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Profil de carrière

2. Les mutations

La question des résidences des commissaires de police nous amène naturellement à nous interroger sur les rapports qui existent entre les mutations et l’évolution de la carrière : qui est- ce qui peut motiver la mutation d’un commissaire de police ? Nous pouvons, dans un premier temps, émettre l’hypothèse que ce sont les situations relationnelles délicates qui impactent le changement de résidence des commissaires de police. En effet, cet état de choses est confirmé par le ministère de l’Intérieur dans une lettre adressée au préfet d’Ille-et-Vilaine, qui remarque « qu’il devient souvent nécessaire de changer de résidences certains commissaires de police » sans qu’on remette pour autant leur manque de capacité et de zèle. Le ministre de l’Intérieur donne deux raisons à ces mutations. Tout d’abord parce qu’il existe entre les commissaires et « les administrations sous lesquelles ils sont placés, des incompatibilités de caractère dont le service souffre ». La mutation du commissaire Lecat de Toulon à Rennes témoigne effectivement de ce cas de figure. Ce dernier a été changé de résidence « parce qu’il ne vivait

pas en bonne intelligence avec son collègue »329. La deuxième raison provient du fait que les

commissaires, originaires de la ville, voient leur action « entravée par leurs relations antérieures avec les habitants. »330 La demande de mutation rédigée par Houssemen au préfet d’Ille-et- Vilaine témoigne en effet de cette situation compliquée :

Depuis plusieurs années j’exerce ici les fonctions de commissaire de police (…) Étant breton et ayant beaucoup de parents dans cette ville je ne vous dissimule pas, monsieur le Préfet, que par cette raison ma position est souvent difficile. Ayant le désir de remplir mes fonctions de la manière la plus consciencieuse, je crois que je serais mieux placé ailleurs qu’à Rennes. Pour éviter mes embarras, je prends la liberté monsieur le Préfet de daigner solliciter pour moi un changement avec avantages, soit à l’intérieur, loin de Rennes, soit même de préférence, dans les colonies, ou dans nos possessions d’Afrique (Régence d’Alger) et d’appuyer ma demande de tout votre intérêt. Je viens de perdre à Bone (Afrique) un frère qui était au 12e de ligne, il laisse une veuve chargée d’un enfant et sans fortune.

Cette raison me fait désirer un avancement qui me mette à même de pouvoir être utile à ma belle-sœur et son enfant331.

La mutation de Latour-Marliac, quoique se situant dans cette même perspective, a eu lieu pour des raisons différentes. Celles-ci, sont floues mais on peut y déceler un problème dans le rapport avec la population. En effet, le préfet, après que Latour-Marliac eût dissous les sociétés d’ouvriers qui avaient été formées dans le département d’Ille-et-Vilaine, avait demandé

329 ADR : 4M10 : lettre du préfet du Var au préfet d’Ille-et-Vilaine, le 2 juin 1837.

330 ADR : 4M1 : Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine, le 2 décembre 1839.

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que le commissaire fût changé de résidence332. Est-ce pour une raison d’incompétence ? Nous

pouvons en douter mais étant donné que le traitement des commissaires est similaire à Toulon et à Rennes, on peut se demander si les mutations n’ont pas lieu plutôt pour des raisons d’entente avec les habitants. Le cas de Latour-Marliac nous renseigne également sur un fait curieux, à savoir qu’à deux reprises, on constate que certains commissaires échangent leur place. Latour- Marliac échange en effet sa place avec Lecat et c’est également le cas pour Naudin et Houssemen qui échangent leurs places mais pour des raisons différentes. En effet, ces permutations ont parfois lieu à cause de l’incompétence du commissaire de police. Dans une lettre, le préfet d’Ille-et-Vilaine évoque le cas du commissaire Naudin, qui exerce dans la ville de Paimboeuf en Loire-Inférieure, et qui est appelé à travailler à Rennes en remplacement de Houssemen, qui est « par suite des mutations d’emploi » appelé aux mêmes fonctions à

Paimboeuf333. Le commissaire Houssemen fait l’objet d’une remontrance. En effet, le

commissaire Houssemen n’étant pas à la hauteur, le préfet prie le maire de le rappeler à l’ordre :

Les renseignements recueillis sur la manière dont il remplissait ses fonctions à Rennes auraient pu motiver une mesure plus sévère à son égard mais que son excellence s’était toutefois, bornée à le faire passer à une résidence moins importante et par la suite moins rétribuée. Il saura sans doute apprécier la portée de cette mesure en s’appliquant à mériter par la conduite son retour à une meilleure position334.

Ce passage est très intéressant car il nous apprend qu’il existe une hiérarchisation dans les villes et qu’elles s’avèrent être autant d’étapes dans l’avancement et la carrière. C’est en effet l’hypothèse émise par John R.Meeriman qui met en parallèle l’avancement du commissaire de police avec la hiérarchie urbaine qui fait « que les villes étaient plus importantes

que les bourgs. »335 Il compare cette situation avec le fait que par exemple un poste dans une

préfecture était plus prestigieux et lucratif que dans une simple sous-préfecture. Une ville comme Rennes, dont la population est tout de même assez importante, constitue donc un tremplin en comparaison d’une ville de plus petite envergure. A l’inverse, on l’a vu précédemment, grâce à la correspondance sur les dettes du commissaire Lecat, que Rouen, Bordeaux ou bien évidemment Paris apparaissent comme des villes, en termes d’avancement et de traitement, beaucoup plus prestigieuses et intéressantes.

332 ADR : 4M10 : Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet d’Ille-et-Vilaine :18 avril 1837. 333 AMR : K102 : Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au maire de Rennes, le 22 février 1841. 334 AMR : K102 : Lettre du préfet d’Ille-et-Vilaine au maire de Rennes, le 22 février 1841. 335 Kalifa Dominique et Karila-Cohen Pierre (dir.), Le commissaire…,op. cit, p. 104-121.

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