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Duchemin-Lalonde : une figure trop autoritaire et une ambition excessive ?

Les enjeux de pouvoir au cœur de la police : l’autorité désavouée de Duchemin-Lalonde

3. Duchemin-Lalonde : une figure trop autoritaire et une ambition excessive ?

On constate donc que le commissaire Duchemin désire tout contrôler, tout savoir et être distingué de ses collègues par son remarquable zèle. Ce commissaire, quoiqu’un peu mégalomane, est, en effet, prêt à tout pour s’attirer les bonnes grâces de sa hiérarchie. Selon Naudin « c’est dans la nature d’être de ce monsieur Duchemin de toujours faire croire qu’il est l’homme indispensable que sans lui la police ne marcherait pas ou marcherait fort mal. » Le commissaire Duchemin pense, cependant, autrement. Selon lui, ses collègues jalousent sa position. Il écrit, par exemple, au préfet à propos de la critique de Saladini sur les tournées de surveillance du commissaire en chef dans les arrondissements de ses collègues, la chose suivante :

Lorsque M. De Saladini est arrivé ici remplacer Mr Lecat je crus que le service de la police marcherait au mieux. Je montrai même vis-à-vis de lui les plus grands égards. Je vous en parlai même dans les temps de la manière la plus favorable. Nous fûmes quelques temps dans des termes les plus amicaux. Cependant je m’étais aperçu que mon titre de commissaire de police en chef lui portait ombrage. J’évitai autant que possible de blesser sa susceptibilité. (…) M. De Saladini en venant ici (…) connaissait sa position, il n’ignorait pas qu’il y avait un chef de police et que par conséquent quelles étaient ses obligations vis- à-vis de lui.444

Duchemin évoque même le fait qu’il est allé à Nantes exprès pour s’entretenir avec le commissaire en chef de la ville, M. Delarrade, afin de savoir de « quels étaient ses rapports avec les commissaires de police. » Mais qui est vraiment le commissaire Duchemin ? Est-ce que le commissaire Duchemin, à l’ambition sans mesure, souhaite « régner en maître » sur la police ? Ou bien est-ce que ce sont ses collègues qui supportent mal une autorité fraichement mise en place ? La seule certitude que nous avons correspond au désir d’autorité de Duchemin. Il en possède d’ailleurs tous les attributs. En effet, le règlement pour le service de la police de 1839 lui accorde des fonctions hiérarchiquement supérieures à celles de ses collègues. Il possède un traitement de 500 francs supérieur à celui de ses collègues. Il recrute également les gardes champêtres et gère l’équipement de ses agents. Duchemin, on l’a vu au contenu de son mémoire, est très attaché à l’organisation, au contrôle et à la bonne organisation de la police et des agents qui la composent.

En résumé, Duchemin-Lalonde désire une police qui soit bien organisée et maîtriser totalement l’action de ses collègues. C’est en cela que l’on peut affirmer que l’attitude de ce commissaire est omnipotente. Cette attitude ne symbolise-t-elle pas les fonctionnaires

136 automatisés et qui sont, dans un même temps, les rouages de cette machine qu’est l’« État », institution politique moderne dont la percée du capitalisme en Occident a modernisé le système politico-administratif, et dont la forme domination, telle qu’elle le fut exprimée par Max Weber, est caractérisée, en partie, par sa légalité et sa rationalité445 ? Selon Stefan Breur, la domination légale-rationnelle est la domination d’un ordre impersonnel et systématique, d’un droit qui

fonctionne « comme une machine techniquement rationnelle ».446 Stefan Breur s’est interrogé

sur les formes que pouvaient prendre, dans la réalité, cette domination légale-rationnelle de Maw Weber. A la différence de la domination charismatique et de la domination traditionnelle, la domination légale-rationnelle est la seule forme de domination qui engendre elle-même les conditions de son efficacité et, par là même, de sa légitimité grâce à deux concepts fondamentaux : la mécanisation et la disciplinarisation de la personne qui obéit par « pur respect de l’ordre en tant que tel, a fait de son contenu la maxime de sa conduite, et cela simplement en vertu du rapport formel d’obéissance, sans tenir compte de ce qu’il pense personnellement de la valeur ou de la non-valeur de l’ordre. »447 La condition de cette obéissance formelle est une disciplinarisation généralisée, c’est-à-dire une l’édification au sein même des personnes de structures cognitives permettant d’agir de manière appropriée au sein d’une organisation. La bureaucratie ne se limite cependant pas à l’institution étatique moderne et à son administration448. Elle se donne à voir dans tous les secteurs et notamment l’institution policière. Cette forme de domination engendre une généralisation de l’habitus bureaucratique, c’est-à-dire une accélération de « l’évolution vers l’objectivité rationnelle »449 ou vers

« l’homme de profession »450, tendance qui détermine déjà à l’époque, selon Max Weber, la vie

quotidienne des sociétés modernes. En tranchant les conflits de manière avant tout hiérarchique et en contraignant leurs membres à accepter sans discuter les décisions prises, ce système produit des « hommes d’ordre » - des hommes « qui ont besoin d’ordre et de rien d’autre, qui deviennent nerveux et lâches dès que cet ordre vacille un seul instant, et sont désemparés lorsqu’ils sont arrachés à leur adaptation exclusive à cet ordre. »451 Si le comportement de Duchemin n’est qu’un pâle reflet des rouages de la domination légale-rationnelle issue de la typologie wébérienne, cette domination n’en constitue pas moins un outil d’analyse qui nous

445 Breur Stefan, « La domination rationnelle. À propos d’une catégorie de Max Weber », Trivium , n° 7, 2010,

(mis en ligne en décembre 2010.)

446 Weber Max, Wirtschaft und Gesellschaft, Tübingen, 1922, p. 468.

447 Ibid., p. 123.

448 Breur Stefan, « La domination rationnelle…,art. cit., 449 Weber Max, Wirtschaft….op. cit., p. 675.

450 Weber Max, Gesammelte Aufsätze zur Soziologie und Sozialpolitik, Tübingen, 1924, p. 414.

137 aide à comprendre comment s’articulent les mécanismes d’autorité chez ce commissaire en chef. On remarque, en résumé, que Duchemin incarne l’autorité et l’autorité, pour François Bourricaud, correspond à « la personnalisation des règles, leur incarnation, ou encore la transfiguration symbolique de certains individus qui prennent à leur charge les normes collectives, et font de leur réalisation une responsabilité personnelle. »452

On constate, cependant, que cette domination n’est pas totale car celle-ci n’est ni acceptée ni reconnue par Naudin et Saladini, les collègues de Duchemin. Comment expliquer ce refus d’autorité ? On peut émettre l’hypothèse que ce que ressentent ces deux commissaires est moins dû à un complexe d’infériorité qu’à une autorité qu’ils ne considèrent pas comme légitime. Ils estiment ne pas avoir à recevoir d’ordre de ce commissaire, bien qu’il ait le titre de « chef », car leurs tâches restent les mêmes. Ils estiment également que son zèle très exacerbé n’est que le reflet d’une ambition démesurée. La remarque de Naudin à propos des relations, soi-disant privilégiées, et des attributions, censées être particulières, que Duchemin entretiendrait avec le procureur et ses substituts en témoigne parfaitement : « Je sus bien tôt au parquet que le fait avancé par Monsieur Duchemin était faux, et que tous les commissaires de lui étaient appelé par la loi à recourir à s’occuper et à contrer les crimes et délits prévu par les codes. »453

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