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Le passage à l’euro et l’illusion monétaire

Chapitre IV : L’étude exploratoire

II. Les principaux résultats de l’étude exploratoire

2.1.3. Le passage à l’euro et l’illusion monétaire

Malgré les nombreuses affirmations officielles attestant de la situation inverse, le passage à la monnaie unique est largement tenu pour responsable de l’accroissement du niveau de la cherté de la vie.

« Bhé déjà depuis que l’Euro l’a été installé, bon ben la vie l’a complètement changé. Les prix l’a pratiquement doublé. La vie lé devenue chère à partir de l’euro ! » Répondant 5 - 51 ans - St André - Employé en assurance - Femme

Lors du changement de monnaie en 2002, les consommateurs ont dû faire face au phénomène d’illusion monétaire (Zollinger, 2004). Avec le changement de valeur faciale de la monnaie, les consommateurs ont eu tendance à minorer l’importance des prix d’autant qu’avec l’euro, ces derniers sont exprimés par une valeur nominale plus faible qu’en franc (1€ est égale 6,56 Francs - 1 Francs est égale à 0.15 Euros). Le taux de conversion de 6,55957 Fr a alors transformé la valeur nominale du prix (Diller and Ivens, 2000). « Dans les faits, le passage à l’euro a

31 Le commerce extérieur de l’île présente un solde déficitaire de 4,4 milliards € en 2015.

185 fortement perturbé les repères des consommateurs » (CREDOC, 2005: 94). Les prix de référence jusque-là mémorisés en francs ont dû être remplacés par de nouveaux prix de référence en euros.

C’est dans ce contexte de réapprentissage et d’attention accrue sur les prix que s’est généralisée l’idée selon laquelle la vie est devenue plus chère depuis le passage à l’euro. Cet effet d’illusion monétaire a pu favoriser l’achat par les consommateurs de produits à faible valeur (Diller and Ivens, 2000). Ainsi, les consommateurs ont pu ajouter des produits à leur panier qu’ils n’auraient peut être pas achetés s’ils étaient en Franc.

« La vie lé cher aujourd’hui par rapport à l’euro ! de toute façon, le truc c’est, en regardant bien, avant l’euro, kan té enkor en franc, le cout de pratikmen toutes les choz l’a été multiplié par 2, par 3, donc euh moins c’est surtout à partir du momen kl’a mi l’euro en place que le coût de la vie l’a augmenté ! » Répondant 7 - 33 ans - La Plaine des Palmistes - Réunion - Employé - Homme

Ayant, d’une part, été brouillés par le changement d’unité monétaire et ayant, d’autre part, ajouté des produits supplémentaires à faible valeur dans leur panier, les consommateurs en sortie de caisse attestent que la vie est devenue plus chère depuis le passage à l’euro (Coutelle-Brillet and Hamelin). Affirmation qui, dans le cas des produits alimentaires, s’avère être corroborée par les chiffres de l’INSEE. « Un écart important sur l’alimentaire » titrait l’INSEE (2010b), et pour cause … Lors du passage à l’euro, certains commerces ont effectivement pu profiter de l’introduction de la nouvelle monnaie pour augmenter les prix. Ainsi, quelques prix ont effectivement enregistré une augmentation. Toutefois, selon la Commission européenne (2005), la plupart des prix sont restés stables et certains autres ont même diminué lors du passage à l’euro. Les individus restent tout de même convaincus que tout ou partie des entreprises (industriels, grossistes, distributeurs) ont profité du changement monétaire afin d’accroître leurs profits.

« Ah oui, quand mi sava dans les supermarchés, mi ressent la cherté de la vie ! Même au marché forain. Y essaie arrondir toute chose. C’est vrai que zot y sar pas vendre aou un salade à 75 centimes virgule 22. Lé normal que zot y arrondit mais zot va toujours arrondir en dessus qu’en dessous. Si mi reprend un exemple d’un pied salade qui té coûte 4 francs, même si zot y met à 0.80 cts, zot va arrondir à un euro. C’est kan même 1.50 francs de plus ! » Répondant 21 - 34 ans - St André - Inactif - Homme

Synthèse des causes de l’évaluation de la cherté de la vie selon les consommateurs

Du point de vue des consommateurs, plusieurs variables entrent en compte dans l’explication de la situation de cherté de la vie actuelle. Les distributeurs sont les premiers incriminés dans le cadre de cette vie chère. « Dans la version moderne de la vie chère, la Compagnie des Indes

186 de l’époque est remplacée par la grande distribution » (Hermet and Rochoux, 2014). Une défiance envers les distributeurs qui impacte directement leur image. Une défiance agrémentée par la certitude qu’à la suite du passage à l’euro, les distributeurs n’ont cessé de profiter d’une perte de repère monétaire pour augmenter les prix. Déçus par l'inaptitude des politiques face à la situation de vie chère, les consommateurs développent également une certaine défiance envers ces derniers. Même si les réunionnais ont conscience des spécificités du territoire qui sont susceptibles d’expliquer des niveaux prix plus élevés qu’en métropole, les écarts de prix de certains produits et services s’avèrent être trop élevés pour être justifiés par la distance géographique entre les deux territoires. Pour en avoir la certitude les consommateurs réclament plus de transparence dans la formation des prix mais la grande distribution ne joue pas le jeux, entrainant l’accroissement de la certitude, au sein de la population, que la grande distribution

« se gave » sur leur dos.

2.2. Les mécanismes d’évaluation de la cherté de la vie

De façon analogue aux autres niveaux d’agrégation de la cherté perçue (cherté d’un produit, d’une gamme de produits ou encore d’un point de vente), l’évaluation de la cherté de la vie s’avère être relative. Pour évaluer le niveau de cherté de la vie, les individus ont recours à des comparaisons via une ligne numérique mentale leur permettant de positionner les informations retenues de façon relative. De nombreux travaux ont démontré les limites de mémorisation des prix par les consommateurs. La multitude de produits auxquels les consommateurs sont quotidiennement confrontés rend l’information prix difficilement assimilable. Et pourtant, ils sont tout de même capable d’évaluer le niveau de cherté de la vie.

Cette partie s’attache à présenter les mécanismes d’évaluation employés par les individus afin d’évaluer la cherté de la vie. Il s’agit ainsi d’apporter des réponses aux questions suivantes : quels sont les mécanismes déployés ainsi que les différentes références de comparaisons utilisées par les individus dans le cadre de leur évaluation de la cherté de la vie ? Quelles sont les informations positionnées sur la ligne numérique mentale permettant aux individus, dans le cadre de l’évaluation de la cherté de la vie, de juger comparativement le montant de leurs dépenses de consommation ?

Afin d’apporter des éléments de réponse à cet ensemble d’interrogations, dans un premier temps, l’évaluation de la cherté de la vie est spécifiée comme une connaissance conceptuelle et relative du montant des dépenses de consommation d’un individu (2.2.1.). Les mécanismes

187 employés par les individus ainsi que l’ensemble évoqué pris en considération sont ensuite exposés afin de déterminer le processus de formation de cette évaluation de la cherté de la vie.

Dans un second temps, l’effet de halo dont fait l’objet l’évaluation de la cherté de la vie est précisés (2.2.2.).

2.2.1. Une connaissance conceptuelle et relative des dépenses de consommation

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