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Des lois inappliquées ? Accès aux droits sociaux. Manque de ressources. Non-recours. Report sur le privé. Usagers et professionnels face aux institutions sociales genevoises Usagers et professionnels face aux institutions sociales genevoises

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Academic year: 2022

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Des lois inappliquées ? Accès aux droits sociaux. Manque de ressources. Non-recours. Report sur le privé. Usagers et

professionnels face aux institutions sociales genevoises Usagers et professionnels face aux institutions sociales genevoises

REPOND, Julien

Abstract

En recourant à des témoignages d'usagers et professionnels du social genevois, récoltés dans le cadre de la réalisation d'un stage à l'Observatoire de l'aide sociale et de l'insertion (OASI), le présent travail a pour objectif d'interroger l'effectivité de l'accès aux droits sociaux lors de la mise en oeuvre de deux lois genevoises en matière d'aide sociale, la LIASI et la LPCC. Considérant qu'un accès aux droits sociaux parfait est improbable, sinon impossible, ce travail va également chercher les causes des défauts d'accès aux droits sociaux, ainsi que d'autres conséquences qu'elles produisent. Ce faisant, des problématiques telles que le manque de ressources des institutions, les défauts d'organisation de ces dernières ainsi que des prestations qu'elles délivrent ou encore la priorisation de certaines missions au détriment d'autres, vont être mises en évidence. Les phénomènes du non-recours, du report de charge du public vers le privé, du sens de l'action sociale ainsi que de l'impact sur le psychologique des usagers seront abordés. Vous l'aurez compris, il ne s'agit pas ici d'analyser dans [...]

REPOND, Julien. Des lois inappliquées ? Accès aux droits sociaux. Manque de ressources. Non-recours. Report sur le privé. Usagers et professionnels face aux institutions sociales genevoises Usagers et professionnels face aux institutions sociales genevoises. Master : Univ. Genève, 2018

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:102723

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Des lois

inappliquées ?

Accès aux droits sociaux.

Manque de ressources. Non- recours. Report sur le privé.

Usagers et professionnels face aux institutions sociales genevoises

rapport de stage du master en socioéconomie de Julien Repond sous la direction de Jean-Michel Bonvin

UNIGE / SDS 2017

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Résumé

En recourant à des témoignages d’usagers et professionnels du social genevois, récoltés dans le cadre de la réalisation d’un stage à l’Observatoire de l’aide sociale et de l’insertion (OASI), le présent travail a pour objectif d’interroger l’effectivité de l’accès aux droits sociaux lors de la mise en œuvre de deux lois genevoises en matière d’aide sociale, la LIASI et la LPCC. Considérant qu’un accès aux droits sociaux parfait est improbable, sinon impossible, ce travail va également chercher les causes des défauts d’accès aux droits sociaux, ainsi que d’autres conséquences qu’elles produisent. Ce faisant, des problématiques telles que le manque de ressources des institutions, les défauts d’organisation de ces dernières ainsi que des prestations qu’elles délivrent ou encore la priorisation de certaines missions au détriment d’autres, vont être mises en évidence. Les phénomènes du non-recours, du report de charge du public vers le privé, du sens de l’action sociale ainsi que de l’impact sur le psychologique des usagers seront abordés. Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas ici d’analyser dans les détails un aspect précis du champ social genevois, la qualité des témoignages ne permettrait d’ailleurs pas de le faire tout en satisfaisant les normes académiques. L’objectif du présent travail est de réaliser une étude généraliste et exploratoire qui saura, nous l’espérons, susciter l’intérêt de certains pour un champ d’étude qui mérite d’être exploré plus en profondeur.

Remerciements

Un merci tout particulier aux usagers qui, malgré la difficulté de leur situation, ont pris le temps et trouvé le courage de témoigner auprès de l’OASI. En espérant que des lendemains qui chantent un peu moins faux les attendent. Merci également aux professionnels du social rencontrés, pour leur accueil et leur disponibilité.

En leur souhaitant bon vent et des luttes victorieuses. Enfin, un grand merci à Jocelyne Haller, Marie Leblanc Rigal, Aude Martenot, Marta Martinez Fernandez, Liala Consoli, Michèle Ebener et Jean Repond pour le soutien qu’ils m’ont apporté tout au long de ce travail, de mes premiers pas à l’OASI jusqu’au point final.

Dans ce document, le générique masculin est utilisé sans aucune intention discriminatoire, dans le seul but d’alléger le texte.

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Glossaire

ARE Allocations de retour en emploi AdR Activités de réinsertion

CASI Contrat d’aide sociale individuelle CRP Conseiller en réinsertion professionnelle

DEAS Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé EdS Emplois de solidarité

HG Hospice général

LACI Loi fédérale du 25 juin 1982 sur l’assurance chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité (RS 837.0)

LASI Loi cantonale genevoise du 22 mars 2007 sur l’aide sociale individuelle (abrogée)

LIASI Loi cantonale genevoise du 11 février 2011 sur l’insertion et l’aide sociale individuelle (J 4 04)

LMC Loi cantonale genevoise du 11 novembre 1983 en matière de chômage (J 2 20)

LPCC Loi cantonale genevoise du 25 octobre 1968 sur les prestations complémentaires cantonales (J 4 25)

LRMCAS Loi cantonale genevoise du 18 novembre 1994 sur les prestations cantonales accordées aux chômeurs en fin de droit (J 2 25) (abrogée)

OASI Observatoire de l’aide sociale et de l’insertion OCE Office cantonal de l’emploi

Odenore Observatoire des non-recours aux droits et services OFAS Office fédéral des assurances sociales

OFS Office fédéral de la statistique

PCFam Prestations complémentaires familiales

RIASI Règlement genevois d’exécution de la loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle (J 4 04.01)

RMC Règlement genevois d’exécution de la loi en matière de chômage (J 2 20.01) RMCAS Revenu minimum cantonal d’aide sociale

RPCFam Règlement genevois relatif aux prestations complémentaires familiales (J 4 25.04) SAM Service de l’assurance maladie

SCARPA Service cantonal d’avance et recouvrement des pensions alimentaires SPAd Service de protection de l’adulte

SPC Service des prestations complémentaires SPMi Service de protection des mineur-e-s SRP Service de réinsertion professionnelle

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION   5  

1. REVUE DE LA LITTERATURE   9  

1.1LA MISE EN ŒUVRE DES POLITIQUES PUBLIQUES   10  

1.2LA NOUVELLE GESTION PUBLIQUE   15  

1.3CHALANDISATION, PRIVATISATION ET JUDICIARISATION DU SOCIAL   23  

1.4L’ACCES AUX DROITS SOCIAUX ET LE NON-RECOURS   29  

2. CONTEXTE   39  

2.1CADRE LEGAL   39  

2.2ÉVOLUTIONS EN MATIERE DAIDE SOCIALE   46  

3. METHODOLOGIE   51  

3.1TEMOIGNAGES DES USAGERS   52  

3.2ENTRETIENS AVEC LES PROFESSIONNELS   54  

3.3LIMITES ET PRECAUTIONS   56  

3.4PRESENTATION DES RESULTATS DE LANALYSE   57  

4. LES MISSIONS DES INSTITUTIONS DU SOCIAL   58  

4.1L’ACCES AUX DROITS SOCIAUX AU SPC   58  

4.2L’ACCES AUX DROITS SOCIAUX A L’HOSPICE GENERAL   63  

5. LA MISE EN ŒUVRE DES POLITIQUES SOCIALES DANS LES INSTITUTIONS   69  

5.1LES RESSOURCES   69  

5.2ORGANISATION DE LINSTITUTION ET NATURE DES PRESTATIONS   72  

5.3LE CONTROLE DES USAGERS   79  

6. L’IMPACT DE LA MISE EN ŒUVRE DES POLITIQUES SOCIALES   83  

6.1UN NON-RECOURS AUX DROITS SOCIAUX   83  

6.2REPORT DES MISSIONS DE L’HOSPICE SUR DES INSTITUTIONS TIERCES   87  

6.3UNE PERTE DE SENS DU TRAVAIL SOCIAL   93  

6.4LE VECU ET LE RESSENTI DES USAGERS A L’HOSPICE GENERAL ET AU SPC   95  

7. REPONSES AUX QUESTIONS DE RECHERCHE ET LIMITES   99  

8. DISCUSSION   101  

CONCLUSION   104  

BIBLIOGRAPHIE   111  

ANNEXES   115  

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Introduction

« Quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. » Ce sont par ces mots que la Constitution suisse garantit aux individus le droit à un niveau de vie décent. Dans sa Constitution, la République et canton de Genève le fait également en affirmant que : « l’État prend soin des personnes dans le besoin. Il encourage la prévoyance et l’entraide, combat les causes de la pauvreté et prévient les situations de détresse sociale ». La Confédération et le Canton de Genève jettent ainsi les fondements des institutions d’aide sociale. Il ne suffit cependant pas d’affirmer des principes afin qu’ils se matérialisent.

Afin de transcrire ces principes dans la réalité, le Canton de Genève s’est donc doté de diverses lois. Ce dispositif est notamment composé de la LIASI, la Loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle et de la LPCC, la loi sur les prestations complémentaires cantonales, qui instaure les prestations complémentaires familiales. Là encore, des lois bien ficelées ne garantissent pas que les institutions chargées de les appliquer soient en mesure de le faire. Ce travail a justement pour ambition de vérifier si le cadre légal en vigueur à Genève en matière d’aide sociale est bel et bien appliqué par les institutions qui en ont la charge. Nous verrons que cela dépend de multiples facteurs tels que le contexte socio-économique et politique, le mode d’organisation des institutions, les ressources qu’elles ont à leur disposition ou encore la manière dont leurs employés délivrent les prestations et transcrivent lois et règlements dans les faits.

Alors que de nombreux travaux de sciences sociales s’intéressent à l’analyse des lois telles qu’elles sont produites, le présent travail se penchera sur la mise en œuvre de ces dernières au travers d’institutions et à destination des usagers. L’analyse portera donc sur l’usager dans sa relation avec les agents sociaux des institutions étudiées. Les lois ne seront toutefois pas en reste, étant donné qu’un de nos objectifs est de mettre en rapport la réalité des prestations avec la volonté du législateur. Ce travail a donc pour ambition de vérifier si le cadre légal en vigueur à Genève en matière d’aide sociale est bel et bien appliqué par les institutions qui en ont la charge. Autrement dit, si la mise en œuvre de la LIASI et de la LPCC correspond aux objectifs que leur assigne la loi, en termes de buts et de missions notamment, ou pas. Nous tenterons ensuite d’expliquer les variations entre la mise en œuvre de la loi et les objectifs fixés par le législateur, si tant est qu’il en existe, et nous nous demanderons quels facteurs expliquent ces éventuels décalages. Enfin, nous nous demanderons quels sont les effets de ces décalages.

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Plus précisément, les trois questions de recherches que nous nous poserons dans ce travail sont les suivantes :

1.   Tout d’abord, il s’agira de savoir si les institutions chargées de transcrire les lois dans la réalité, de mettre en œuvre les missions fixées par le législateur, parviennent à le faire. Afin de vérifier cet aspect au niveau des institutions sociales sur lesquelles nous nous penchons dans ce travail, nous allons vérifier si l’accès aux droits sociaux affirmés dans les lois étudiées est garanti ou si, au contraire, des entraves le rendent compliqué voire impossible. Afin de répondre à cette première question, nous mobiliserons les théories relatives à l’accès aux droits sociaux.

2.   Si une partie des missions fixées par le législateur ne sont pas remplies par les institutions sociales étudiées, nous nous intéresserons, dans un second temps, aux principales raisons institutionnelles empêchant le plein accès aux droits sociaux. Dans le cas contraire, nous observerons les mécanismes qui rendent l’accès aux droits sociaux possible. A cette occasion, nous verrons que les parties théoriques concernant la mise en œuvre des lois par les agents sociaux, l’organisation des institutions et la pénalisation de la pauvreté représentent des outils intéressants afin de cerner certains phénomènes en œuvre dans le champ du social à différents niveaux, notamment ceux des usagers, des travailleurs sociaux, des institutions et des lois qui les régissent.

3.   Enfin, nous nous demanderons si la mise en œuvre, partielle ou complète, des diverses missions prévues par la loi a des conséquences sur le champ du social genevois, les usagers des institutions ainsi que le personnel de ces dernières. Il s’agira là de mettre en évidence les externalités, positives ou négatives, permises par la mise en œuvre des lois. Nous constaterons alors que les théories relatives au non-recours et à la privatisation du social nous permettent d’apporter une part de réponse à cette question.

Pour répondre à ces questions, nous privilégierons donc une approche bottom-up, étudiant les acteurs se situant au bas de l’échelle de la mise en œuvre des politiques publiques : les agents sociaux, qui se chargent de l’application matérielle des lois dans des institutions publiques et parapubliques, et les usagers, vers lesquels est orientée l’action publique. Ainsi, seront prises en compte les contraintes posées par les institutions et les organisations, mais également les logiques propres aux agents sociaux et aux arbitrages qu’ils effectuent en accomplissant leur tâche (Hassenteufel, 2008).

Ces stratégies individuelles seront ensuite examinées à la lumière des principales institutions qui les influencent, en l’occurrence l’Hospice général, institution parapublique chargée de la mise en œuvre des

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soit le contrat de prestations signé entre l’Etat et l’Hospice général. Nous pourrons ainsi questionner les décalages entre les objectifs politiques et leurs résultats et en expliquer les facteurs en se penchant sur les ressources à disposition, le modèle d’organisation et les idéologies politiques en place. Une attention sera également apportée aux instruments disponibles des agents sociaux dans la mise en œuvre des politiques publiques ainsi qu’à leur utilisation par ces derniers. Comme indiqué dans l’introduction, cette analyse ne se fera que marginalement sur la base d’une observation des agents sociaux et essentiellement au travers des témoignages des usagers au sujet de leur interaction avec les agents sociaux lors de cette mise en œuvre.

Le présent travail a été réalisé sur la base de témoignages récoltés lors de la réalisation d’un stage à l’OASI, l’Observatoire de l’aide sociale et de l’insertion, de février 2016 à novembre 2016, auprès d’usagers de l’Hospice général, institution chargée d’appliquer la LIASI, et du SPC, chargé d’appliquer la LPCC. Si notre travail se base sur le matériel récolté à l’occasion de ce stage, ses objectifs diffèrent de ceux du rapport d’observation de l’OASI. L’observatoire avait pour but de faire remonter ses observations jusqu’aux autorités, aux responsables des institutions et administrations, et aux citoyens, tant en ce qui concerne les situations problématiques provoquées par l’application de la loi et l’organisation des services qu’en ce qui concerne le vécu des personnes concernées, ainsi que de faire des propositions pour améliorer la situation.

Bien loin de ces objectifs, le présent rapport de stage constitue une étude exploratoire et non-exhaustive.

Malgré de nombreuses limites, en matière de ressources notamment, le rapport de l’OASI a été rédigé dans le souci d’un maximum d’objectivité et dans l’intention de restituer aussi fidèlement que possible la parole des personnes ayant témoigné ou ayant été interrogées dans le cadre de sa réalisation. Toutefois, les témoignages récoltés ne sont pas comparables à ce qui aurait pu être rassemblés en réalisant des entretiens plus académiques, en choisissant les personnes à interviewer parmi tous les bénéficiaires des prestations sociales, en s’appuyant sur un véritable échantillonnage… Néanmoins, ce sont à ces témoignages que nous avons eu accès et ils nous ont tout de même permis d'entrevoir un nombre non négligeable de problématiques pertinentes grâce auxquelles nous avons pu mener à bien cette analyse. Il va sans dire qu’il faudrait par la suite mener d’autres études afin de vérifier les conclusions qui seront tirées de ce travail.

Pour ce qui est du plan, nous commencerons par une revue de la littérature (chapitre 1) qui s’intéressera dans un premier temps à la pertinence d’étudier la mise en œuvre des politiques publiques ainsi que sur les phénomènes en œuvre à ce niveau. Nous nous intéresserons ensuite à la nouvelle gestion publique en tant que paradigme structurant l’organisation des institutions mettant en œuvre les lois ainsi qu’aux problématiques touchant à la pénalisation et à la privatisation du social. Enfin, nous finirons par une partie consacrée à la question de l’accès aux droits sociaux et au phénomène du non-recours. Après cette partie théorique, nous présenterons les lois étudiées ainsi que les principales prestations offertes par les institutions

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principales évolutions du social genevois et sur le phénomène du non-recours. Enfin, la principale partie de ce travail se penchera ensuite sur l’analyse des témoignages d’usagers et des entretiens menés auprès d’acteurs du social (chapitres 4, 5 et 6). Ces deux types de témoignages et d’entretiens ont été réalisés dans un cadre méthodologique qui leur est propre et qui sera présenté dans le chapitre précédent l’analyse, consacré à la méthodologie (chapitre 3). Alors qu’un chapitre cherchera à savoir si les institutions chargées de transcrire les lois dans la réalité parviennent à le faire, un deuxième chapitre s’intéressera aux principales raisons institutionnelles empêchant ou permettant un plein accès aux droits sociaux. Enfin, un dernier chapitre se demandera si la mise en œuvre, partielle ou complète, des diverses missions prévues par la loi a des conséquences sur le champ du social genevois, les usagers des institutions ainsi que le personnel de ces dernières.

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1. Revue de la littérature

Dans ce chapitre, nous vous proposons une revue de certains de ces articles scientifiques qui se révéleront être des outils fort utiles dans le cheminement de notre analyse. Après un chapitre qui se penchera sur la pertinence d’étudier l’application des politiques publiques ainsi que sur les phénomènes en œuvre à ce niveau, nous nous intéresserons à la nouvelle gestion publique en tant que paradigme structurant l’organisation des institutions mettant en pratique les lois. Enfin, nous finirons par une partie consacrée à la question de l’accès aux droits sociaux et au phénomène du non-recours.

Pour commencer, il est important d’avoir une claire idée du contexte dans lequel les lois s’appliquent. Les réformes des lois ainsi que les évolutions organisationnelles ayant eu lieu dans les institutions étudiées dans ce travail s’inscrivent dans des mutations des politiques publiques plus globales en matière d’aide sociale.

Elles ne sont de loin pas l’apanage du canton de Genève ou de la Confédération. Ces changements, notamment la montée en force d’un nouveau modèle de gestion des administrations publiques, ont amené à une redéfinition des objectifs et de l’organisation des institutions sociales. Depuis plusieurs décennies déjà, des politiques du même type ont été mises en place dans différentes régions du monde, les pays anglo-saxons en tête. Dès les années huitante, « le thème de la crise des Etats providence s’impose dans le débat public comme dans les travaux des auteurs en sciences politiques, économiques et sociales. Au-delà de l’interrogation sur les déficits des systèmes sociaux, la question de la légitimité et de l’efficacité de la gestion publique des problèmes sociaux se trouve alors posée. L’idée de crise de l’Etat providence fait écho à un discours de crise qui semble s’appliquer à tous les secteurs de vie économique, politique, sociale et qui signale la rupture avec la période antérieure de croissance économique et de progrès social (1945-1975), une période que plusieurs ont appelé, à la suite de Fourastié, les Trente Glorieuses » (Bresson, 2013, 1). Des réformes entreprises sous les gouvernements Thatcher, puis Blair, en Grande-Bretagne à celles de l’Agenda 2010 de Schröder en Allemagne, les filets de sécurité sociale de nombreux pays industrialisés ont connu de profondes mutations, autant en ce qui concerne les prestations délivrées que l’organisation des institutions qui les délivrent. Parallèlement, d’importantes évolutions ont transformé les marchés du travail, tels sa flexibilisation, sa dualisation ainsi que le renforcement du chômage structurel et l’avènement d’un précariat laborieux sont autant de problématiques symptomatiques du tournant néolibéral (Jobert, 1994) qui a eu lieu.

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1.1 La mise en œuvre des politiques publiques

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Voter une loi ne présage en rien de son application. Cette dernière dépend au moins autant de leur orientation politique que des acteurs qui les mettent en pratique. Les sciences sociales se sont pourtant pendant longtemps intéressées aux productions législatives en tant que telles, les comparant spatialement ou historiquement, et à l’analyse de leurs effets sur les phénomènes visés par les lois, considérant l’étape de la mise en œuvre de ces dernières comme une « boîte noire ». Ce travail s’intéressera précisément à ce qui est en jeu à l’intérieur de cette boîte noire, tentant de rendre compte des phénomènes en action entre l’institution et les résultats des politiques publiques, au niveau des processus, des acteurs et des représentations (Lascoumes et Le Galès, 2009). Ce ne sera pas la loi en elle-même qui sera interrogée mais la manière dont elle est appliquée et les causes et conséquences de cette application. Plutôt que de se livrer à une analyse de la loi telle qu’elle a été conçue par le législateur, nous nous focaliserons sur les interactions dynamiques prévalant entre individus et institutions dans sa mise en œuvre. Ce sous-chapitre sera l’occasion de comprendre l’intérêt d’utiliser dans ce travail une approche s’intéressant à la mise en pratique des politiques publiques.

1.1.1 La marge de manœuvre des agents sociaux

Dans son analyse des politiques publiques, Lipsky observe que les décalages entre les objectifs des lois, affirmation de la volonté politique de mettre en place un dispositif, public ou non, répondant à un phénomène identifié, et l’application des politiques publiques trouvent leur origine dans les conditions de mise en œuvre de ces dernières (Lipsky, 1980). Artisans de cette application, les agents sociaux (street level bureaucrats chez Lipsky) œuvrent au bas de l’échelle, là où la politique déploie matériellement ses résultats, dans une interaction directe avec les usagers des services. Par agents sociaux, nous entendons toutes les personnes employées par l’institution ayant un contact avec les usagers, qu’il s’agisse du personnel social ou du personnel administratif.Pour le politologue américain, ce sont ces agents sociaux qui, loin d’être de simples exécutants, font réellement les politiques publiques. Cette réalisation des politiques naît de l’arbitrage que les agents sociaux opèrent entre les injonctions contradictoires auxquelles ils sont soumis : les objectifs des lois et des règlements, le cadre organisationnel dans lequel ils évoluent, les ressources à disposition, les besoins des usagers… Dans leur travail quotidien, les agents sociaux, qui jouent un rôle de médiateur entre les citoyens et l’Etat, sont donc appelés à faire la pesée des différentes injonctions contradictoires afin de mettre en œuvre l’action publique. Cette pesée donne lieu à des décisions discrétionnaires en fonction de la marge de manœuvre laissée à disposition par le cadre de l’institution et les attentes des usagers. La part d’autonomie dont jouissent les agents sociaux n’est pas forcément remise en question dans la mesure où elle permet de leur faire endosser la responsabilité de l’arbitrage entre les contradictions décrites plus haut et, par                                                                                                                                        

 

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là même de gagner en productivité. L’absence de cette marge de manœuvre aurait pour effet le report des contradictions à un autre échelon et donc, potentiellement, la remise en cause des politiques publiques. La fonction régulatrice de cette marge de manœuvre est donc aisément compréhensible.

Cela n’exclut cependant pas que l’utilisation de cette marge de manœuvre entre en dissonance avec les objectifs visés par le législateur. Alors que les agents politiques sont redevables de résultats visibles et suivant certains objectifs annoncés, leurs attentes ne convergent pas forcément avec celles des agents sociaux, qui usent de leur marge de manœuvre dans leur intérêt en tant que travailleurs sociaux, ou de celui des usagers, qui ont leurs attentes vis-à-vis des institutions et tentent de se retrouver dans les dédales du social (Lin, 2000).

Ainsi, cette marge de manœuvre peut entraîner une application des politiques publiques plus ou moins fidèle à la volonté du législateur. Cela explique les volontés de contrôler cette marge de manœuvre des agents sociaux dans les aspects où elle s’oppose parfois aux objectifs politiques, à travers la mise en place d’outils managériaux plus restrictifs et d’instruments de contrôle contraignants. Ces contraintes sont de divers types.

Elles vont de la limitation des moyens alloués à la mise en œuvre de prestations à des exigences en matière de résultats auxquels sont soumis les agents sociaux. Ces contraintes visant à limiter la marge de manœuvre dans les domaines où elle nuit aux objectifs politiques sont également imposées via les nouvelles technologies sur lesquelles s’appuient les agents sociaux dans leur travail quotidien. Les nouvelles technologies utilisées par les agents sociaux dans leur travail quotidien sont également un outil pour restreindre la marge de manœuvre. Ces velléités de contrôle occasionnent des résistances du côté des agents sociaux et les mettent face à certains dilemmes (Lipsky, 1980).

1.1.2 Les arbitrages des agents sociaux

Les dilemmes auxquels doivent faire face les agents sociaux sont multiples (Lipsky, 1980). Face à la limitation des moyens dans la mise en œuvre des politiques, il leur faut choisir entre apporter la réponse adéquate à la problématique de l’usager et respecter les objectifs fixés par l’organisation. La contrainte du temps à disposition pour chaque bénéficiaire se révèle prépondérante vis-à-vis d’autres objectifs plus déclamatoires à l’instar de celui d’une prise en charge empathique et individualisée à la situation particulière de chacun. Ainsi, la marge de manœuvre des agents sociaux se réduit à choisir entre un traitement uniforme aux bénéficiaires, tout en ne parvenant pas à répondre aux divers besoins de ces derniers de manière adéquate, ou une prise en charge personnalisée, qu’il n’est pas possible d’appliquer à l’ensemble des usagers. Ceci amène l’agent social à définir des priorités entre les demandes des différents usagers. Ce dernier élément pose évidemment la question de la manière de définir les priorités entre les problématiques des usagers. Il met également en évidence l’inconfort dans lequel de telles situations peuvent plonger les agents sociaux, tiraillés entre normes et demande d’efficience de l’institution et besoins des usagers.

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Autre dilemme, celui imposé au travers de l’exigence de résultats et l’imposition par l’institution d’objectifs à remplir aux agents sociaux. Là encore, des priorités doivent être fixées par les agents sociaux dans leur interaction avec les usagers afin de leur permettre d’atteindre les objectifs fixés en présence des différentes contraintes à l’œuvre. Les agents auront dès lors la tentation de venir en aide à ceux pour qui l’effort le plus faible déploiera l’effet le plus positif, soit, bien souvent, les usagers qui se portent le mieux, au détriment de ceux dont la situation exigerait un investissement plus important de la part de l’agent social. Nous nous retrouvons là l’arbitrage entre l’offre d’un traitement impersonnel ou particulariste vis-à-vis de l’usager. Dans un contexte où les usagers sont captifs, dans la mesure où ils ne choisissent ni leur interlocuteur ni le service social auquel ils s’adressent, les agents sociaux jouent un rôle de régulation et de contrôle social, de par le comportement qu’ils attendent de la part des usagers et à travers la marge de manœuvre dont ils usent dans le traitement de leur cas. Enfin, parvenir à des résultats satisfaisants est relatif. Lorsqu’on parle de travail social, il est évidemment très compliqué, voire impossible, de quantifier de manière standardisée les résultats obtenus par les différents agents sociaux. Cela n’empêche cependant pas les institutions d’y avoir recours.

1.1.3 Une manière de gérer les ressources

Dans la théorie de Lipsky (1980), les agents sociaux font preuve de flexibilité afin de faire le lien entre impératifs institutionnels et réponse aux besoins des usagers. Ce faisant, ils recréent au quotidien, collectivement et souvent inconsciemment, les politiques publiques, développant des pratiques routinières ou de simplification. Lascoumes et Le Galès qualifient ces pratiques de règles secondaires, traduction concrète de normes abstraites en prenant en compte les contraintes inhérentes à leur situation, permettant d’ordonner localement la transcription dans la réalité des prestations. Ainsi, ces règles structurent l’interaction avec les usagers ainsi qu’avec les autres agents sociaux. Une nouvelle norme naît, permettant aux agents sociaux de gérer au mieux l’inconfort auquel ils font face, dû à l’arbitrage des dilemmes. Ces règles routinières visent notamment à limiter la demande de services, à maximiser l’usage des ressources ainsi qu’à s’assurer de la bonne collaboration des usagers et s’ajustent en fonction du niveau de la demande.

Concernant la limitation de la demande, il faut prendre en compte le fait que l’institution elle-même

« développe des pratiques permettant de réduire la demande de services, telles que rendre les procédures d’accès complexes et longues en augmentant le nombre de documents à fournir ou en réduisant le nombre d’employés préposés à l’accueil » (Moachon, 2015, 28). Cela n’empêche cependant pas les agents sociaux d’ajouter d’autres barrières à l’accès au droit.

L’objectif de ce rationnement est la gestion des ressources des agents sociaux, qui se caractérise plus par le temps à disposition dans ce travail que par la gestion d’une enveloppe budgétaire. Outre la réponse aux

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dilemmes à travers le rationnement et la mise en place d’autres règles secondaires, les agents sociaux répondent parfois aux dilemmes par le retrait. Retrait définitif en cas de renonciation au poste de travail ou retrait temporel en cas d’absence au travail. Autre réponse aux dilemmes encore, la modification de leur représentation de l’usager, qui peut passer de la personne à aider, dans la conception altruiste souvent rattachée à la réalisation d’un travail social, à une personne qui porte, en partie ou totalement, la responsabilité de sa situation. Toutes ces stratégies répondent à un objectif pour les agents sociaux : rationaliser les ambiguïtés et les contradictions qui caractérisent leurs objectifs en acceptant les limites de leur action au vu du manque de ressources à disposition (Lipsky, 1980).

1.1.4 L’analyse de Lipsky actualisée par Brodkin

Près de vingt ans après le travail de Lipsky, Brodkin (1997) actualise les études de son prédécesseur en mettant en évidence le manque chronique de ressources. Entre les années huitante et les années 2000, la doctrine de la nouvelle gestion publique s’est étendue avec pour effet notable de limiter les ressources des agents publics, nous le verrons dans la partie suivante. L’auteure revient notamment sur le dilemme des traitements particularistes ou standardisés réservés aux usagers par les agents sociaux. Elle affirme que les pratiques recourant à la marge de manœuvre des agents sociaux s’avèrent parfois contraire aux objectifs mêmes des programmes. De plus, Brodkin a observé la tension existant entre la nouvelle gestion publique et l’application des lois. Dans son article, elle décrit les stratégies mises en place par les institutions et les travailleurs sociaux chargés d’appliquer les lois dans un contexte de surcharge de travail lié à un manque de ressources. Au bout de la logique décrite par Brodkin, les agents sociaux sont parfois amenés à distinguer, face au nombre trop important de dossiers qui leur incombe et à la pression induite par les indicateurs de performance auxquels ils sont soumis, l’usager qui a des chances de s’en sortir, de retrouver une activité, et qui mérite donc un suivi, de celui dont l’âge ou la faible « employabilité » ne laisse espérer aucun retour à l’emploi. Cela signifie, en pratique, que la loi n’est pas appliquée de la même manière pour tous les usagers.

Dans le cas où l’agent social ne met pas de stratégie en place, il ne pourra qu’offrir un minimum à chaque usager sans arriver à en aider réellement aucun, ou croulera littéralement sous le travail s’il tente d’appliquer correctement la loi pour chacun. Brodkin (2011) va distinguer quatre types de stratégies adaptatives mises en place par les agents sociaux. Premièrement, elle identifie une gestion de l’accès aux prestations du fait du manque chronique de ressources, qui se traduit par le refus de tout dossier incomplet ou de toute aide de courte durée par exemple. Ensuite, elle observe une simplification, ou un réductionnisme, dans la prise en charge des demandes des usagers à travers une redéfinition de leurs besoins en fonction de catégories préétablies permettant un traitement plus efficace et rapide de ces dernières. Par ailleurs, la ritualisation de la prise en charge, qui consiste à offrir des activités plus occupationnelles qu’utiles au vu des besoins des usagers, est une nouvelle fois soulignée. Enfin, Brodkin met en évidence une délégitimation des attentes, qui

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permet aux agents sociaux de ne pas se retrouver dans une situation inconfortable ils ne peuvent pas apporter une réponse adéquate aux demandes formulées par les usagers par manque de ressources.

De Lipsky à Brodkin, un nouveau système de gestion a progressivement recouvert le domaine du social dans les pays industrialisés, comme nous le verrons dans le prochain sous-chapitre. Nous allons cependant ici faire le lien entre le discours sur la mise en œuvre des lois par les agents sociaux et ce nouveau modèle de gestion du social. La montée en puissance de ce modèle provoque le renforcement de certains dilemmes auxquels sont confrontés les agents sociaux alors que ses défenseurs affirment que la nouvelle gestion publique permet d’individualiser le suivi des usagers, tout en promettant paradoxalement une baisse des coûts du système social, donc une baisse des ressources. De plus, le nouveau paradigme sera également accompagné d’une multitude de nouveaux outils gestionnaires, qui représenteront autant de nouvelles tâches qui viendront s’ajouter à la mission conférée par la loi aux institutions (Jeannot, 2008).

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1.2 La nouvelle gestion publique

2

L’Etat providence et la portée universaliste de ses politiques sociales ont été profondément remis en question durant ces dernières décennies, parallèlement à la montée en puissance de la nouvelle gestion publique. La concomitance de ces deux phénomènes est à replacer dans une époque de conquêtes du néolibéralisme qui surviennent dès la fin des années septante. Cette mutation a lieu dans un contexte d’apparition d’un chômage structurel dans des sociétés qui avaient connu le plein emploi durant plusieurs décennies suite aux crises économiques des années septante, qui marquent l’épuisement du cycle économique des trente glorieuses et génèrent une explosion des dépenses publiques en matière de chômage et de social notamment. À ceci s’ajoute la déliquescence du régime communiste à l’est, qui ne représente plus un contrepoids politique crédible pour l’Occident dans les années huitante. Ce contexte de fin de l’Etat providence fait le nid d’une « révolution conservatrice », en phase avec une mondialisation des échanges commerciaux et financiers (Hufty, 1998, 11 et Urio, 1998, 99) qui, bien plus largement que l’action publique, redéfinit profondément les sociétés dans lesquelles nous vivons aujourd’hui, en matière de protection de l’emploi notamment. Plus globalement, ce changement de paradigme consacre un changement de rapport de force entre capital et travail (retour à

« l’équilibre » séculaire préexistant) ainsi qu’entre l’économique et le politique.

Mode d’organisation de l’action publique, la nouvelle gestion publique, traduction de l’anglais New public management, représente « un ensemble de principes et d’outils de management qui visent à redéfinir l’action publique en la rendant moins bureaucratique, plus dynamique, plus flexible et plus proche des usagers. » (Moachon, 2016, 43). Nous observerons dans ce sous-chapitre la montée en puissance de ce nouveau modèle de gestion des institutions publiques, ainsi que sa signification et ses effets pour les institutions et les professions du domaine social.

1.2.1 Les principes de la nouvelle gestion publique

La doctrine économique parvient à remettre en question les contenus universalistes des politiques de l’Etat providence en prônant un rétrécissement du champ d’action de l’Etat et soumettant ses institutions aux règles du marché. Elle s’attaque à la bureaucratie en tant que mode d’organisation permettant la mise en œuvre des politiques publiques, avec la volonté d’y introduire les mécanismes du marché au travers de la nouvelle gestion publique. Cette dernière propose de faire mieux que la bureaucratie, inefficace et coûteuse, avec moins de ressources. Pour y parvenir, elle entend appliquer les mêmes principes de gestion à l’Etat que dans le privé et y obtenir les mêmes résultats en matière d’accroissement de la productivité. La critique de la bureaucratie par la nouvelle gestion publique s’attaque autant au concept commun de bureaucratie qu’au                                                                                                                                        

 

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statut des fonctionnaires. La bureaucratie y est perçue comme un mode d’organisation rigide, impersonnel, improductif et peu efficace, où des procédures lourdes et immuables rythment les journées de travail de fonctionnaires manquant d’ardeur dans la réalisation de leur tâche alors même qu’ils jouissent d’un statut surprotégé (Moachon, 2016, 43). Cette critique s’adresse également au modèle bureaucratique tel que décrit par le sociologue Max Weber à la fin du XIXe siècle.

Les administrations publiques vont progressivement se convertir au modèle de la nouvelle gestion publique tandis que l’Etat providence se voit toujours plus critiqué dès les années septante, sur fond d’augmentation des dépenses sociales suite aux crises économiques et à l’apparition d’un chômage structurel. Ce mouvement prend sa source dans les pays anglo-saxons, dès les années huitante, et se propage progressivement aux administrations publiques de la plupart des pays industrialisés. Comme nous l’avons déjà évoqué, la nouvelle gestion publique a pour objectif de faire entrer le privé dans le public, transposant aux administrations étatiques les principes et outils de gestion du privé, les soumettant à la logique de la performance (Moachon, 2016, 48). A cette occasion, les vertus des modes d’organisations du privé sont largement idéalisées. En affirmant qu’il n’existe pas de différence entre public et privé, qu’il n’est point de domaines que l’on doive soustraire au marché afin de protéger les citoyens, en plaçant les résultats avant le respect de la légalité des processus et en jugeant nuisible le statut de fonctionnaire, le changement de paradigme représente un renversement complet des principes d’action des service publics (Merrien, 1999). Du modèle wéberien de la bureaucratie, dont le double contrôle hiérarchique et judiciaire était garant, on passe à un modèle contractuel de marché (Moachon, 2016, 48). Cependant, l’objectif d’en finir avec la bureaucratie tant décriée par les tenants de la nouvelle gestion publique ne va pas être atteint. Au contraire, la mise en place de ce mode d’organisation va générer de nouvelles règles formelles et informelles, des instruments de contrôle et d’évaluation, qui vont renouveler, voir même renforcer la bureaucratie (Giauque, 2010, 65).

Dans sa thèse, Moachon (2016, 48) résume en six points les principes de base de la nouvelle gestion publique en se basant sur diverses sources théoriques (Emry et Giauque, 2003 ; Ferlie et al., 1996 ; Lane, 1997 et Pollitt, 2001). Premièrement, « dans la nouvelle gestion publique, l’activité des agents et des organisations doit être orientée en fonction des résultats à atteindre plutôt que des ressources investies (inputs) ».

Deuxièmement, « la mesure de la performance et de la qualité par le biais d’indicateurs découle de cet accent sur les résultats. » Ces indicateurs sont basés sur les prestations (outputs) et s’intéressent avant tout à la qualité de l’organisation. Troisièmement, « la nouvelle gestion publique préconise l’allègement et l’autonomisation des structures en prônant une organisation en agences exécutives disposant de leur propre budget et poursuivant des objectifs spécifiques pour l’atteinte desquels elles bénéficient d’une certaine marge de manœuvre quant à l’utilisation des moyens. » Quatrièmement, « la nouvelle gestion publique consacre la

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« à des mécanismes de marché » comprenant une ou certaines des caractéristiques suivantes : « concurrence, utilisation des prix, dispersion des décideurs » et « emploi d’incitations financières ». Cinquièmement, « la négation de la différence entre secteur privé et secteur public se concrétise dans le développement de partenariats public/privé et la création d’organisations hybrides ». Enfin, sixièmement, « la nouvelle gestion publique promeut l’efficacité et encourage l’individualisme, le plus souvent aux dépens de valeurs telles que l’équité, la sécurité et l’universalisme. »

Les principes énoncés ci-dessus répondent à divers objectifs tels que « la modernisation des moyens de productions », au travers de « l’accroissement de l’adaptabilité et de la réactivité des services administratifs », la réalisation d’économies par le biais de l’augmentation de la productivité, et, finalement, l’amélioration de « la qualité des prestations délivrées au public » (Moachon, 2016, 49). Pour ce faire, la nouvelle gestion publique s’appuie sur les nouvelles technologies afin de contrôler, d’évaluer, de piloter et d’améliorer les prestations, notamment au travers d’indicateurs de rendement qui se penchent par exemple sur le nombre d’entretiens avec des usagers ou volume des prestations octroyées (Bloomfield et Danieli, 1995).

A l’occasion de l’introduction de la nouvelle gestion publique, une contractualisation des relations entre organismes offrant des services sociaux et Etat va s’installer, matérialisée notamment au travers de l’introduction de contrats de prestations quadriennaux entre le canton de Genève et l’Hospice général. Il en va de même de certaines tâches, jusqu’alors assumées par les institutions, et qui seront sous-traitées à des acteurs privés ou publics, comme nous le verrons en ce qui concerne le stage d’évaluation offert par l’Hospice général. La charte institutionnelle de l’Hospice général offre une bonne idée de ce qui est entendu par extension des règles du marché au domaine de l’aide sociale : l’Hospice Général « est une institution dynamique où les notions de gestion, de management, de procédures, de plans directeur, de projet institutionnel ou de mandat de prestations font partie du quotidien des collaborateurs, même si demeure le même souci d’être toujours au service des plus démunis ».

Alors que la nouvelle gestion publique avait pour ambition, entre autres, d’individualiser les politiques sociales afin de mieux répondre aux besoins des « clients », il semble que sa mise en place coïncide avec un retour du contrôle social dans le travail social, pourtant passablement critiqué et délégitimé dans les années soixante et au début des années septante (Aballéa, 2013, 11). Ce retour d’une certaine forme de contrôle social s’explique par la prégnance du discours néolibéral insistant sur la responsabilité individuelle ; par le développement d’un discours sécuritaire au travers de représentations des personnes en difficulté comme de personnes présentant « un risque pour la société et pour elles-mêmes » ; par une « psychologisation, voire

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» ; par la légitimation d’un discours défendant l’idée de « qui paie décide » ; et, enfin, par le recul des logiques professionnelles au profit de logiques institutionnelles parallèlement à la mise en place de la nouvelle gestion publique (Aballéa, 2013, 24-25-26).

Le passage à la nouvelle gestion publique est une manifestation des conquêtes néolibérales dans le domaine public. Les principes portés par cette doctrine de l’organisation des administrations trouvent leurs racines dans des théories loin d’être nouvelles. Ces fondements théoriques sont issus des théories économiques néoclassiques, microéconomiques et industrielles, notamment tayloristes. La doctrine s’inspire par ailleurs également largement de l’idéologie managérialiste, postulant que « principes génériques de gestion (priorité à la recherche d’économies, contrôles financiers serrés, généralisation des audits et évaluation de la performance) peuvent être appliqués dans tous les contextes » (Enteman, 1993, cité par Moachon, 2016, 51).

Se matérialisant au travers de préceptes de l’économie de marché, des critiques similaires que celles adressées à ces théories peuvent être formulées à son encontre. La critique de la pertinence de ces fondements théoriques ne constitue toutefois pas l’objet de notre travail.

1.2.2 Différents modèles et différentes contradictions

La nouvelle gestion publique n’est pas un dogme monolithique, appliqué partout de la même manière. En s’imposant progressivement comme principal mode d’organisation de l’action publique, elle a dû en partie s’adapter à certaines formes d’organisations préexistantes ainsi qu’aux optiques politiques visées par les Etats l’ayant mise en place. Dans ce sous-chapitre, nous allons brièvement nous intéresser aux différents modèles de cette doctrine et à certaines de leurs contradictions, tout en étant conscients que ces modèles sont « idéal- typiques » et que leur mise en œuvre dans la réalité se révèle toujours plus hybride qu’en théorie.

Mönks (1998, 82), distingue quatre modèles. Le premier, celui de l’efficience, que l’auteur considère comme dominant à la fin des années septante, met « l’accent sur un secteur public inspiré du secteur privé, guidé (…) par les valeurs liées d’économie, d’efficience et, à un moindre degré, d’efficacité ». Le deuxième, celui de la flexibilité organisationnelle, est caractérisé par « l’assouplissement des organisations verticalement intégrées et le passage d’un management hiérarchique à un management par contrat ». Le troisième et le quatrième, parfois rassemblés sous un seul modèle chez d’autres auteurs, sont le modèle qualitatif qui recherche « la qualité du service public et son orientation en fonction du client », et le modèle participatif, qui met l’accent sur « la dévolution de pouvoir aux communautés et la participation des citoyens à la définition et la fourniture des services publics ». Ces différents modèles s’accompagnent de principes, de concepts et d’outils répertoriés dans le tableau ci-dessous. Alors que les trois premiers principes se rattachent au modèle de la flexibilité organisationnelle, les trois suivants concernent le modèle de l’efficience et,

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Tableau 1, Principes, concepts et outils de la nouvelle gestion publique Source : La pensée comptable, Mönks, 1998, 83

Nous allons à présent nous pencher sur les contradictions (Moachon, 2015, 54-66) inhérentes à chacun des modèles. A cette occasion, nous regrouperons les deux derniers modèles, le qualitatif et le participatif. La principale contradiction du modèle de l’efficience réside dans le fait que l’application des règles du privé au public est problématique du fait de la nature du service public, qui n’est pas vraiment un marché. En effet, il est contradictoire d’appeler à l’application des règles du marché à un secteur où les conditions ne sont pas réunies pour permettre à un marché de fonctionner de manière efficiente selon les théories économiques.

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sur la base du rapport qualité prix des prestations qu’ils offrent » et les « clients sont insuffisamment informés pour effectuer un choix réel » (Moachon, 2015, 57), ce qui limite grandement l’efficience du marché. D’autre part, il faut souligner que la nature même des prestations publiques, dont l’objectif est de corriger des problématiques en partie générées de près ou de loin par le marché, est peu compatible avec des valeurs d’efficience de marché, éloignées des principes d’équité notamment.

Concernant le modèle de la flexibilité, qui suit le principe de la décentralisation en matière de prise de décisions, il faut souligner la contradiction entre la volonté affichée de décentraliser le pouvoir et d’offrir une plus grande autonomie opérationnelle aux agents sociaux et la réalité, qui montre que la décentralisation s’accompagne d’un renforcement des objectifs et du contrôle opéré par le politique, qui peuvent aboutir à offrir moins de liberté aux agents que sous le régime bureaucratique. Ces derniers peuvent alors se retrouver face à « une double obligation de moyens et de résultats, étant donné que leurs ressources sont toujours aussi rigidement définies, alors que de nouvelles cibles leurs sont fixées » (Moachon, 2015, 58-59). Globalement, une importante tension existe entre les agents sociaux et le modèle de la flexibilité de la nouvelle gestion publique. En matière de motivation des agents sociaux notamment, alors que la nouvelle gestion publique entend jouer un rôle positif sur cette dernière, on peine à comprendre comment cela peut être possible en flexibilisant les conditions de travail, en attaquant le statut rattaché à la fonction, et restructurant le service public (Pollitt et Bouckaert, 2000). De plus, les normes managériales remettent en cause les normes professionnelles des agents et entraînent « déqualification, disciplinarisation et restriction du travail social » (Baines, 2004). « La taylorisation du travail entraînée par la nécessité de rationaliser l’activité et de mesurer les prestations et leur impact entraîne un déclin de la qualité de l’environnement de travail en plus d’une résistance considérable de la part des agents. » (Maeder, 2007 cité par Moachon 2015, 62) Au final, les agents sociaux ont souvent l’impression de se retrouver dans « le pire des deux mondes » (Peters et Savoie, 2001), avec le pire du privé et le pire de la bureaucratie.

Enfin, au sujet du modèle de la qualité, il faut tout d’abord souligner la contradiction entre une baisse des coûts et une augmentation de la qualité. L’objectif de limiter les dépenses de l’Etat étant souvent à l’origine d’un renforcement des préceptes de la nouvelle gestion publique, on peine à comprend comment la mutation pourrait être génératrice d’une qualité plus importante tout en coûtant moins, à moins de réduire les prestations aux usagers ou les salaires des agents sociaux dans un même temps. Par ailleurs, on peut également observer une contradiction entre l’idée d’augmenter la qualité de services qui s’adressent à des citoyens devant être traités selon des principes d’équité et celle de ne plus considérer les individus comme des usagers d’un service mais comme des clients à satisfaire (Rouillard , 2004). Pour ce qui est du modèle de la participation, il apparaît que l’association des usagers à l’élaboration de prestations dont ils sont eux-

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1.2.3 Travail social et nouvelle gestion publique

Au niveau du social, la nouvelle gestion publique a modifié les structures dans lesquelles les agents accomplissaient leur tâche et, en partie, altéré la nature de leur travail, au travers de l’introduction progressive de mécanismes de marché dans les politiques sociales. Cette mutation s’observe jusque dans la nouvelle terminologie adoptée. Cette dernière redéfinit le sujet des politiques sociales, qui passe d’usager, de citoyen, à client (Urio, 1998, 98), ainsi que leurs objets, les prestations, qui deviennent des services. Cette transformation terminologique n’est pas sans conséquence sur la manière de considérer les personnes ayant recours aux services et celles les délivrant. Ainsi, alors que l’usager renvoie à une conception politique des individus comme des citoyens, qui sont égaux entre eux, ces derniers ont le droit à des prestations universelles en vertu de ce statut et sont donc traités équitablement par des agents sociaux. De son côté, la notion de client renvoie elle à l’acquisition de biens et services, en fonction des besoins et du pouvoir d’achat de chaque individu, fortement inégal, offerts par des agents sociaux vendant des services (Urio, 1998, 99). Cette mutation s’attaque donc, toujours selon Urio, au principe de citoyenneté et serait symptomatique d’une sphère économique, celle des droits individuels, qui prend toujours plus le pas sur la sphère politique, celle des droits démocratiques.

Pour les agents sociaux, cette situation reflète l’adoption d’un des principes du néolibéralisme, la flexibilité, qui s’attaque à leurs conditions de travail, leur statut, comme nous l’avons vu plus haut, mais également à la définition même de leur profession et de leurs activités quotidiennes. Cette remise en cause du statut est également renforcée par des changements sur les pratiques professionnelles. La possibilité même d’appliquer les modèles de la nouvelle gestion publique dans les services publics se pose. S’interrogeant sur la « mutation des pratiques et référentiels » du travail social, Maryse Bresson (2013) observe que les outils de la nouvelle gestion publique (performance, contractualisation) génèrent chez les agents sociaux un « sentiment de subordination, de non reconnaissance, voire d’arbitraire ». Elle attribue un rôle important aux formations, aujourd’hui dans une logique de « concurrence », mais qui pourraient permettre de repenser le travail social en s’appuyant notamment sur les « valeurs historiques » de la profession.

Dans un numéro de Les politiques sociales de 2010, Margarita Sanchez-Mazas et Françoise Tschopp abordent

« les changements structurels qui bousculent les pratiques sociales » (Sanchez-Mazas et Tschopp, 2010) et soulignent plusieurs axes où ils sont perceptibles. Elles commencent par pointer une rationalisation affectant l’exercice des professions du social à travers une attention qui se porte toujours plus sur l’efficience et conduit à un morcellement de la fonction, au détriment des besoins des usagers. La rationalisation amène également une redéfinition du travail avec l’humain, qui comporte une part de don, à un travail dont la valeur des tâches

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et à un découpage de l’intervention sociale », et s’interrogent sur le rôle des formations dans cette optique.

Par ailleurs, les réformes liées à la nouvelle gestion publique et imposant le style entrepreneurial et gestionnaire vont rimer, pour les agents sociaux, avec des activités qui vont « croître en volume mais régresser en autonomie et en qualification » (Chauvière et al., 2008, 73).

Ces différents constats ne vont pas sans une remise en question du sens de l’action sociale pour les travailleurs du social. Certains auteurs estiment que la « perte de repères » dont souffrent les agents sociaux serait due au fossé existant entre réalité du terrain et injonctions de la nouvelle gestion publique (Giauque, 2010, 65).

Plus globalement, le social soumis aux règles du marché implique un travail social qui se soumet lui aussi aux lois du marché. Ce faisant, les grilles de lecture du travail en miette, du travail taylorisé, du travail parcellisé, décrits depuis deux siècles par de nombreux économistes, historiens et sociologues, peuvent être utilisées à titre comparatif afin de poser la question du sens du travail à la lumière de la spécialisation des tâches notamment. Cependant, le poids du managérialisme dans la fonction publique n’est pas aussi fort que dans le privé. Il semble que le travail social n’ait pas totalement cédé aux règles du marché mais y résiste, comme le montre Maryse Bresson (2013) dans un article consacré aux mutations de l’emploi et des professions du travail social. Dans un même ordre d’idées, il apparaît que si mutation des statuts de la fonction publique il y a, notamment au travers de l’introduction de techniques managériales comme les entretiens d’évaluation ou encore les parts salariales variables, l’Etat se montre plus « éthique » dans sa politique de gestion des ressources humaines. Cela s’explique en partie par le fait que « les agents de la fonction publique obéissent à un droit du travail qui limite fortement la portée des mécanismes managériaux. Garantissant l’égalité de traitement des fonctionnaires pour garantir l’égalité de traitement des usagers, le statut général des fonctionnaires obéit à des régulations collectives peu adaptées aux logiques managériales dont la vocation première est précisément l’individualisation des conditions de travail et de rémunération du salarié, dans un dialogue interindividuel entre le salarié et l’employeur, qui n’est pas possible, en l’état du droit, au sein de la fonction publique » (Alber, 2013, 22).

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1.3 Chalandisation, privatisation et judiciarisation du social

La nouvelle gestion publique ne recouvre pas l’ensemble des phénomènes en œuvre dans le champ de l’action sociale, ni même dans celui de l’organisation du social. Comme nous l’avons vu plus haut, cette doctrine de l’organisation du public s’inscrit dans un phénomène plus vaste de montée en puissance du néolibéralisme et, ce faisant, de la place que le marché occupe dans nos vies. Bien qu’interconnectés, différents phénomènes sont en cours dans le champ du social sans que l’on puisse les appréhender en tant qu’effets directs de la mise en œuvre de la nouvelle gestion publique. Nous dédierons donc ce sous-chapitre à différents effets dérivés ou ayant cours parallèlement à la nouvelle gestion publique. Avant cela, nous nous arrêterons sur une théorie qui tente de faire une synthèse des différents phénomènes survenant actuellement dans le champ du social, celle de la « chalandisation ».

1.3.1 La chalandisation du social

Souvent analysée en tant que mode d’organisation de l’action publique, on s’attarde volontiers sur telles ou telles caractéristiques qui définissent la nouvelle gestion publique sans l’inscrire dans une réflexion plus globale. Dans un essai de 2007, Michel Chauvière, directeur de recherche au CNRS, tente d’appréhender différents phénomènes qui traversent le social dans un « essai sur une discrète chalandisation » (Chauvière, 2007). L’auteur part de constats sur la situation politique, économique et sociale prévalant actuellement dans les pays industrialisés et met en évidence la prépondérance de l’idéologie du management, de l’hypergestion et de l’exigence de résultats toujours plus présentes dans le travail social. Il interroge ces phénomènes dynamiques, souvent présentés comme un progrès, une modernisation, une rationalisation, dans leur objectif d’englober les organisations publiques dans les logiques du marché privé, « comme s’il s’agissait d’un simple marché public des services » (Chauvière, 2009, 128). Le concept de Chauvière, la chalandisation, désigne un processus général et a pour ambition d’intégrer les différents changements susmentionnés en tentant « d’en comprendre la cohérence d’ensemble ainsi que l’impact sur la substance même de l’action sociale. La chalandisation prépare la possibilité de la marchandisation du social, mais n’est pas la marchandisation réalisée. Elle promeut, par exemple, le passage d’une privatisation associative adossée à l’Etat et partageant ses valeurs d’action publique (privatisation de type 1) à une privatisation lucrative dans les segments les plus solvables et à une gestion quasi marchande pour tout le reste (privatisation de type 2. Par ailleurs, elle réduit l’idéal historique des professions à la gestion des compétences individuelles de leurs membres. » (Chauvière, 2009, 128).

L’action sociale s’est vue « modernisée » durant les dernières décennies. Chauvière (2009) indique que cette modernisation s’est matérialisée au travers de diverses mutations qu’il lie à des mutations de la législation française ainsi que de l’organisation des institutions sociales. Il souligne notamment la progression du

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contractualisme et d’une culture concurrentielle, une généralisation du négoce du social, un renforcement du contrôle administratif, une obligation légale d’évaluation et de résultats à tous les niveaux, entre autres phénomènes. Les conséquences de cette modernisation sont visibles dans une certaine baisse de la professionnalisation du social et une augmentation de la pression sur les travailleurs sociaux, la masse salariale étant utilisée comme une des principales variables d’ajustement. Parallèlement, une forme de « fatalité de l’exclusion et du malheur » (Chauvière, 2009, 129) monte en puissance et naturalise l’existence de classes sociales précaires. La modernisation du social marque également l’introduction d’une logique d’entreprise dans le champ du social. D’institutions du social basées sur le droit public et le principe du service public, où la finalité de l’action occupait une place importante, on va passer à des organisations, dès la fin des années septante, qui se limitent à produire des prestations (Chauvière, 2009, 131). Ce faisant, l’aide sociale a progressivement été perçue comme un système de services quasi marchands et devant être gérés comme tels. Le rationalisme et le productivisme ont transformé les institutions du social en des organisations soumises à l’« hypergestion », « réductrice de l’autonomie relative nécessaire des pratiques sociales, professionnelles associatives ou simplement militantes. » Cet esprit néomanagérial marque ainsi le passage des compétences sociales au marché et ce faisant, les professionnels du social se transforment en simples ressources humaines (Chauvière, 2009, 133) dont l’objectif premier n’est plus de répondre aux besoins des usagers mais d’utiliser raisonnablement et de manière mesurée et justifiée les sommes allouées.

Dès lors, les systèmes d’assistance sociale ne sont plus capables d’apporter les réponses adéquates aux besoins des usagers ni de faire sens aux yeux des personnes chargées de mettre en place les dispositifs.

1.3.2 La privatisation du social et le retour de la philanthropie

Nous l’avons vu à plusieurs reprises ci-dessus, l’action sociale, au vu du nouveau mode de gestion de son organisation et du discours politique et économique dominant, a été soumise à des injonctions visant à l’ouverture marchande et à la privatisation de divers pans qui la composent. Dès la fin des années septante, l’explosion du coût du social et la montée en puissance du néolibéralisme vont imposer diverses mutations au champ du social. Derrière la question de la privatisation du social se pose celle des ressources à disposition pour sa mise en œuvre. Alors que les trente glorieuses avaient vu de nombreux droits sociaux universels affirmés dans les pays industrialisés, dans une société qui ne souffrait que marginalement de la problématique du chômage, l’explosion du chômage consécutif aux deux crises pétrolières des années septante aura pour conséquence une importante augmentation des coûts des systèmes sociaux qui vont représenter un défi pour les Etats. Cette augmentation des coûts du système est donc due à une augmentation du chômage structurel qui va contribuer à transformer la société du salariat d’après-guerre décrite par Castel (2003) en une société du précariat, dès les années septante, décrite par Evelyne Perrin (Chauvière, 2008, 30).

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