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1.4 L’accès aux droits sociaux et le non-recours

1.4.2 Le non-recours

L’accès aux droits sociaux est dans certains cas ineffectif pour diverses raisons que nous avons étudiées plus haut et les obstacles qui s’opposent à l’accès aux droits sociaux génèrent du non-recours volontaire ou subi, phénomène que nous allons étudier dans le prochain chapitre. Avant de conclure, il faut également souligner l’impact évident des réformes politiques sur l’accès. Les diverses réformes de l’Etat social entreprises durant ces dernières décennies ont eu pour objectif de limiter l’accès aux prestations et ont, parallèlement, provoqué un retrait de certains bénéficiaires légitimes (Warin, 2006, p.148), en ajoutant de nouveaux obstacles de natures diverses aux droits sociaux. Ce faisant, on assiste, conjointement au phénomène de repli du social en vigueur, à la construction d’un « individualisme négatif » qui met en péril la cohésion sociale de nos sociétés et « menace le rapport aux politiques publiques et, par voie de conséquence au politique » (Warin, 2006, p.148).

1.4.2 Le non-recours

La question de l’accès aux droits pose évidemment celle du non-accès à ces derniers. Le non-recours est symptomatique du défaut d’accès aux droits sociaux. Le non-recours divise de fait la population en deux catégories : la population éligible et la population non-éligible. Un même individu ne peut pas rentrer dans ces deux groupes : il est ou il n’est pas éligible au vu des règles d’accès et d’attribution. Le non-recours correspond donc à « la population éligible qui ne reçoit pas une prestation, quelle qu’en soit la raison » (Warin, 2006, 87). Ce concept, apparu sous le nom de non take-up dans les années trente, est issu d’une volonté étatique de vérifier que les politiques publiques ciblant certaines populations remplissaient leur office. Une fois calculé, le taux de non-recours peut amener à repenser les politiques publiques au niveau de leur conception comme de leur mise en œuvre.

Source : Le non-recours : définition et typologie, Odenore, en ligne, Warin, 2010

Si la définition s’attachait à l’origine aux prestations sociales financières uniquement, cette dernière s’est élargie au fil du temps afin de rentre compte d’autres domaines que le social (Warin, 2010, 2). Enfin, afin de prendre en compte la volatilité des droits et de « la multiplication des conditionnalités de l’offre » (Warin, 2010, p. 3), il faut « tenir compte des populations éligibles, mais aussi de celles qui perdent ce statut, pour

 

3). Ainsi, la définition actuelle du non-recours est la suivante : « le non-recours renvoie à tout personne qui - en tout état de cause – ne bénéficie pas d’une offre publique, de droits et de services, à laquelle elle pourrait prétendre » (Warin, 2010, p. 3). Il existe différentes approches permettant d’aborder la question du non recours. La première typologie que nous présenterons ici, descriptive, vise à mesurer l’intensité et la durée du non-recours, sans vraiment poser la question de ses causes structurelles, ainsi que le montre le tableau 4 ci-dessous. Cette dernière a été développée par le CNAF.

Tableau 4, Les définition du non-recours apportées par le CNAF Source : Le non-recours aux politiques sociales, Warin, 2016, 29

 

La deuxième typologie (Van Oorschot 1991), dynamique, et mesure le non-recours durant trois phases successives : celle du seuil d’entrée de la prestation, durant laquelle l’individu prend conscience de l’existence de la prestation, celle des arbitrages, où il évalue les aspects positifs et négatifs d’un recours, et, enfin, celle de la demande, à l’occasion de laquelle l’individu décide de recourir et s’engage dans une démarche.

La troisième typologie, celle de l’Odenore, explicative, identifie quatre formes de recours. Le non-recours dû à « une non-connaissance, lorsque l’offre n’est pas connue », celui dû à une « non-proposition, lorsque l’offre n’est pas activée par les agents prestataires malgré l’éligibilité du demandeur, que celui-ci connaisse ou pas l’offre », celui dû à une « non-réception, lorsque l’offre est connue, demandée, mais pas obtenue ou utilisée » et enfin celui dû à une « non-demande, quand l’offre est connue mais pas demandée, abandonnée, ou bien un droit est ouvert mais la prestation non-utilisée » (Warin, 2016, p.39).

Tableau 5, Les formes de non-recours

Source : Le non-recours aux politiques sociales, Warin, 2016, 39

Ces trois typologies, descriptive, dynamique et explicative, sont compatibles et complémentaires. Elles permettent d’analyser les divers cas de recours dans leur singularité. Peu importe la forme du non-recours, les raisons ou explications de ce dernier « ne sont pas connues d’avance et peuvent varier selon les objets et pour un même objet selon les personnes ». Il arrive par ailleurs fréquemment que les raisons d’un non-recours se combinent et se succèdent. « Une analyse compréhensive du non-recours a ainsi pour objectif et pour principale difficulté de relever les formes, les raisons, et au-delà les explications, souvent nombreuses, variées et entremêlées » (Warin, 2016, p.42).

Les trois typologies mobilisées ci-dessus mettent en scène des usagers, très loin des théories néoclassiques

 

des choix rationnels, et restituent en partie la complexité des processus et arbitrages en œuvre dans le non-recours. Même en ce qui concerne les cas de non-demande, d’autres explications rentrent en jeu telles que

« les conflits de normes et de pratiques » (Warin, 2010, p. 6). Ainsi, les prestations qui impliquent l’adoption d’un comportement précis, qui « véhiculent des modèles de l’accomplissement de soi » ou qui comportent une injonction à l’autonomie ou à la responsabilité des usagers sont très susceptibles de générer ce type de non-recours (Warin, 2010, p. 6). La non-demande peut notamment avoir pour cause « un dénigrement de ses propres capacités, un découragement devant la complexité de l’accès » ou encore « un faible intérêt pour l’offre publique » (Warin, 2010, p. 6), si la prestation est faible ou qu’y accéder est compliqué. « Une non-adhésion aux principes de l’offre » motive également une non-demande choisie afin de montrer son désaccord, d’exprimer une contestation (Warin, 2010, p. 6). Plusieurs de ces raisons mettent en évidence la question du manque de confiance en soi ressenti par les personnes précarisées et fragilisées.

Les situations de non-recours doivent être comprises hors du contexte dans lequel elles ont lieu. Elles renvoient aux positions sociales, aux psychologies de chacun et à des valeurs individuelles (Warin, 2010, p.

6). Elles renvoient également à des politiques publiques d’information et de communication, à des politiques budgétaires, à des types d’organisations en vigueur dans les institutions, aux comportements qu’adoptent les agents sociaux, à l’intérêt des usagers pour l’offre, à une évaluation d’éventuels risques encourus en cas de demande ou de perception d’une prestation, ainsi qu’à un nombre important d’autres facteurs. Nous tenterons de les mettre en évidence tout au long de ce travail.

 

Tableau 6, Typologie explicative du non-recours de l’ODENORE Source : Le non-recours aux politiques sociales, Warin, 2016, 43

 

2. Contexte