le pouvoir d’achat effectif

du consommateur = pouvoir d’achat libéré / UC

Figure 24. La formule de calcul du pouvoir d'achat effectif du consommateur

90 disponible brut la dépense de consommation finale dite « pré-engagée ». Cette approche repose ainsi sur la notion de dépenses « pré-engagées » (ou dépenses contraintes) définie par l’Insee comme l’ensemble des dépenses réalisées dans le cadre d’un contrat difficilement renégociable à court terme.

De plus en plus, les consommations prennent la forme d'un contrat ou d'un abonnement difficilement renégociable à court terme engendrant des marges de manœuvre plus réduites qu'auparavant pour les ménages dans le cadre de la gestion de leur budget. Ainsi, le budget des ménages est de plus en plus contraint par des dépenses à engagement contractuel tels que les dépenses liées au logement (loyer, chauffage...), aux services financiers et aux communications (téléphonie, accès à l'internet...) ou encore aux paiements différés des biens (paiement en 2, 3 fois sans frais). Selon l’Insee, les « dépenses pré-engagées »13 comprennent les dépenses liées au logement (y compris les loyers imputés aux propriétaires occupant leur logement), ainsi que les dépenses relatives à l’eau, au gaz, à l’électricité et aux autres combustibles utilisés dans les habitations ; les services de télécommunications ; les frais de cantine ; les services de télévision (redevance télévisuelle, abonnements à des chaînes payantes) ; les assurances (hors assurance-vie) ; services financiers (y compris, dans le cas de la comptabilité nationale, les services d'intermédiation financière indirectement mesurés). Tenant compte de ces dépenses « pré-engagées », dans le cadre du calcul du pouvoir d'achat « arbitrable », l'évolution du pouvoir d'achat n'est plus calculée à partir de l'évolution du revenu disponible brut mais à partir de l'évolution du revenu dit « arbitrable » c'est-à-dire après déduction des dépenses pré-engagées.

Le Tableau 15 expose les différences entre le revenu disponible, initialement utilisé par la compatibilité arbitrable, et le revenu arbitrable.

Tableau 15. Revenu disponible vs revenu arbitrable

Revenu disponible Revenu arbitrable

Revenu comprenant les revenus d’activité, les revenus du patrimoine, les transferts en provenance d’autres ménages et les prestations sociales (y compris les pensions de retraite et les indemnités de chômage), nets des impôts directs. Quatre impôts directs sont généralement pris en compte : l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation et les contributions sociales généralisées (CSG) et contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS).14

91 La part des dépenses pré-engagées dans le budget des ménages a doublé en 50 ans16. Toujours selon l’Insee17, ces dépenses contraintes ont pris une part croissante du revenu consacré à la consommation. Passant de 15 % en 1959 à 33 % en 2009, les dépenses pré-engagées tendent à réduire la fraction du revenu sur laquelle la consommation « libre » s’avère être possible.

1.2.2.3. Le pouvoir d’achat discrétionnaire

Toujours dans un souci de concordance avec la perception des consommateurs, un pouvoir d’achat dit discrétionnaire a été défini. Le pouvoir d’achat discrétionnaire correspond au pouvoir d’achat d’un agent économique déduction faite, d’une part, des impôts et des taxes, et d’autre part, des consommations liées aux biens de première nécessité. Le pouvoir d’achat discrétionnaire est le revenu susceptible d’être utilisé sans contrainte aucune par les individus18. Moati and Ranvier (2007) définissent le pouvoir d’achat discrétionnaire comme le pouvoir d’achat dont disposent librement les ménages une fois qu’ils ont fait face à l’ensemble des « dépenses contraintes ».

Ainsi, l’agrégat économique que constitue le pouvoir d’achat a fait l’objet de multiples redéfinitions. Des redéfinitions dont l’objectif consistait à retranscrire davantage les situations individuelles des individus mais qui, au final, ont surtout eu tendance à embrouiller les consommateurs et à créer une incertitude quant à la définition utilisée. Le Tableau 16 permet de distinguer les différentes définitions du pouvoir d’achat.

16 Insee en bref - Pour comprendre... Le pouvoir d’achat et l’indice des prix, 2014

17 Insee,

http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/default.asp?page=dossiers_web/pouvoir_achat/pouvoir_dachat.htm#qpa

18 Pouvoir d’achat discrétionnaire, http://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Pouvoir-d-achat-discretionnaire-242795.htm#qEBCUqvEo7IykyWc.97, consulté le 20 avril 2016

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Tableau 16. Les différentes définitions du pouvoir d'achat

Pouvoir d’achat Définitions Mesures

Pouvoir d’achat du revenu brut

disponible

Capacité des ménages à acheter des biens et des services à partir de leur revenu brut disponible. Quantité de biens et de services que ce revenu leur permet d'acquérir

Différence entre le revenu disponible brut des ménages et l'indice des prix

Pouvoir d’achat par unité de consommation

Pouvoir d’achat par unité de consommation. Pouvoir d’achat rapporté au nombre d’unités de consommation du ménage

Pouvoir d’achat effectif

Pouvoir d’achat dont dispose un individu après s’être acquitté des « dépenses contraintes »

Différence entre le revenu libéré des ménages et les prix de la consommation « libérée » des ménages

Pouvoir d’achat arbitrable

Pouvoir d’achat dont dispose un individu après s’être acquitté des « dépenses pré-engagées »

Différence entre le revenu arbitrable des ménages et l'indice des prix.

Pouvoir d’achat discrétionnaire

Pouvoir d’achat des ménages qu’ils peuvent dépenser librement dans le commerce, une fois qu’ils ont fait face à l’ensemble des « dépenses contraintes »

Pouvoir d’achat dont dispose un agent économique après s’être acquité des impôts et taxes ainsi que du budget nécessaire pour accéder aux biens de première nécessité

1.3. Le pouvoir d’achat et ses limites

Le pouvoir d’achat constitue depuis quelques années une notion essentielle tant au sein des débats politiques que dans le cadre des politiques de communication des entreprises. Or, comme souligné par Moati et Rochefort (2008a: 116), le pouvoir d’achat tel que défini par la comptabilité nationale « ne rend compte que très imparfaitement de la manière dont les ménages ressentent l’évolution de leurs conditions de vie, qui ne se réduit pas à celle de la quantité de biens et services qu’ils sont en mesure d’acquérir ». Il s’agit là d’un concept présentant de nombreuses limites remettant en cause son utilisation dans le cadre des actions de communication et de vente des entreprises.

Cette partie présente les différentes limites de ce concept en tant que mesure de la situation économique des individus. Dans un premier temps, les différences entre le calcul officiel du pouvoir d’achat et le calcul des individus sont exposées (1.3.1.). Une attention particulière est ensuite accordée au fait que le pouvoir d’achat tel que calculé par l’INSEE s’avère être un calcul complexe pour les consommateurs (1.3.2.). Source de confusions (1.3.3.), le pouvoir d’achat s’avère parfois être entremêlé dans l’esprit des consommateurs avec d’autres indicateurs de condition de vie (1.3.4.)

93 1.3.1. La remise en cause du revenu pris en considération par l’INSEE

La dissonance entre le pouvoir d’achat officiel et celui perçu par les individus est susceptible d’être expliquée par le fait que, contrairement à la Compatabilité Nationale, les individus réfléchissent à partir de leur revenu après déduction des dépenses pré-engagées. « Les ménages évaluent généralement leur pouvoir d’achat sur la base de la totalité de leur revenu disponible mais plutôt sur celle du « reste pour vivre » une fois payé l’ensemble des dépenses contraintes ou « pré-engagées » » (Moati, 2016: 68).

L’INSEE s’est alors attelé au calcul d’un pouvoir d’achat arbitrable obtenu à partir d’un revenu disponible « arbitrable » calculé en retranchant du revenu disponible brut la dépense de consommation finale « pré-engagée ». Toutefois, cet effort de mesure présente un problème quant à la détermination du champ de ces dépenses dites « contraintes » ou « pré-engagées ».

En effet, la définition précise des contours des « dépenses contraintes » fait toujours débat parmi les experts (2007; Djelassi et al., 2009b). L’absence d’une définition communément acceptée par l’ensemble des acteurs vient ainsi limiter l’utilisation de cet indicateur.

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