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Le recrutement des commissaires de police : entre nominations orchestrées par le pouvoir central et la candidature des candidats

Les notices individuelles témoignent certes des signes de professionnalisation, pour autant il n’existe, sous la monarchie de Juillet, aucun examen d’entrée pour devenir commissaire de police. Dès lors, qui est-ce qui intervient dans le recrutement des commissaires de police ?

1. Des nominations orchestrées par le pouvoir central ….

Le choix, dans le recrutement des commissaires de police, est le fait de plusieurs acteurs et s’effectue en plusieurs étapes. Tout d’abord il convient de rappeler que les commissaires de police sont nommés par le ministère de l’Intérieur365. Il est vrai que c’est le ministère de l’Intérieur joue un rôle important dans le recrutement des commissaires de police. Le commissaire Pelletan aurait ainsi été recruté sous l’impulsion du ministre. Ce dernier aurait

écrit au préfet un grand nombre d’éloges à propos de ce fonctionnaire366. Les mutations sont

également orchestrées par le ministre de l’Intérieur comme en témoigne sa volonté de voir

363 ADR : 4M9 : Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’Intérieur, le 19 mars 1831. 364 ADR : 4M9 : Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’Intérieur, le 21 mars 1831. 365 Kalifa Dominique et Karila-Cohen Pierre (dir.), Le commissaire de … op. cit,.

111 permuter Naudin et Perraudelle à cause de l’insuffisance de leurs bulletins.367 On remarque donc à travers les lettres évoquant le recrutement et les mutations des commissaires de police, que c’est le ministre de l’Intérieur qui coordonne les mutations et les recrutements des commissaires de police mais, cela, avec le concours du préfet d’Ille-et-Vilaine. Une lettre du 6 août 1836 du ministre de l’Intérieur adressée au préfet d’Ille-et-Vilaine au sujet du poste à pourvoir depuis le décès du commissaire de police Miniac témoigne en effet de cet état de choses :

Dans le cas vous partagerez l’opinion exprimée par votre prédécesseur et par monsieur Le Maire de Rennes lui-même, à l’occasion du remplacement des sieurs Tribert et Dunof, prédécesseurs des sieur Duchemin et Latour-Marliac et s’il vous paraissait convenable de faire le choix d’étrangers, je suis en mesure de vous envoyer des sujets dignes de toute confiance368.

Le ministre de l’Intérieur attend du préfet une « prompte réponse à ce sujet ». La correspondance systématique entre le ministre de l’Intérieur et le préfet d’Ille-et-Vilaine met ainsi en valeur le rôle important que joue ce dernier acteur dans le choix des commissaires de police. Les préfets du royaume correspondent entre eux dans le cadre d’échanges des commissaires de police. On apprend par le ministre, lors de la reconfiguration de la place des commissaires après la destitution du commissaire central en 1833, que « l’échange de bons fonctionnaires contre des hommes faibles et peu capables ne serait pas une bonne chose à proposer » aux autres préfets. On apprend ainsi que « chaque préfet désire, ainsi que l’autorité municipale, avoir des commissaires de police de son choix et sur qui ils puissent

compter »369. En effet, généralement, après la désignation par le gouvernement d’un candidat

au poste de commissaire à Rennes, le préfet se charge, au moment de son changement de résidence, de correspondre avec le préfet de la circonscription dont est originaire le fonctionnaire. Cette conversation est souvent orientée par une pratique spécifique : la demande de renseignements. Ces renseignements servent à mesurer le potentiel du candidat car les mutations, comme nous l’avons vu, sont parfois la conséquence de mauvaises actions. Le commissaire Lecat, par exemple, était en fonction à Aurillac et à Toulon avant d’être nommé à Rennes. Le préfet d’Ille-et-Vilaine s’en remet donc au préfet du Cantal et préfet du Var pour s’informer, à travers des lettres classées « confidentielles », au sujet de la qualité du fonctionnaire. Le préfet d’Ille-et-Vilaine souhaite ainsi « connaître les causes qui l’ont [le

367 ADR : 4M1 : Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine, le 29 mars 1844. 368 ADR : 4M1 : Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine, le 6 août 1836. 369ADR : 4M9 : Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine, le 21 juin 1833.

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commmissaire Lecat] éloigné du département » mais aussi « avoir quelques renseignements sur

son compte, principalement en ce qui concerne sa moralité, son activité, son intelligence, ses opinions politiques » et pour avoir « la mesure du degré de confiance » que le préfet doit

accorder au futur commissaire370. Le préfet du Var évoque, comme nous l’avons vu

précédemment, un problème d’entente avec son collègue mais le haut fonctionnaire « n’a jamais eu de reproche à lui adresser sous le triple rapport de l’activité, ses opinions politiques et de sa moralité ». Le préfet du Var pense que le préfet d’Ille-et-Vilaine pourra en tirer parti même s’il n’a jamais eu l’occasion de le mettre à l’épreuve371.

2. … aux demandes des candidats

Cependant, on constate qu’il y a en parallèle un autre phénomène : celui des candidatures. Celles-ci sont souvent accompagnées de lettres de recommandation qui viennent appuyer la demande du candidat et parfois pondérer la mainmise du pouvoir central sur la nomination des commissaires de police. En effet, il est vrai que le recrutement traditionnel par patronage continue à dominer au moins jusqu’à la monarchie de Juillet. Les recommandations politiques

auprès du gouvernement jouent un rôle essentiel372. Le ministre avait prévu, après la mort de

Miniac, de placer un candidat étranger, or on constate que c’est Houssemen, secrétaire du bureau de police, qui est nommé373. Le préfet d’Ille-et-Vilaine a préféré conseiller cette candidature au ministre de l’Intérieur car la « demande était vivement appuyée par les deux autres commissaires de police » et ainsi que le maire de Rennes, qui semblait aussi le désirer374. Il est vrai que ce dernier a adressé au préfet une lettre de recommandation, dont nous avons pu

apprécier les qualités précédemment, « de nature à influencer le choix du gouvernement »375.

La promotion interne d’Houssemen est moins due à un signe de professionnalisation qu’à l’influence des réseaux au sein de l’administration. Maire-Cécile Thoral montre bien la force des réseaux dans le recrutement dans la sociabilité commune aux fonctionnaires mais également dans la naissance d’une culture commune au sein de l’administration. Les candidats ayant dans leurs familles ou dans leurs relations sociales d’autres fonctionnaires, ou des relations haut placées, sont donc nettement avantagés. Les candidats au poste de commissaire utilisent ainsi pour conquérir « une situation de classe non pas de capital économique mais de capital social

370 ADR : 4M10 : Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au préfet du Var et du Cantal, le 27 mai 1837. 371 ADR : 4M10 : Lettre du préfet du Var (Draguignan) au préfet d’Ille-et-Vilaine, le 2 juin 1837. 372Thoral Marie-Cécile, « Naissance d'une…,art. cit.,

373 ADR : 4M1 : Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine, le 6 août 1836. 374 ADR : 4M10 : Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’Intérieur, le 29 août 1836. 375 ADR : 4M10 : Lettre du maire de Rennes au préfet d’Ille-et-Vilaine, le 27 août 1836.

113 (étendue des relations dont dispose une personne). » 376 Le ministre de l’Intérieur s’est retenu, par exemple, de remplacer Tribert car ce dernier est parent avec un député « qui prend un vif intérêt à sa conservation ». Le ministre de l’Intérieur recommande vivement au préfet de rappeler au commissaire Tribert « combien il lui importe de justifier de cette honorable

recommandation. »377 Nous pouvons, de ce fait, nous interroger sur la relation qui existe entre

le passé professionnel et la sociabilité qui en découle dans l’accès au poste de commissaire. Il est vrai que de manière générale, les candidats au poste de commissaire ont comme principal argument des lettres de recommandation de haut fonctionnaire. Par exemple, le commissaire Duchemin a fait la demande, avant d’être nommé à Rennes, auprès d’un député de le recommander auprès du préfet d’Ille-et-Vilaine :

Je cède volontiers à son désir en appelant votre attention sur cet agent. J’ai la confiance qu’il fera tout pour mériter votre estime et vos bontés. Il était commissaire principal à Angers sous la restauration. Cette place fut supprimée après 1830. Il était à Angers au moment du retour de paris de messieurs d’Audigné de la Blanchaie et Giraud alors députés de l’opposition. Il joua avec succès dans cette occasion difficile, le rôle principal. Il s’en acquitta si bien qu’en arrêtant le désordre et en dissipant, sans l’emploi de la force, l’attroupement, il satisfait et l’administration qui l’employait et les députés qui étaient l’objet du rassemblement. Mr Giraud, aujourd’hui maire d’Angers et député, a recommandé Monsieur Duchemin à Monsieur le ministre comme un homme actif et habile. J’ai aussi contribué à sa nomination Mr. Duchemin vient de montrer de la résolution et du dévouement en offrant d’aller à Toulon pendant le choléra, du courage et de l’assurance en acceptant le poste de Clairvaux pour être au milieu de détenus d’une espèce difficile. J’espère qu’à Rennes il fera preuve de zèle, d’activité, d’habileté et dévouement.

Nous avons également un phénomène similaire pour les candidats n’ayant pas réussi à accéder au poste de commissaire. La place vacante de commissaire de police, après la mutation de Lecat à Toulon, a attiré deux candidats : Dutin et Durand. L’exemple de Durand témoigne également des limites que peuvent avoir ces réseaux de sociabilité. En effet, malgré les liens de parenté qui existent entre Durand et le commissaire en chef Duchemin, c’est en vain que Durand a, malgré un dossier très bien constitué, essayé d’être nominé au poste de commissaire de police à Rennes. Ce dossier intitulé « demande d’une place de commissaire de police à Rennes » est composé d’une lettre de motivation adressée au ministre de l’Intérieur, de 6 certificats écrits par les commissaires de police de Rennes, du procureur du roi, du maire, du sous-préfet, du premier président et greffier en chef du tribunal de Coutances378. Ces certificats sont autant de

376 Thoral Marie-Cécile, « Naissance d'une...,art .cit.,

377ADR : 4M10 : Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine, 27 novembre 1833.

114 lettres de recommandation qui mettent en valeur les qualités du fonctionnaire et on retrouve, en outre, une lettre écrite par Duchemin au préfet d’Ille-et-Vilaine qui l’invite fortement à

promouvoir son « beau-frère » au poste de commissaire de police379.

Les raisons des révocations : de l’épuration administrative à

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