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6. L’impact de la mise en œuvre des politiques sociales

6.1 Un non-recours aux droits sociaux

6. L’impact de la mise en œuvre des politiques sociales

Le chapitre 5 a permis de mettre en évidence une sous-dotation des institutions genevoises du social en matière de ressources ainsi que plusieurs déficiences, en matière d’organisation et dans la nature des prestations, à même d’expliquer une partie des difficultés que les usagers rencontrent dans leur accès aux droits sociaux. Dans ce dernier chapitre empirique, nous tenterons de mettre en évidence les externalités, positives ou négatives, permises par la mise en œuvre des lois. Nous allons constater que la manière dont les lois sont mises en œuvre a des impacts autres que la difficulté d’accéder aux droits sociaux, des impacts qui dépassent le cadre des institutions publiques du social par certains aspects. Quatre problématiques ont plus particulièrement retenu notre attention. Il s’agit du phénomène du non-recours au droits sociaux, présenté aux points 1.4.2 et 2.2.4, de celui du report des missions de l’Hospice sur des institutions tierces (cf. 1.3.2) et, enfin, de souffrances générées par les institutions et leur mode d’organisation sur les personnes qui sont en prise avec leur réalité, sur le terrain, les usagers et les agents sociaux (1.2.3).

6.1 Un non-recours aux droits sociaux

Si l’accès aux droits sociaux est difficile ou impossible, comme nous l’avons vu dans le chapitre 4, les usagers se retrouvent dans des situations de non-recours. Ce dernier est défini ainsi : « le non-recours renvoie à tout personne qui - en tout état de cause – ne bénéficie pas d’une offre publique, de droits et de services, à laquelle elle pourrait prétendre » (Warin, 2010). Nous analyserons dans ce chapitre les divers cas de non-recours observés lors des entretiens.

a) Du point de vue des usagers

Un non-recours dû à l’ignorance de l’existence des prestations

Anne offre l’exemple d’une personne n’ayant pas eu recours à des prestations auxquelles elle aurait eu droit parce qu’elle ne connaissait pas leur existence. Pour connaître ses droits à des PCFam et au SCARPA, Anne a dû attendre d’être poussée vers l’Hospice par les sanctions de l’OCE et, enfin, aiguillée sur un service social privé. Depuis plusieurs années déjà, elle aurait pu obtenir des prestations de ces deux services. Par ailleurs, lors de notre rencontre, Zoé ne connaissait pas l’existence des allocations d’études. Pourtant elle y aurait certainement droit, pour au moins un de ses deux enfants. Actuellement, elle doit demander de l’argent à des amis pour la rentrée scolaire.

Un non-recours dû à une absence de prise en charge sociale et à la peur du renvoi

Le cas de Pauline est révélateur à cet égard. Sans emploi, sans droit au chômage et avec deux enfants à sa charge, elle est dans une situation très précaire. Pauline ne vit que grâce à la pension alimentaire que lui verse son conjoint, dont elle est séparée, et avec l’aide d’amis. Suite à une agression, elle souffre de troubles psychologiques post-traumatiques.

 

cette situation par son incapacité à produire certains documents. En l’absence de décision de l’Hospice général, les services sociaux privés contactés ne l’ont pas prise en charge. Pauline nous a signalé qu’elle n’est pas en mesure de nourrir correctement ses enfants. Durant son témoignage, elle nous a également fait part d’une peur d’être expulsée, bien qu’une de ses filles soit de nationalité suisse. Ce cas de non-recours pourrait donc également être associé à la peur du renvoi.

Un non-recours dû aux délais d’attente des services

Plusieurs témoins se sont retrouvés dans une situation de non-recours en raison des lenteurs administratives des services.

Un non-recours suite à une sanction suivie d’un refus d’être reçu à l’Hospice

Suite à une sanction, Laurent, dont l’histoire a été présentée plus haut, a essayé de reprendre contact avec un CAS à trois reprises concernant l’arrêt de l’aide financière. Aucun rendez-vous ne lui a été accordé. Malgré la faute qu’il a commise, il ne peut pas être privé indéfiniment de toute aide et se retrouver à la rue.

Un non-recours dû à la complexité des tâches administratives donnant accès aux prestations

Zoé ne veut pas demander de l’aide. Malgré le fait qu’elle doive demander de l’argent à des amis pour la rentrée scolaire de ses enfants, elle n’a pas le courage d’affronter les administrations.

Un non-recours induit par la peur d’avoir des sommes à rembourser au SPC

Suite au stress causé par la demande de remboursement d’une partie des PCFam qu’elle avait touchées, due à une erreur de calcul du SPC, Nathalie a songé à renoncer à son droit, par peur de se retrouver à nouveau dans une telle situation.

b) Du point de vue des acteurs du social

Concernant les causes du non-recours, ils/elles ont observé (que) : un non-recours dû à un défaut d’information; un non-recours aux PCFam induit par la peur d’avoir des sommes à rembourser au SPC en cas de trop-perçu généré par les longs délais de traitement et la périodicité inadaptée des calculs de prestations; un non-recours dû à la complexité des tâches administratives et au grand nombre de documents demandés; un non-recours dû à la peur de perdre son titre de séjour et de se voir renvoyer de Suisse ; un non-recours important dû à une non-connaissance de la prestation, à une exigence pléthorique de documents, à la peur d’avoir à rembourser des trop-perçus, à la peur de voir son permis de séjour compromis.

« L’Hospice général n’est plus le dernier filet pour tout le monde. Pour certains, le dernier filet, c’est rien. » Une conseillère en insertion de l’antenne chômage

 

c) Analyse : Plusieurs types de non-recours identifiés

Plusieurs types de non-recours ont été observés au travers des différents témoignages d’usagers et de professionnels du social. Si on s’en tient à la typologie établie par l’Odenore (Warin, 2016, p.39) (cf. 1.4.2), les quatre différents types de non-recours ont été observés.

En matière d’intensité du non-recours (Warin, 2016, p.29), tous les phénomènes sont identifiables dans les témoignages. Un non-recours complet, « lorsqu’une personne éligible demande une prestation mais ne reçoit rien », a été observé dans les cas de Laurent. De leur côté, Pauline, Anne et Zoé sont dans une situation de non-recours cumulatif, « lorsqu’une personne éligible à plusieurs prestations n’en reçoit pas plusieurs ».

Ces trois femmes auraient en effet sans doute le droit à plusieurs prestations au vu de notre évaluation. Enfin, le non-recours partiel, « lorsqu’une personne éligible demande une prestation mais n’en reçoit qu’une partie

» a été illustré à plusieurs reprises au long de ce travail, notamment dans le cas de non-versement des prestations circonstancielles.

En matière de durée du non-recours (Warin, 2016, p.29), on peut difficilement s’avancer sur son caractère permanent, soit lorsque le non-recours « apparaît quand une personne ne demande pas une prestation entre le moment où elle devient éligible et celui où elle ne l’est plus », du fait que les situations des personnes sont évolutives. Au moment des témoignages, seule la situation de Pauline pourrait potentiellement se transformer en un non-recours de ce type. En général, les situations des personnes titulaires de Permis B et qui n’osent pas réclamer leurs droits sociaux de peur de se faire expulser du territoire correspondent à du non-recours permanent. De l’autre côté, le non-recours temporaire, qui « apparaît entre le moment où une personne est éligible et celui où elle demande la prestation », a touché bon nombre de personnes interrogées.

Pour ce qui est des formes et des raisons du non-recours (Warin, 2016, p.43), toutes ont pu être observées dans ce travail. Dans les cas d’Anne et Zoé, elles ont vécu une période de non-recours dû à « une non-connaissance, lorsque l’offre n’est pas connue », en raison d’un « manque d’informations ». Dès le contact d’un usager avec une institution sociale, ce type le recours par connaissance se transforme en non-recours par non-proposition. Pauline, Anne et d’autres témoins se sont retrouvés à un moment ou à un autre dans une situation de non-recours dû à une « non-proposition, lorsque l’offre n’est pas activée par les agents prestataires malgré l’éligibilité du demandeur, que celui-ci connaisse ou pas l’offre » en raison des

« ressources contraintes » et d’une forme de « discrimination » opérée par les services, et cela malgré le fait que cette information aurait normalement dû leur être délivrée par les services de l’Hospice. Les cas de Laurent ainsi que de toutes les personnes ayant fait face à des délais avant d’obtenir une aide, au PCFam notamment, correspond à un non-recours dû à une « non-réception, lorsque l’offre est connue, demandée,

 

Pour Laurent, la raison de cette non-réception n’apparaît pas dans la typologie de Warin. On peut la qualifier de « sanction abusive », du fait de la volonté délibérée d’éloigner cette personne des services sociaux alors même qu’elle est éligible. Enfin, les cas de Zoé, Pauline et de nombreuses personnes titulaires de permis B qui ne recourent pas s’assimilent à un non-recours dû à une « non-demande, quand l’offre est connue mais pas demandée, abandonnée, ou bien un droit est ouvert mais la prestation non-utilisée ». Pour les personnes titulaires d’un permis B, telles que Pauline notamment, qui ne recourent pas suite à « un calcul des risques » encourus en cas de recours. Dans le cas de Zoé, sa non-demande de bourse d’étude est due à une phobie administrative que l’on peut assimiler à un « désaccord sur les modalités de l’offre ». Nathalie, elle, a fait part de son hésitation à ne plus recourir aux PCFam par non-demande en raison d’un « désaccord sur les modalités de l’offre » et d’un « calcul des risques », effrayée par la perspective de devoir rembourser des sommes importantes au vu de sa situation précaire. Sa volonté de ne pas recourir ne l’a pas emporté pour des raisons de précarité.

Dans ce sous-chapitre, un des effets de la sous-dotation en ressources de l’Hospice sur les usagers a été mis en évidence. Les cas de recours potentiellement imputables aux institutions sont le recours par non-proposition, par non-réception et par non-demande. Dès le contact d’un usager avec une institution sociale, le recours par connaissance, qui est peu imputable aux institutions du social, se transforme en non-recours par non-proposition. Le non-respect des articles de la LIASI est également mis en évidence en matière de non-recours, particulièrement celui concernant la mission d’accompagnement social, notamment en matière de prévention, d’orientation et d’information sociale. On voit que des exigences administratives et procédurales, le profil de certains usagers, le mode d’organisation des institutions ou des aspects discriminatoires de la loi sur les étrangers constituent autant d’obstacles à l’accès aux droits sociaux et d’explications du non-recours. Tout comme en ce qui concerne l’accès aux droits (cf. 4), on peut se demander si le non-recours n’est qu’une conséquence d’un manque de ressources ou s’il représente, au contraire, un mode de gestion des ressources permettant de les ménager, en total opposition avec les objectifs des lois en vigueur. On a ainsi observé que l’institution « développe des pratiques permettant de réduire la demande de services, telles que rendre les procédures d’accès complexes et longues en augmentant le nombre de documents à fournir ou en réduisant le nombre d’employés préposés à l’accueil » (Moachon, 2015, 28).