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La compétence : une qualité davantage requise

Les raisons des révocations : de l’épuration administrative à l’incompétence

3. La compétence : une qualité davantage requise

L’incompétence est cependant de plus en plus prise en compte par le ministère de l’Intérieur. Il y a tout d’abord le cas de Tribert. En 1833, le ministre de l’Intérieur s’était retenu de le destituer car celui-ci avait le soutien d’un député. Or on constate qu’en 1835 celui-ci est finalement révoqué de ses fonctions397. Nous ne connaissons pas les motifs exacts de cette révocation mais il est possible d’en imaginer les raisons. L’incompétence de Tribert est certainement la cause de sa destitution comme en témoigne les mauvaises appréciations de sa fiche de renseignement. Le maire reproche au commissaire Tribert d’avoir « peu d’expérience

et de connaissance », surtout en matière de règlement et de police municipale398 et d’avoir des

habitudes qui le rendent peu propre au service dont il est chargé. Le maire déplore également son manque d’« adresse », de « tact » et d’une « certaine influence morale » qui sont

les « dignes qualités premières d’un commissaire de police »399. Nous pouvons confirmer cette

hypothèse par le fait que c’était ce motif qui avait motivé le ministre à destituer ce commissaire en 1833. Nous avons, ensuite, le cas de révocation du commissaire central Honoré Couard qui est motivé, moins par son manque de zèle que par son incapacité à obtenir des résultats satisfaisants en matière de haute police. Le ministre de l’Intérieur évoque depuis quelque temp l’idée de révoquer le commissaire central mais le préfet hésite. Pourtant, le ministre s’impatiente :

396 ADR : 4M10 : Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine, le 27 novembre 1833.

397 ADR : 4M10 : Lettre du commissaire Tribert au préfet d’Ille-et-Vilaine au sujet de sa destitution, le 7 juillet

1836.

398 ADR : K102 : Notices de renseignements.

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Le titulaire actuel, Monsieur Couard, se rend-il vraiment utile ? Ne peut-il l’être davantage ? Ne serait-il pas à propos de l’employer à des tournées, d’imprimer à ses fonctions un degré d’activité indispensable pour obtenir des résultats et qui me semble lui manquer ? Des fonds de police recevraient-ils une destination avantageuse entre ses mains ? Je ne me refuserai jamais, Monsieur, à ce qui serait véritablement profitable dans l’intérêt de l’ordre public. Mais un commissariat central ne saurait être une sinécure. Je m’en rapporte donc à vous pour établir les choses comme elles doivent l’être pour tirer tout le parti désirable d’un fonctionnaire dont le zèle est attesté par d’honorables témoignages, mais dont les opinions particulières doivent être subordonnées aux exigences de ses devoirs.400

Le préfet admet, dans sa réponse au ministre de l’Intérieur, que les mesures prises par le commissaire central « produisent peu de résultats et en police particulièrement il est fâcheux d’avoir des antécédents de ce genre, d’avoir fait plusieurs fois dans un pays des efforts sans

succès et d’avoir à les recommencer de la même manière. »401 Le préfet pense d’ailleurs que ce

sont les nombreuses connaissances qu’il a dans le parti patriote qui doivent être un « obstacle puissant » pour le commissaire central. Finalement, le 17 juin 1833, une ordonnance royale prononce la révocation du commissaire central Honoré Couard402. Le ministre de l’Intérieur refuse la demande du préfet de confier à ce commissaire destitué les mêmes fonctions dans une autre ville de l’Ouest. Dans une lettre du 21 juin 1833, le ministre de l’Intérieur fait part de sa conviction au préfet d’Ille-et-Vilaine, après avoir inspecté son dossier, que sa destitution aurait dû avoir lieu depuis plus d’un an403. S’il s’empresse toujours de récompenser le zèle d’un commissaire de police actif et vigilant, il ne peut consentir à placer ni à Rennes, ni ailleurs, un fonctionnaire de cette classe qui serait reconnu au-dessous de son emploi. En outre, il ne voit pas quelles considérations s’élèveraient en faveur d’un employé supérieur de police qui n’a jamais voulu s’acquitter franchement de ses devoirs, ni quels ménagements il aurait à garder auprès de lui « après tant de délais et d’indulgence. » Le seul danger réel et le seul abus, selon le ministre de l’Intérieur, étaient « de le laisser en possession d’une portion d’autorité et d’une influence dont il faisait un si mauvais usage ». Il est clair que pour l’État central « s’il y a

incapacité, il doit y avoir révocation. »404 L’exemple de la destitution du commissaire Couard

et les échanges entre le ministre de l’Intérieur et le préfet à ce sujet, nous montrent bien

400 ADR : 4M9 : Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine, le 1er novembre 1832. 401 ADR : 4M9 : Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine, le 3 novembre 1832

402 ADR : 4M9 : Ordonnance royale le 17 juin 1833

403 ADR : 4M9 : Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine, le 21 juin 1833. 404ADR : 4M9 : Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine, le 21 juin 1833.

120 l’importance que prend la compétence. On constate que le pouvoir central, au vu du coût de ce commissaire, cherche à obtenir des résultats probants en termes de haute police.

En outre, on constate qu’au moment de l’avènement de la seconde République le commissaire Lizat et Pellatan ne furent pas destitués. Cela vient confirmer l’idée émise par John R. Merriman qui établit, à travers son étude, que plus les communes et villes augmentent en termes d’espace et de population et plus les tâches, incombant aux commissaires, gagnent en

complexité405. Il devient dès lors plus délicat de destituer un commissaire. On constate donc

que les capacités et les performances importent beaucoup sous la monarchie de Juillet et qu’en même temps, les antécédents purement politiques apparaissent moins importants au profit de

l’aptitude et du professionnalisme qui deviennent, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe

les critères primordiaux d’évaluation de la police.

Les portraits des fonctionnaires rennais, établis à partir de leurs origines sociales et géographiques, de leurs profils sociaux et de leurs itinéraires professionnels, nous ont ainsi permis d’appréhender au mieux l’homme qui exerce la fonction de commissaire de police sous la monarchie de Juillet. Si les commissaires de police rennais sont tous, plus ou moins, bien nés, ils connaissent une mobilité sociale changeante et incertaine. Les commissaires de police

évoluent, cependant, vers un milieu social et une catégorie professionnelle émergente au XIXe

siècle : l’administration. On constate également, à travers l’étude de leur profil social et de leur traitement, que les commissaires de police ne sont pas des notables et que, parfois, ils connaissent des situations financières à la limite de la précarité. En outre, on constate que les commissaires de police, grâce à l’étude de leur carrière et des conditions de recrutement et de révocation, se situent à un moment charnière de l’évolution de leurs fonctions. L’État central prend de plus en plus en compte les compétences des commissaires de police. Celles-ci impactent, d’une manière croissante au cours de la période, leur carrière.

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Troisième partie : Le métier de commissaire de police au

quotidien

Ce dernier chapitre sera consacré à l’analyse du métier de commissaire de police dans son fonctionnement au quotidien. Nous commencerons par évoquer les relations du commissaire de police. Nous évoquerons ainsi les relations que le commissaire entretient avec sa hiérarchie et au sein même de la police. Nous étudierons également la nature des relations des commissaires de police avec les habitants de Rennes. Ce dernier point nous amènera à voir l’activité quotidienne des commissaires de police. Cette étude réalisée à partir des rapports quotidiens et des tableaux mensuels nous permettra ainsi d’analyser les pratiques policières des commissaires de police mais également de voir les enjeux auxquels ces hommes sont confrontés. Enfin notre dernière partie sera consacrée à l’étude de l’activité politique des commissaires de police. Nous verrons que cette police politique pratiquée par les commissaires de police se cultive à travers trois pans d’activité : la surveillance politique de l’opinion publique et des opposants au régime, la surveillance des mouvements migratoires et la surveillance des théâtres, lieux d’expression politique.

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