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Des pratiques policières douteuses et individualistes

Les enjeux de pouvoir au cœur de la police : l’autorité désavouée de Duchemin-Lalonde

2. Des pratiques policières douteuses et individualistes

Si le discours du commissaire de police en chef Duchemin semble autoritaire, il agit également avec autorité. Naudin fait part, en effet, au préfet de différentes scènes d’altercation qui ont eu lieu entre eux. Ces scènes de vie, au cœur de la police, nous permettent d’observer comment s’articulent les enjeux de pouvoir et de domination entre les commissaires de police. Nous allons voir, tout d’abord, que le commissaire Duchemin cherche à s’attribuer, par la force, les mérites de ses collègues. En effet, dans la nuit du 31 mars au 1er avril un vol assez considérable eut lieu dans l’arrondissement du commissaire Naudin au préjudice de Pelletan. Le commissaire Duchemin fit des démarches, pour trouver l’identité des voleurs, qui se sont avérées infructueuses. Le lendemain, le commissaire Naudin réunissait, sur les auteurs de ce vol, « les renseignements les plus précieux », en les consignant sur des notes à mesure que celles-ci lui étaient données par deux témoins qui avaient vu au loin ces voleurs introduire les objets volés chez une femme. Voici alors l’altercation entre les deux commissaires telle qu’elle est racontée par le commissaire Naudin :

Monsieur Duchemin vient à mon bureau me disant qu’il avait appris que j’étais sur les traces des voleurs je lui ai répondu que oui et bien dit que j’avais devant moi les déclarations des deux témoins. Pris mes notes sur mon bureau et en ma présence les mit dans sa poche et se sauva s’enfermant dans son bureau et peu après rédigeait le procès-verbal contre les auteurs de ce vol, les déposa au parquet en son propre et privé nom, et s’enfuit prendre les grands de cette affaire devant le tribunal de police.442

Encore une fois, le récit du commissaire Naudin vient contrecarrer l’image que le lecteur pouvait se faire du commissaire Duchemin. Ce commissaire zélé nous apparaît désormais comme une personne un peu trop ambitieuse. Naudin le décrit comme une sorte de tyran qui souhaite s’accaparer tous les mérites et les avantages. Mais la scène ne se termine pas sur cette altercation. En effet, le commissaire Naudin, à la suite de cette provocation, a adressé au commissaire en chef « de vifs reproches », signes de son mécontentement, pour avoir « agi aussi cavalièrement envers un collègue ». Duchemin lui répondit : « Je suis le commissaire en chef, je suis chargé de la police judiciaire et à ce titre vous me devez aux moindres égards. » S’engage alors « une guerre sourde » entre les deux commissaires malgré les menaces de Duchemin qui a aussi dit « et appris que l’on ne gagnait rien à lutter contre lui » au commissaire Naudin.

134 Ce qui nous amène à voir le désir qu’à Duchemin de contrôler toutes les activités de ses collègues. En effet, selon Naudin, le commissaire Duchemin cherchait à circonvenir, en sa faveur, une personne de l’arrondissement de Naudin et « voulut lui faire promettre que quand il apprendrait quelques découvertes importantes, [Naudin] lui fasse un rapport de suite. » Selon Naudin, le commissaire Duchemin agit ainsi « pour accaparer à lui seul toutes les affaires, même celles qui sont naturellement réunies de droit à ses collègues. », Ce fait est corroboré par le commissaire Saladini qui a consigné, nous l’avons vu précédemment, « sur le registre des rapports des commissaires de police qu’il avait trouvé mauvais » que Duchemin demanda « dernièrement une tournée de surveillance dans son arrondissement. » De Saladini a en effet annoté, après un rapport de Duchemin, sur la tournée qu’il avait effectuée, la chose suivante :

Il est incontestable cependant que ni mes agents ni moi nous n’avons donné par notre conduite le droit de nous surveiller. En un mot dans l’intérêt bien entendu du service, dans l’intérêt surtout de la bonne harmonie, il conviendrait, à mon avis que chacun de nous se renfermât dans le cercle des attributions spéciales qui leur ont été départies, sans avoir l’ambition de primer.443

Naudin soupçonne même le commissaire Duchemin de vouloir lui mettre des bâtons dans les roues. Une veille de foire, Naudin préparait ses agents à cet évènement lorsque l’un des agents de Duchemin, Dubois, lui fit observer qu’il était toujours commandé pour surveiller la foire. Naudin se méfiait de ce garde car il avait des raisons de se méfier des hommes de Duchemin. Il renvoya alors le garde qui en référa tout de suite à son chef « qui vient tout en colère » dire au commissaire Naudin, « qu’il le veuille ou qu’il ne le veuille pas », Dubois viendrait « bon gré et malgré lui » à la foire. Ce que fit, bien entendu, le garde. Naudin, ayant compris « les égards de Monsieur Duchemin », laissait venir Dubois tout en se chargeant de surveiller sa conduite. Naudin ne tarda pas à apprendre dans la journée que cet agent « mettait à contribution les malheureux débitants de cidre qui ce jour débitaient leurs marchandises, et leur faisait payer à chacun vingt-cinq centimes par barrique. » Naudin s’indigne alors contre le préfet de cette opération machiavélique :

N’avait-on pas l’arrière-pensée pour l’avenir de mettre cette concession à jour auprès des autorités et me l’impacter comme un fait personnel, étant chargé spécialement du service des foires et des marchés.

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