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5. La mise en œuvre des politiques sociales dans les institutions

5.3 Le contrôle des usagers

5.3 Le contrôle des usagers

La difficulté des usagers à accéder aux droits sociaux, notamment à celui de l’accompagnement social qui représente une des trois missions principales assignée par la loi à l’Hospice général, a été mise en évidence au chapitre 4. Après avoir constaté que la sous-dotation des institutions et leur organisation était partiellement responsable de cette situation, nous allons voir dans ce sous-chapitre que d’autres missions, pourtant pas premières au sens de la loi, prennent néanmoins une place importante dans les institutions.

a) Du point de vue des usagers

Un contrôle contre-productif

Trois témoins nous ont fait part de leur incompréhension vis-à-vis des contrôles menés par l’Hospice. Christophe, par exemple, parle de contrôles pesants et infantilisants. Il n’a pas l’impression de bénéficier d’un accompagnement social.

« Ma relation avec mon assistante sociale se résume à du contrôle. Je me sens infantilisé. » Comme ses rendez-vous devenaient pour lui source d’angoisse, leur espacement est un soulagement. Bianca, elle, estime que certains contrôles sont humiliants. Elle cite l’obligation, depuis quelques années, d’apporter tous les mois le relevé du compte sur lequel sont versées les prestations de l’Hospice. On peut y lire tous les retraits d’argent opérés et Bianca considère que cela représente une violation de son intimité. Selon elle, une attestation annuelle devrait suffire. De son côté, Rose affirme que sa situation s’est aggravée suite aux inspections et procédures d’enquête qui ont été lancées à son encontre. Cela a provoqué chez elle une perte de confiance encore plus grande envers son assistante sociale et l’Hospice.

Un contrôle accru

Katia, concernant son stage d’évaluation, n’a pas compris pourquoi elle avait à être « testée » et constamment surveillée afin de déterminer si elle était proche ou non de l’emploi. Elle parle des personnes qui encadrent ces stages comme des

« surveillants », les comparant à « des gardiens de prison ». « On ne nous aide pas à reprendre confiance en nous, alors que nous sommes déjà au plus bas, car on nous surveille tout le temps. Le fait de manquer une demi-journée, malgré un certificat médical, était toute une histoire… » De son côté, Christophe n’a pas l’impression de bénéficier d’un accompagnement social. « Ma relation avec mon assistante sociale se résume à du contrôle. Je me sens infantilisé. » Comme ses rendez-vous devenaient pour lui source d’angoisse, leur espacement est un soulagement.

Des menaces de sanctions

Rose est à l’Hospice depuis plusieurs années. Elle raconte être accusée par ses assistantes sociales consécutives de souffrir de « délires », de « paranoïa » et d’avoir à «se faire soigner ». Contrairement à l’avis de ses dix assistantes sociales consécutives, Rose ne pense pas avoir besoin de suivi psychologique ni de déposer une demande AI. Elle estime avoir besoin de mesures de réinsertion. Il y a quelques années, une tentative de réaliser une activité de réinsertion (AdR) s’est soldée par un échec. Par ailleurs, elle ne sent pas entendue ni soutenue par ses assistantes sociales. Rose a vu inscrire dans son CASI une condition de suivi psychiatrique. Elle l’a refusé. De son côté, Marco estime que son besoin d’aide médicale et son état dépressif ne sont pas pris en compte par l’Hospice. Il fait part d’un sentiment d’abandon

 

total. Selon lui, l’Hospice est en partie responsable de la détérioration de son état psychique. Suite à son absence à plusieurs rendez-vous avec son assistant social pour des raisons de santé, ce dernier l’a menacé de sanctions.

b) Du point de vue des acteurs du social

En matière de contrôle et de sanctions, ils/elles ont observé (que) : une aide financière conditionnée (CASI) à la réalisation d’objectifs, le travail sur objectifs existait auparavant ; l’ajout d’une sanction en cas de non-réalisation des objectifs n’apporte rien si ce n’est plus de précarité et de stress pour les usagers ; l’impression que le CASI est attribué moins facilement qu’à l’époque, que les exigences à l’égard des usagers ont augmenté ; une variation inégale du contrôle et des sanctions en fonction des CAS ou des assistants sociaux à l’Hospice ; un renforcement du contrôle de l’usager à l’Hospice, par exemple en ce qui concerne les documents bancaires; une pression sur les professionnels de l’Hospice pour utiliser le CASI comme instrument d’incitation; une sanction (non-versement du supplément d’intégration) en cas de refus de participer au stage d’évaluation.

d) Analyse : un important contrôle des usagers

Les différents témoignages de ce sous-chapitre ont montré l’existence d’un contrôle important des usagers à l’Hospice général. De plus, au vu des témoignages des professionnels du social, il semble que ce phénomène soit en augmentation, au même titre que le nombre de sanctions distribuées par l’institution.

Concernant les incitations, nous avons constaté que le CASI, qui représente un outil dont la mise en place est recommandée par la nouvelle gestion publique, se veut incitatif. En retranchant la somme correspondant au supplément d’intégration du forfait de base, le DEAS a créé un outil d’incitation tout en abaissant dans les faits le seuil du minimum vital du barème ordinaire. Les autorités ont estimé que les difficultés auxquelles sont confrontés les usagers ne sont pas un facteur d’incitation suffisant pour les motiver à la réinsertion. Les témoignages nous amènent à nous demander si cet outil ne serait pas parfois contre-productif, dans le cas où la condition d’un suivi psychologique, en l’absence de consensus entre l’assistant social et l’usager sur sa nécessité, est inscrite dans un CASI notamment. Même si l’incitation s’inscrit dans une démarche visant à aider l’usager, la pénalisation de ce dernier s’il refuse d’obtempérer n’est pas acceptable dans le cas susmentionné. Une « médicalisation de l’intervention sociale » se dévoile ici. Les travailleurs sociaux jouent un rôle de contrôle social, de par le comportement qu’ils attendent de la part des usagers et qu’ils essaient de lui imposer à coup d’incitations financières et de menaces de sanctions. En usant de leur pouvoir, défendant l’idée de « qui paie décide », l’institution, à travers le CASI, exerce une pression normative sur l’usager, qui doit devenir « l’acteur de sa propre existence » (Aballéa, 2013, 24-25-26). La prise en charge de personnes fragilisées ou de personnes présentant une problématique sociale constitue pourtant la mission première de l’Hospice, qui doit accorder une importance particulière au suivi des usagers souffrant de troubles

 

supplément d’intégration est un outil qui permet réellement d’obtenir des résultats en termes d’insertion sociale et professionnelle des usagers. Le travail sur des objectifs axés sur des sanctions ne semble pas représenter la meilleure manière de voir la situation des usagers s’améliorer.

Le renforcement qui est décrit en matière de contrôle des usagers se traduit notamment à travers la contractualisation des rapports entre usagers et institutions, le CASI, mais également à travers la « chasse aux indus » et une lutte contre la fraude renforcée et plus lourdement réprimée (Chauvière et al., 2008, 93).

Nous avons pu le constater dans le cas de Laurent au point 4.2. Le contrôle s’exerce afin de s’assurer que les personnes aidées se conforment au comportement que les institutions sociales sont « en droit » d’attendre d’elles, mais aussi que le monde du travail attend d’elles. Cela se ressent très fortement dans la décision de la LIASI d’imposer à toutes les personnes arrivant à l’Hospice un stage d’évaluation de la distance à l’emploi dont l’objectif est plus de tester la compliance des usagers que leurs compétences. Il ressort des témoignages d’usagers que l’élargissement et la rigidification de cette pratique engendre un climat contre-productif de méfiance entre l’usager et l’institution.

Parallèlement à la détérioration de la prise en charge sociale des usagers et à une prise en charge toujours plus administrative, on assiste, au travers des mesures d’incitations, de contrôle et de sanctions, à un renforcement du contrôle social sur les usagers - des personnes en situation de précarité - sous couvert de discours de « modernisation » et de responsabilité individuelle prônés par la nouvelle gestion publique. Ce retour d’une certaine forme de contrôle social peut s’expliquer par la prégnance du discours néolibéral insistant sur la responsabilité individuelle ; par le développement d’un discours sécuritaire au travers de représentations des personnes en difficulté comme des personnes présentant « un risque pour la société et pour elles-mêmes » (Aballéa, 2013, 24-25-26). Nous sommes là dans le surveiller et punir qui a pour but de faire « plier les populations indociles à l’ordre économique » (Wacquant, 2004) en considérant les classes précaires comme des classes potentiellement dangereuses. L’action sociale se voit ainsi attribuer « des fonctions de contrôle et de répression qui ne sont en rien constitutives de la profession » (Chauvière et al., 2008, 6).

Au terme de ce passage sur le contrôle, nous constatons que si le travail d’accompagnement social, une des missions de l’Hospice, n’est pas délivré, le contrôle subsiste, voire s’étend, alors qu’il ne représente pas une mission officielle de l’institution. Comme nous l’avons souligné en ce qui concerne la place important prise par l’administratif dans le travail des assistants sociaux, il se peut que la priorité soit donnée au contrôle au vu du fait qu’une analyse de la performance de ces derniers se réalise sur la base de leurs résultats en la matière. On constate donc que les changements des dispositifs législatifs, les ressources et le mode

 

(Chauvière et al., 2008). Le contrôle apparaît alors en partie comme une vocation de l’institution et comme une réponse à un manque de moyens. Cette mise en évidence nous indique que si le contrôle ne constitue pas une mission de l’Hospice au sens de la loi, il occupe néanmoins une part importante du temps des assistants sociaux, au détriment d’un accompagnement social ou d’un choix de prestations de réinsertion de meilleure qualité.