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Environ une trentaine de professeurs de rythmique enseignent actuellement dans les écoles primaires du canton de Genève. Ils sont censés avoir une formation commune, c’est-à-dire la Licence de la méthode Jaques-Dalcroze pour les plus anciens et, aujourd’hui, le Bachelor et le Master de la filière musique et mouvement en rythmique Jaques-Dalcroze de la Haute Ecole de Musique de Genève (HEM). Ceux avec lesquels nous avons collaboré pour cette étude ont tous effectué leur formation (qui était alors de 4 ans) avant l’intégration de la section professionnelle de l’Institut Jaques-Dalcroze au sein des Hautes écoles de Musique (HEM), en 2006. Cette formation comprend les trois branches principales de rythmique, solfège et improvisation. L’étudiant/e suit en outre des cours de technique et d’expression corporelle, de plastique animée et de création musico-chorégraphique. La pratique du piano est essentielle et un certain niveau de compétence exigé, indépendamment de tout autre instrument. Des cours d’harmonie, d’histoire de la musique, de lecture à vue et de chorale complètent la formation.

Par ailleurs, il suit, avec une intensification progressive, des stages de pédagogie pratique dans des classes de divers groupes d’âge, assortis de cours didactiques et de méthodologie dalcrozienne. Vers la fin de ses études, il n’est pas rare qu’il ait déjà effectué des remplacements occasionnels.

Dans le courant de l’année scolaire 2008-2009, nous avons pris contact avec cinq rythmiciens.

Ces enseignants étaient d’accord pour collaborer avec nous pendant l’année scolaire suivante.

Malheureusement, l’un d’entre eux a dû renoncer à cette collaboration suite à des problèmes de santé. Etant donné que les professeurs de rythmique travaillent dans plusieurs établissements et que leurs disponibilités tombent rarement au même moment, nous avons décidé de ne pas chercher à remplacer le 5ème participant, mais de nous concentrer sur les quatre autres – que nous désignerons désormais au féminin puisqu’il s’agit d’enseignantes.

Nous espérions pouvoir inclure le travail d’au moins un homme dans nos observations, mais aucun rythmicien ne s’est trouvé disponible à ce moment-là pour participer à notre recherche.

Nous avions prévu de visiter chaque classe à deux reprises, au début et à la fin de l’année scolaire 2009-2010. Ce qui nous aurait permis d’observer l’évolution des élèves et de leurs connaissances à travers la rythmique. Mais les évènements inhérents au quotidien scolaire ne

nous ont pas toujours permis (à l’enseignante comme à nous) de conduire notre recherche selon les paramètres prévus. Et nos observations, envisagées initialement selon deux pistes distinctes, ont en fait révélé une sorte de kaléidoscope de la pratique de la rythmique en milieu scolaire, caractérisé par l’improvisation et l’adaptation (qui sont au demeurant, comme nous le verrons plus loin, deux qualités essentielles du rythmicien).

Pour tous les enseignants, les premières semaines d’une nouvelle année sont destinées à apprivoiser la classe et à installer certaines habitudes. Dans le cas de la rythmique, les élèves quittent leur salle de classe pour aller à la salle dédiée à cette discipline. Ils doivent parfois mettre des « habits de rythmique » - un haut et un legging, sans oublier les pantoufles de rythmique couramment appelées « basanes ». Même dans les écoles où les élèves peuvent garder leurs vêtements habituels, les basanes sont obligatoires pour ces cours. Changer de salle et se changer font partie des premières habitudes à installer au début de l’année scolaire.

Les habitudes incluent en outre un ensemble de comportements, que nous avons classés en deux groupes : les comportements organisationnels et les comportements « culturels ».

Les comportements organisationnels soutiennent l’organisation de la classe et le cours de rythmique. Ces comportements font partie du « milieu didactique » (Sensevey & Mercier, 2007) et s’inscrivent dans un environnement dépourvu de pupitres, de papier, de crayons et, souvent, de tableau noir. Ce milieu présente un contraste frappant avec leur salle de classe ; les élèves doivent assimiler des habitudes de comportement telles que de s’asseoir par terre en tailleur, le dos bien droit, garder sa place dans un cercle s’il y a lieu, maintenir une attitude d’écoute.

En outre, ils se trouvent face à un autre enseignant que leur maîtresse ou maître. Qui détient l’autorité ? Cette question s’avère moins difficile que prévu, puisque les maîtres et les maîtresses viennent au cours de rythmique avec leurs classes. Nous avons pu observer une entente étroite et une belle collaboration entre les professeurs de rythmique et les enseignants de classe à l’école primaire. La maîtresse de la classe de l’enseignante HN en particulier joue un rôle très actif dans les leçons, en participant à maintes activités et en collaborant également à la discipline de cette classe assez difficile. Dans les autres cas, même si les maîtresses participaient moins, elles étaient très présentes et il était clair que les élèves comprenaient bien la hiérarchie.

Contrairement à leurs collègues « généralistes », les enseignants de rythmique travaillent souvent face à une nouvelle classe, c’est-à-dire avec des élèves qu’ils ne connaissent pas et ne côtoient pas tous les jours. Ceux qui exercent dans plusieurs écoles peuvent rencontrer entre dix et vingt classes différentes chaque année, ce qui représente un grand nombre de prénoms à mémoriser.

Les comportements que nous appelons « culturels » découlent des paramètres de la rythmique : reconnaître le piano comme médium de communication et apprendre à comprendre cette façon de communiquer ; comprendre le vocabulaire particulier de la rythmique et certaines consignes parlées ; apprivoiser des matériels normalement utilisés comme jouets dans un contexte de travail, et à l’inverse, pouvoir utiliser des matériels de musique dans un contexte de jeu, en gardant le respect pour « l’instrument de musique ».

L’apprentissage de ces deux groupes d’habitudes, organisationnelles et culturelles, qui se fait souvent sous forme de jeu, a lieu pendant la première partie de l’année scolaire. Pour prendre

le temps d’installer les comportements souhaités, aucune des quatre enseignantes ayant accepté de collaborer avec nous (nous les nommerons CPR, AM, HN et IF) ne voulait nous accueillir avant le mois de janvier 2010. Ce qui a quelque peu bousculé notre calendrier.

Ainsi, chacune des deux classes de 4P HarmoS où enseigne HN n’ayant des cours de rythmique que la moitié de l’année scolaire, l’une au début, l’autre à la fin, notre étude in situ débutant en février a donc porté sur une nouvelle classe qui venait juste de commencer la rythmique… Dans le cas de l’enseignante CPR, la deuxième observation a dû être repoussée à l’année scolaire suivante. Nos observations ont donc porté sur deux classes différentes, et la deuxième a eu lieu au début et non à la fin de l’année scolaire.

Voici le calendrier des observations (dont toutes les autorisations ont été demandées en automne 2009) :

Chez l’enseignante CPR :

Première observation : leçons les 26 janvier / 2 / 9 février 2010 Deuxième observation : leçons les 16 / 23 / 30 novembre 2010

Chaque leçon a duré une période scolaire, soit entre 35 et 40 minutes.

La deuxième observation pour cette enseignante a été planifiée pour le mois de mai 2010, mais elle n’a pas pu donner les cours pour cause de maladie. La deuxième observation a été remise à l’année scolaire suivante, et avec une nouvelle classe.

Chez l’enseignante AM :

Première observation : leçons les 28 janvier / 4 / 11 / 18 février 2010. La première leçon de cette enseignante a duré plus de 50 minutes, et les autres plus de 40 minutes. A la fin de la première observation, elle a demandé un cours supplémentaire pour terminer son travail, et a finalement renoncé à la deuxième observation en raison d’une surcharge de travail.

Chez l’enseignante HN :

Première observation : leçons les 02 / 09 / 16 mars 2010. Chaque leçon a duré une période scolaire, soit entre 35 et 40 minutes.

Deuxième observation : leçons les 20 avril / 04 / 11 mai 2010. Chaque leçon a duré une période scolaire, soit entre 35 et 40 minutes.

Chez l’enseignante IF :

Première observation : leçons les 4 / 10 / 24 mars 2010. Chaque leçon dure une période scolaire, soit environ 35 minutes.

Deuxième observation : leçons prévues les 10 / 17 / 24 juin 2010. La leçon du 17 juin a été annulée sans prévision à cause d’une course de l’école. La deuxième observation ne porte donc que sur deux leçons.

Portraits des enseignantes

Titulaire d'une Licence de l'enseignement de la Rythmique selon la méthode Jaques-Dalcroze, l’enseignante CPR s'est également formée à la direction chorale avec Michel Corboz, Claire Marchand, Florent Stroesser et Didier Grojsman.

Privilégiant les liens entre le travail vocal et l'approche dalcrozienne du mouvement, elle dirige cinq chœurs d'enfants et d'adolescents au Conservatoire de Genève. Depuis 1994, elle enseigne la rythmique dans les écoles publiques du canton de Genève. A maintes occasions elle crée, pour ses élèves et choristes, chansons et spectacles originaux en collaboration avec son mari pour la composition musicale, et Janry Varnel pour l'élaboration des textes et livrets.

Souvent sollicitée pour la formation d’adultes, elle anime régulièrement des stages organisés par le DIP, la HEM, l’Institut Européen de chant choral ou encore les Choralies. Elle peut être considérée comme une enseignante expérimentée et experte dans plusieurs domaines.

Au moment des observations, AM enseigne depuis une vingtaine d’années la rythmique et le solfège à l’Institut Jaques-Dalcroze et la rythmique à l’école primaire. Danseuse, elle a pratiqué la danse classique et a suivi régulièrement des stages à l’Académie Grace de Monaco. Elle est titulaire de la Licence de la méthode Jaques-Dalcroze, ainsi que des certificats d’études supérieures de solfège et de piano et du diplôme d’enseignement de piano (CMG). Pendant plusieurs années elle a enseigné la méthodologie dalcrozienne à l’Institut Jaques-Dalcroze, et elle accueille régulièrement des étudiants de l’Institut pour des leçons de démonstration et des séminaires pédagogiques sur la méthode Jaques-Dalcroze. Elle enseigne aussi la chorale aux élèves de 1P-6P Harmos. Elle enseigne enfin pour Culture & Art en collaboration avec le Jardin Botanique. Elle peut être considérée comme une enseignante expérimentée et experte.

IF enseigne la rythmique dans les écoles primaires genevoises depuis presque 40 ans.

Danseuse depuis sa jeune enfance, elle a fait ses études à l’Ecole supérieure de Chorégraphie à Paris, avant de suivre la formation de rythmicien pour obtenir la Licence d’enseignement de la méthode Jaques-Dalcroze, et en 2007, la formation post-grade de rythmique pour les seniors. En plus de la rythmique, elle enseigne la danse aux enfants, adolescents et adultes à la Fédération Cantonale du Costume Genevois, cadre dans lequel elle a crée, animé, et participé à de nombreuses fêtes traditionnelles et historiques, par exemple, pour le 500ème anniversaire de la naissance de Calvin, le 225ème anniversaire de Carouge et, en 2014, pour le bicentenaire de l’entrée de Genève dans la Confédération. Comme danseuse et rythmicienne, elle a également conçu de nombreux spectacles d’école.

Elle peut être considérée comme une enseignante expérimentée et experte, autant en rythmique qu’en danse. Elle a régulièrement reçu les étudiants en formation de l’Institut Jaques-Dalcroze pour des séminaires de pédagogie.

Au moment du recueil de ces données, HN est jeune dans le métier, car elle enseigne depuis moins de 5 ans la rythmique dans plusieurs écoles primaires genevoises. Elle est titulaire de la Licence de l’Institut Jaques-Dalcroze. Au cours des études de Licence, HN a passé une année sabbatique à l'Institut de Rythmique Jaques-Dalcroze de Bruxelles, afin d’enrichir ses compétences et sa compréhension de la méthode.

En septembre 2010, elle est partie une année à New York pour suivre la formation d'analyste du mouvement à l’Institut Laban/Bartenieff. Depuis son retour à Genève en 2011, elle poursuit son enseignement dans le cadre de l’école primaire, ainsi que ses études pour le titre du Diplôme supérieur à l’Institut Jaques-Dalcroze, obtenu en 2013. Même jeune, elle peut être considérée comme experte.

Entretiens et contrats de recherche

Leur emploi du temps souvent morcelé rendant les rencontres difficiles, nous avons eu un

« entretien écrit » avec chaque enseignante au début de notre recherche, et leur avons proposé un projet aux paramètres et aux termes clairement définis, leur expliquant notamment dans le détail ce que nous entendions par « séquence d’enseignement ». Sachant que le curriculum de rythmique est indéterminé, nous leur avons donné le choix du sujet pour les deux séquences.

A la suite de chaque série d’observations, nous les avons revues.

L’évolution de la recherche a nécessité quelques entretiens supplémentaires, moins formels, et parfois des échanges par courriel. Notre souhait était d’établir une collaboration qui intéresserait et impliquerait étroitement les enseignantes autant que le chercheur.

Le contrat de recherche a été établi selon les termes suivants :

- Le chercheur aura accès à la planification des cours. (Nous n’avons toutefois pas reçu une copie de la planification dans tous les cas).

- Les cours seront enregistrés en vidéo.

- Les entretiens auront lieu avant et après chaque série d’observations.

- Les enseignantes auront accès à l’état de la recherche.

- Les deux séries d’observations auront lieu dans la même année scolaire et avec les mêmes classes, afin de nous donner une perspective de l’évolution des élèves.

(Comme indiqué précédemment, dans le cas de l’enseignante CPR, malade au moment de la deuxième observation, nous avons dû reporter celle-ci à l’année scolaire suivante).

- Les classes concernées sont des classes de 2P (4P HarmoS).

- Les enseignantes auront la liberté de choisir le contenu de leur enseignement.

Les modes d’observation

Tous les cours ont été enregistrés par vidéo. Nous avons installé deux caméras dans la salle, suffisamment loin pour ne pas déranger les élèves mais avec la fonction « zoom ». La première caméra était placée dans un coin pour couvrir la salle. Fixe, elle enregistrait les déplacements de la classe en entier, les interactions entre les élèves et l’enseignant ainsi qu’entre les élèves.

La deuxième caméra était focalisée sur l’enseignante et la suivait. Contrairement à une salle de classe, la salle de rythmique ne contient pas de pupitres et les élèves ne restent pas immobiles pendant le cours. La caméra qui suivait l’enseignante filmait donc surtout ses déplacements et ses interactions avec les élèves.