• Aucun résultat trouvé

Le poste de commissaire de police : une autorité abusive ?

Quelles relations avec la population ?

2. Le poste de commissaire de police : une autorité abusive ?

Si la population fait parfois preuve d’hostilité envers les commissaires de police et l’autorité, d’une manière générale, les fonctionnaires de police n’en sont pas moins, parfois, des représentants de l’ordre qui profitent de leur statut pour abuser des populations. Cet abus peut prendre la forme de l’incivilité, comme ce fut le cas avec le commissaire Briand, jusqu’aux crimes sexuels et financiers du commissaire de police Saladini.

a. De l’incivilité du commissaire Briand …

Nous avons, une première plainte adressée au préfet d’Ille-et-Vilaine au sujet du comportement outrageant du commissaire de police Briand. Le 27 février 1828, Monsieur Colué, un habitant de Rennes, s’est fait « injurier plusieurs fois » dans les bureaux des commissaires de police. Cet homme se présentait, en effet, au bureau des commissaires de police pour demander au commissaire Phelipot s’il avait remis à Monsieur Génisel le passeport qu’il avait déposé à son bureau le 4 février. Le commissaire lui répond que non et le plaignant lui pria alors d’avoir la complaisance, d’après les renseignements indiqués par le passeport, d’écrire au père de monsieur Génisel pour l’engager à lui payer une modique de 8 francs que

460 Justice criminelle – Cour d’assies d’Ille-et-Vilaine – Correspondance particulière de la Gazette des tribunaux.

Journal de jurisprudence et des débats judiciaires, n°6151, 22ème année, le lundi 22 mars et 2 mars 1847.

461 Le Brun Yvonne. L'« émeute » de Rennes des 9 …,art. cit.,

142 son fils lui devait pour pension. Mais cette recommandation ne plut pas au commissaire Briand qui, présent au bureau du commissaire Phelipot, se comporta de la manière suivante :

Monsieur Briand commissaire de police, qui était lors au bureau, se permit de m’apostropher d’une manière aussi grossière qu’injurieuse, me traitant de mauvais gueux, de canaille, etc. Ajoutant ces mots, pour qui nous prend-t-il ? Sommes-nous ses secrétaires ? S’adressant aux Gardes il leur dit : ce gueux-là à la porte. Je me bornais à le remercier de ses compliments, il se leva de suite brusquement me prit par le bras et me poussa à la porte, me répétant toujours les mêmes injures. Je me retirais sans lui tenir aucun propos.463

Il garantit ainsi, au préfet, que les commissaires de police Miniac et Phélipot ainsi que des sergents de ville Guérandel et Leborel seraient en mesure de témoigner de ce comportement. Pour le plaignant, scandalisé, « l’homme honnête a besoin de la réputation pour se procurer des moyens d’existence » et ce comportement aurait pu nuire à sa réputation si ces propos « eussent été proférés en présence de plusieurs habitants ». Il déclare que le commissaire n’aurait pas dû « oublier les importantes fonctions de son emploi ». En outre, il désigne le commissaire Briand comme un homme illettré et sans éducation et qui ne serait même pas capable d’être « un secrétaire » car, pour ce faire, « il faut savoir bien écrire et savoir la langue. » De plus, si les officiers de police sont nécessaires dans les villes pour le maintien de l’ordre, « l’intégrité, les lumières et l’activité doivent être leurs qualités essentielles pour remplir les fonctions d’une charge aussi importante. » Le plaignant cite même l’instruction de la loi du 24 août 1790, relative à l’organisation des autorités constituées, qui recommande spécialement aux fonctionnaires publics « la plus grande honnêteté envers les administrés ». Selon lui, si le commissaire Briand avait été informé des principes de cette loi, il n’eût pas si gratuitement injurié un citoyen qui n’avait aucune affaire avec lui. Il « supplie » le préfet de vouloir, conformément à la loi, l’autoriser à « poursuivre le dit sieur Briand, commissaire de police à Rennes, devant le tribunal compétent. » Dans le cas contraire, il demande au préfet de prononcer la « destitution » pour lui éviter « le désagrément de rencontrer encore ce commissaire civil » qui sans motif l’a injurié plusieurs fois dans le bureau. Cette information est très intéressante car elle nous permet de voir comment le commissaire se comporte avec les citoyens bien que, dans ce cas particulier, Colué semble être blessé dans son estime. La colère

143 de Briand est peut-être aussi révélatrice de l’aspect « trop bureaucratique » du métier de commissaire de police.

b. … aux crimes sexuels et financiers du commissaire Saladini

Le second exemple, qui nous éclaire à propos des abus d’autorité des commissaires de police, est celui de Saladini. En 1846, il est en procès à la cour d’assise de Dieppe pour viol et pour abus financier. Tout d’abord, ce commissaire « abusait de sa position et de ses fonctions de commissaire de police pour commettre des actes nombreux d’indélicatesses et d’immoralités. » Le fait le plus grave qu’on lui impute est le viol de la fille Panel en octobre 1845. Lorsqu’il était commissaire de police à Dieppe, Saladini rencontra une jeune fille promise à un mariage. Le commissaire sans scrupule lui dit alors qu’il avait des informations compromettantes sur l’homme qu’elle devait épouser et l’invita dans sa maison pour lui en faire part. La jeune fille évoqua cet entretien avec son père qui l’y emmena sans aucun soupçon et « plein de confiance dans le commissaire de police ». Arrivée, seule, à la petite maison de la rue de l’Epée, elle monta dans sa chambre et le commissaire lui dit alors « c’est moi qui veux devenir votre amant ». En même temps il l’a pris par la taille, l’embrassa et la renversa. Cependant, ce n’est pas le seul crime qu’a commis le commissaire Saladini. En effet, en 1842, lorsqu’il était en poste à Montpellier, un des agents de police vint dire au chef de bureau qu’il « ne voulait pas rester plus longtemps en rapport avec le commissaire Saladini parce que celui- ci l’employait à aller chercher, de gré ou de force, des femmes de mauvaises vies, dont il voulait abuser dans son bureau. » Une actrice de théâtre de Montpellier, Tesseyre, raconte également que Saladini se présenta « en casquette » chez elle et « insista pour entrer ». Ne pouvant arriver à ses fins avec elle il lui aurait dit : « Habitué à ne pas faire antichambre chez les ministres, je ne veux pas faire antichambre chez les reines de théâtres. Cédez, ou je me vengerai, car je suis commissaire de police et de plus, je suis Corse ! » Quand le juge demande à Saladini de répondre de ces accusations, il assure qu’« il n’y a rien de vrai dans tout cela. Les actrices aiment beaucoup à avoir des rapports agréables avec les commissaires de police. » On l’accuse, également, lorsqu’il était commissaire de police à Montpellier de ce même genre d’abus. Le sergent-major de la police de la ville témoigne ainsi que lorsqu’il était sous le service du commissaire Saladini, ce dernier lui aurait donné des billets pour une fille, Mathilde, à Montpellier. Cette fille lui aurait alors dit qu’elle ne voulait pas y aller, parce que le commissaire lui ferait des choses qui ne lui convenaient pas. Il a également porté des lettres à une jeune fille de quinze ans, qui venait voir Saladini à son bureau. De même, lorsqu’il était sous les ordres de

144 ce commissaire de police à Marseille en 1837, Jean Cauquil, un ancien agent de police raconte qu’il fut muté car il avait surpris Saladini dans son bureau avec « une femme de mauvaise vie ».

Le commissaire de police Saladini profitait également de sa position pour extorquer de l’argent. En effet, outre le viol dont il est accusé, on lui impute également d’avoir, en juin et juillet 1837, à Marseille « abusé de ses fonctions pour faire des perceptions illégales ». Il était chargé de surveiller dans cette ville l’arrondissement du Grand-Théâtre Dans cette circonscription, soumise à son administration, il existait un café tenu par une femme Ravena. Après une conversation insignifiante, il la pria de lui prêter 5000 à 6000 francs. La femme Ravena n’ayant point une pareille somme à sa disposition lui remet 100 francs. Saladini non content d’avoir réalisé cet emprunt, lui fit observer que l’établissement qu’elle dirigeait nécessiter depuis quelque temps une surveillance plus active, et exigea pour ses agents, à titre d’indemnité, une gratification de 30 francs par mois. Il reçut lui aussi 30 francs par mois au même titre. Celle-ci ne refusa pas car le commissaire voulait lui « nuire ». Saladini aurait laissé de nombreuses dettes dans les résidences où il a exercé. C’est le cas par exemple à Montpellier où « il devait un peu d’argent à tout le monde. »

Si le cas du commissaire Briand reflète sans doute la difficulté de la fonction de commissaire de police, le cas du commissaire De Saladini reflète tout autre chose. En effet, on constate que la fonction de commissaire de police lui procure un certain pouvoir et qu’il en joue pour abuser, que ce soit de manière corporelle ou financière, les habitants qu’il administre. Fort heureusement, ce cas reste une exception chez les commissaires de police rennais. Au contraire, il convient de s’interroger sur la difficulté qu’a l’historien à saisir exactement les mécanismes des relations qui lient la population aux commissaires de police. Les marques d’hostilité et d’abus des commissaires sont forcément mises en valeur étant donné le « choc » que peut provoquer tel ou tel fait. On a seulement une source qui nous révèle que, parfois, le commissaire de police peut être apprécié. En effet, dans sa réponse aux demandes de renseignements du préfet d’Ille-et-Vilaine à propos du commissaire Lecat, le préfet du Var lui raconte qu’on lui a dit « depuis son départ qu’il avait reçu quelques objets, à titre de cadeaux, de la part de particuliers qu’il avait obligés dans l’expérience de ses fonctions. »464

145

II. Les activités au quotidien

Prétendre saisir les relations qu’entretiennent les commissaires de police avec la population peut également se faire à travers l’étude de leurs activités au quotidien. En effet, tous les jours, les commissaires de police, dans l’exercice de leurs fonctions, sont amenés à côtoyer ce peuple. Outre ses activités de contrôle quotidiens, il a des devoirs envers la population : la sécurité, l’aide, l’ordre, l’arrestation de voleurs ect. Nous allons donc voir, au cours de cette partie, à quoi correspond exactement l’activité quotidienne des commissaires de police. Nous verrons de quelle manière fonctionne le service des commissaires de police à travers l’étude des rapports quotidiens et des tableaux de police. Nous analyserons, ensuite, par l’étude des délits les plus fréquents que les commissaires doivent faire preuve d’autorité. Nous terminerons, enfin, par montrer que les commissaires, s’ils doivent faire preuve d’autorité, sont également obligé de s’occuper des objets de la vie quotidienne.

Outline

Documents relatifs