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4. Les missions des institutions du social

4.1 L’accès aux droits sociaux au SPC

4. Les missions des institutions du social

Dans cette première partie empirique, il s’agira de se demander si les institutions chargées de transcrire les lois dans la réalité, de mettre en œuvre les missions fixées par le législateur, parviennent à le faire. Afin de répondre à cette question, nous analyserons les témoignages des usagers et des professionnels afin de savoir si les personnes ayant-droit à des prestations y ont accès et avec quel degré de difficulté cet accès est rendu possible. Cet exercice va nous mener à identifier d’éventuels obstacles à l’accès aux droits sociaux, abordé d’un point de vue théorique au point 1.4.1 du présent travail.

4.1 L’accès aux droits sociaux au SPC

En ce qui concerne les PCFam, leur objectif est de garantir aux familles le revenu minimum cantonal d'aide sociale par le versement de prestations complémentaires cantonales. Nous verrons dans ce sous-chapitre que cette mission est mise à mal par différents obstacles à l’accès aux droits mis en évidence ci-dessous.

a) Du point de vue des usagers

Une demande pléthorique de documents, dont certains parfois égarés par le SPC

En premier lieu, les quatre témoins ont souligné une demande pléthorique de documents afin de déposer une demande de PCFam au SPC. « Il manque toujours un papier », déplore Nathalie. De son côté, Linda estime que le système des PCFam est mal conçu. « Je dois courir tout le temps pour avoir tous les documents, faire ce qu’on me demande et au final je me trouve en difficulté. » Par ailleurs, le service ne fournit pas d’aide aux usagers afin qu’ils puissent réunir lesdits documents, au motif que le SPC est « un service administratif et pas un service social ». Dans les cas de Linda et de Nathalie, des documents ont même été égarés par le service.

Des décisions incompréhensibles

Les quatre témoins ont toutes indiqué que les décisions PCFam étaient très difficilement compréhensibles. « Il n’y a pas d’explication des procédures, ce qui rend impossible la vérification des décisions », relève Nathalie. « Les décisions ne sont jamais claires, pas bien expliquées… » Malgré le fait d’avoir travaillé durant plusieurs années dans un service de l’État et d’avoir une bonne connaissance des administrations, Nathalie ne parvient pas à comprendre certains aspects des décisions PCFam, comme le calcul du revenu hypothétique par exemple, ce qui ne lui permet pas de contester les décisions par elle-même. De son côté, Fatou indique que « depuis que je suis là-bas, c’est le bazar, je n’y comprends rien… C’est difficile de comprendre comment ils fonctionnent. Leurs documents sont difficiles à comprendre ».

En l’absence d’accompagnement social au SPC, un recours quasi inévitable à des services sociaux privés L’absence totale de prise en charge sociale par le SPC des personnes recourant aux PCFam a un effet collatéral : les requérants se retrouvant sans aide au SPC sont obligés d’aller en chercher ailleurs. Ces personnes en trouvent auprès de

 

services sociaux privés qui leur fournissent une aide pour réunir les documents, comprendre les décisions du SPC, recourir contre les décisions du service ou encore pour obtenir des aides financières durant le laps de temps nécessaire à l’obtention d’une décision par le SPC. Les quatre personnes ayant témoigné au sujet des PCFam ont toutes eu recours à un service social privé pour une ou plusieurs des aides citées ci-dessus. À souligner que trois d’entre elles ont bénéficié, à titre transitoire, d’une aide financière de la part d’un service social privé alors qu’elles avaient déposé une demande de PCFam.

Des erreurs de calcul récurrentes au SPC

Les quatre témoins aux PCFam ont fait part d’erreurs de calcul. Nathalie explique avoir reçu « quatre décisions d’affilée, avec, à chaque fois, une conclusion différente ». Plusieurs erreurs ont eu lieu à l’occasion des nouveaux calculs effectués lors de changements de sa situation financière, du fait de la variation de son revenu. Par ailleurs, lors d’un nouveau calcul de son droit, le SPC a oublié de prendre en compte les allocations familiales perçues par Nathalie alors qu’elle les avait déclarées. Après quelques mois, le service lui a adressé une demande de remboursement s’élevant à plusieurs milliers de francs. Nathalie parviendra finalement à faire annuler cette décision en raison de la preuve de sa bonne foi.

Enfin, à l’occasion d’une autre décision, le SPC lui a compté à double ses allocations familiales. Dans le cas de Flora, la pension alimentaire de son ex-époux a été prise en compte dans le calcul de la prestation alors que ce dernier, du fait qu’il avait recouru contre la décision du tribunal concernant la pension, ne versait rien.

Des prestations circonstancielles non versées ou versées avec de longs délais

Dans les cas où la personne au bénéfice de PCFam se situe en dessous des barèmes de l’aide sociale définis par la LIASI, le SPC applique la LIASI et complète son revenu afin qu’il corresponde au revenu minimum d’aide sociale. Ainsi, les personnes soumises à la fois aux PCFam et à la LIASI ont le droit de percevoir des prestations circonstancielles prévues par la LIASI. Linda a demandé la prise en charge de frais compris dans le catalogue des prestations circonstancielles.

Dans un premier temps, un collaborateur du SPC lui a indiqué qu’elle n’avait pas droit au remboursement de la facture en question. Quelques mois plus tard, Linda été informée de son droit au remboursement. En conséquence, elle en a formulé la demande au SPC qui l’a rejetée, du fait que le délai de six mois pour déposer ce document était échu.

Concernant les prestations circonstancielles, Fatou indique : « Ils mettent du temps à rembourser, parfois plusieurs mois, par exemple les camps pour les enfants… C’est très difficile de devoir avancer l’argent et après d’être remboursée. Ils pourraient prendre en charge directement, payer eux-mêmes les factures ».

Des trop-perçus et de la précarité générés par une périodicité du calcul des droits inadaptée et de longs délais de traitement

Des demandes de remboursements de trop-perçus sont également induites par le mode de calcul utilisé par le SPC. La périodicité du calcul du montant alloué par les PCFam étant annuelle, il arrive que les personnes ayant des revenus fluctuants se voient réclamer ultérieurement d’importantes sommes par le SPC. Venant s’ajouter au mode de calcul annuel, les délais de traitement des demandes, lors de la demande initiale ou en cas de réactualisation ou de recours, posent également problème. De son côté, Nathalie a indiqué avoir vécu, durant plusieurs mois, dans une grande précarité, dans l’attente de décisions du SPC et d’autres services sociaux.

 

Suite à un recours auprès de SPC contre la prise en compte de la pension alimentaire qu’elle ne touchait pas, Flora s’est également retrouvée dans une situation très précaire. « Quand je suis enfin arrivé à les contacter, ils m’ont indiqué qu’il n’y avait pas d’urgence, que je devais attendre au minimum trois mois avant qu’une décision soit prise. »

Linda doit diminuer son temps de travail afin de terminer sa validation des acquis ASE (assistante socio-éducative) et mieux s’occuper de ses enfants. En raison de la prise en compte d’un gain hypothétique plus important, elle bascule dans le barème LIASI, ce qui amène le SPC à lui verser des prestations d’aide sociale. Personne ne lui explique vraiment ce que cela représente et les changements par rapport aux PCFam. Elle perçoit donc des prestations financières. Ce n’est qu’après plusieurs mois que le SPC a opéré une réévaluation de la situation de Linda, sur la base des documents qu’elle avait initialement fournis, et a découvert que cette dernière possédait des économies qui la plaçaient hors des barèmes de l’aide sociale. Son droit à l’aide sociale a été suspendu et un remboursement de plusieurs milliers de francs lui a été demandé.

b) Du point de vue des acteurs du social

En matière d’accès aux PCFam, ils/elles ont observé (que) : un accès au droit à des PCFam problématique ; une demande pléthorique de documents ; un traitement inégal des dossiers en fonction des employés du SPC; une absence d’accompagnement social au SPC, service purement administratif, entraînant un recours quasi inévitable à des services sociaux privés ou aux CAS ; la nécessité d’un grand travail d’accompagnement pour faire valoir les droits des usagers;

la nécessité d’être professionnel du social afin de comprendre les décisions et parvenir à déposer des recours en matière de PCFam ; des procédures complexes débouchant sur des décisions incompréhensibles ; des erreurs de calcul fréquentes ; de longs délais de traitement ; une absence de réactivité en matière d’ajustement des montants ; un service difficilement atteignable ; le recours comme seul mode de communication avec le SPC ; une périodicité du calcul des droits inadaptée, particulièrement en cas de revenus fluctuants; la création de trop-perçus générant du stress chez les usagers, particulièrement chez les personnes ayant des revenus fluctuants, et l’indigence générée par l’obligation de rembourser; une application inéquitable de la LIASI par le SPC, en matière de prestations circonstancielles notamment, pour les usagers au bénéfice des PCFam et de la LIASI.

c) Analyse : au SPC, un parcours d’obstacles dans les processus d’accès

En matière de mise en œuvre de la politique publique (LPCC : PCFam), force est de constater que le SPC n’est pas totalement en mesure d’assurer l’objectif que lui assigne la loi. Celle-ci prévoit que les familles avec enfant(s) aient droit à un revenu minimum cantonal d'aide sociale, qui leur est garanti par le versement de prestations complémentaires cantonales pour les familles. Au vu des témoignages d’usagers et de professionnels du social, on peut mettre en évidence plusieurs obstacles qui rendent compliqué, plus qu’ils n’empêchent, l’accès aux droits sociaux.

 

Les usagers ayant témoignés désirant accéder aux PCFam ont relevé un parcours d’obstacles dans les processus de demande de prestations (Warin, 2016, 24), remettant en cause l’organisation de l’institution les délivrant. Entre le moment où les personnes remplissent leur dossier et fournissent les pièces demandées et celui où elles perçoivent leur première prestation, elles font face à plusieurs obstacles. Les exigences administratives semblent si élevées et les décisions du SPC si compliquées que les personnes qui ont témoigné ont toutes dû avoir recours à une aide extérieure pour pouvoir accéder à leurs droits sociaux. Le SPC étant un service purement administratif, il n’offre pas de suivi social, ce qui explique la nécessité pour les usagers de recourir à d’autres services pour recevoir une aide afin de compléter leurs dossiers, réunir les différentes pièces et comprendre les décisions du SPC, qui sont, semble-t-il, incompréhensibles. Il est cependant étrange que le SPC, qui est un service délivrant des aides sociales qui sont destinée à des personnes nécessitant un soutien rapide, ne mette pas à disposition de ses usagers une aide leur permettant d’accéder aux prestations. On peut parler ici d’un « suivi adéquat », une « attention insuffisante accordée aux groupes vulnérables », qui rend l’accès à la prestation difficile pour des personnes n’ayant pas les « ressources » afin de compléter leur dossier elles-mêmes (Daly, 2002). Si « le manque de connaissances juridiques est souvent pointé du doigt comme le principal obstacle qui entrave le recours aux prestations sociales » (Lajeune, 2014, p. 48), il est légitime de se demander ici si la « complexité des procédures » et de la loi ainsi que le manque d’« informations et communications » ne sont pas pensées comme un moyen de limiter l’accès à la prestation.

Et cela à plus forte raison au vu du fait que nous n’avons pas rencontré de personne ayant pu accéder au service sans aide extérieure alors que plusieurs des témoins sont pourtant familiers des démarches administratives. Ce sentiment est encore renforcé par les témoignages des professionnels du social, qui affirment devoir réaliser un grand travail d’accompagnement pour faire valoir les droits des usagers.

De plus, comme l’ont souligné usagers et professionnels, cette situation provoque des délais importants dans la perception des prestations, ce qui génère de la précarité et permet à certaines situations de se détériorer parfois. A la complexité des procédures permettant d’accéder à la prestation, on peut donc ajouter les délais dans le traitement des dossiers, qui ont également été pointés du doigt, tout comme la difficulté à joindre le SPC. Si l’on se réfère à nouveau à la typologie des obstacles de Daly (2002), on voit apparaître la question des « ressources » de l’institution, qui ne semblent pas suffire. Cette carence pourrait expliquer, en partie du moins, les délais de traitement, les nombreuses erreurs, le non-versement de certaines prestations, l’impossibilité d’assister les usagers dans leurs démarches. Il se pourrait même que la complexité des procédures soit autant liée aux ressources qu’au droit régissant la prestation et à l’organisation, les collaborateurs pouvant être tentés de complexifier les procédures face au manque de ressources, afin de se protéger (Brodkin, 2011).

 

Soulignons finalement la périodicité et le manque de réactivité dans le calcul des droits qui engendrent des demandes de remboursement de trop-perçus de la part de l’institution et génèrent de l’inquiétude chez les personnes percevant des PCFam. Derrière ce non-ajustement du calcul de la prestation se cache également un obstacle à l’accès aux droits d’ordre « psychologique » Daly (2002), dans la mesure où cette disposition génère « peur et insécurité liées aux procédures administratives et à leurs modalités concrètes ». La pression exercée sur les usagers par cette dernière est très forte. Ces derniers recourant au service car ils se trouvent dans des situations financières compliquées, leur crainte face au risque d’avoir à rembourser des prestations est légitime. Là encore, on peut se demander si l’effet repoussant de telles dispositions, au vu du public concerné, n’est pas mise en place afin de rendre la prestation moins attrayante.