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CHAPITRE 6. CONDITIONS DE VIE, ACTIONS COLLECTIVES ET

6.4 Vers la reconnaissance des ONG comme voie de canalisation de l’aide internationale à Haïti et

Dans leur ouvrage portant sur l’aide à la migration en Haïti, Dewind et Kinley analysent l’impact de l’assistance internationale en Haïti et parlent de «l’imposition d’une nouvelle stratégie de développement imposée à Haïti» par l’Agence américaine pour le développement (USAID), la Banque mondiale, la Banque inter-américaine de

développement (BID) et le Fonds monétaire international (FMI), au début des années 1980 (Dewind et Kinley, 1988). Cette stratégie de développement devait être centrée essentiellement sur l’exportation. Dans le cadre de son application, l’État ayant été jugé corrompu, la Banque Mondiale, le FMI de concert avec le Gouvernement étasunien ont opté pour la promotion du secteur privé. Cette option comporte au moins deux volets : premièrement, il s’agit de faire acheminer l’aide au développement à travers les organisations bénévoles. Deuxièmement, le secteur des affaires devrait jouer à la place de l’État le rôle de «moteur de développement» (Dewind et Kinley, 1988). Ainsi, les crédits d’aide des États-Unis, particulièrement, allaient être utilisés dans le but de stimuler le commerce, de fournir des capitaux et d’attirer des investissements étrangers.

Par rapport à la promotion des organisations bénévoles privées, le Gouvernement étasunien adopta une loi en 1981 relative à l’aide au développement local. Selon Dewind et Kinley, 30% des crédits de l’USAID, à l’époque, étaient acheminés à Haïti par l’intermédiaire des ONG via l’Agence américaine pour le développement international (USAID). On estime que 25 organismes dont la plupart sont d’obédience religieuse étaient, à cette époque, enregistrés auprès de l’USAID pour recevoir de l’aide. Ces organisations distribuaient traditionnellement des produits alimentaires aux populations sinistrées et/ou affamées du pays, mais plus tard, l’USAID allait les inciter à s’impliquer dans la réalisation des programmes de développement appuyés par le gouvernement américain. Ces programmes devraient être liés à l’agriculture, à l’agroforesterie, au développement rural, à la santé publique, à la nutrition, aux services de planning familial, à la nutrition, à la construction de systèmes locaux d’adduction d’eau (USAID, 1986), (Dewind et Kinley, 1988). Ainsi, beaucoup d’organisations non gouvernementales allaient voir le jour dans le pays au point que Pierre Étienne ait parlé d’ « Invasion des ONG» en Haïti (Étienne, 1997).

Les organisations non gouvernementales ne sont pas redevables envers les populations pour les services offerts et ne parviennent pas à couvrir tout le pays. Ainsi dans certaines zones où il y a une situation d’urgence, comme par exemple dans le nord- ouest d’Haïti, elles vont exécuter des programmes appelés « programmes d’urgence pour le soulagement de la pauvreté » (Charlier, 1998). Ces programmes sont constitués de projets dont les plus connus sont les programmes à haute intensité de main-d’œuvre. Ces sont des projets de création de travail précaire de très courte durée où des travailleurs non ou peu qualifiés peuvent travailler pour une période d’un mois (Charlier, 1998). Charlier a identifié parmi les effets secondaires des projets réalisés par les ONG, l’inaccessibilité de certains endroits. En milieu urbain, il n’est pas toujours

question d’accessibilité ou non des lieux. Parfois entre des bidonvilles situés côte une ONG est en train de réaliser un projet pour créer de l’emploi, tandis que dans l’autre, la population ne bénéficie de rien. Par exemple, Cité de l’Éternel, Village de Dieu et Cité Plus sont placés côte à côte. Dix bornes-fontaines ont été construites à Cité de l’Éternel, une seule à Cité Plus, tandis qu’il n’y a rien à Village de Dieu.

Par rapport à la distribution de produits alimentaires importés, elle a eu des impacts négatifs pour le développement du pays en renforçant sa dépendance vis-à-vis des pays fournisseurs de l’aide alimentaire et en plongeant les bénéficiaires dans une sorte d’attentisme. Selon un paysan du Nord-Ouest d’Haïti vivant dans une zone où une organisation non gouvernementale d’origine étasunienne, CARE, a distribué des produits alimentaires importés,

« L’aide alimentaire met les gens dans une sorte d’attentisme et les empêche de faire les efforts qu’ils faisaient par le passé. Parfois, la saison pluvieuse arrive, et les travailleurs, au lieu d’aller travailler la terre, attendent la distribution des aliments48 ».

L’aide alimentaire apportée aux pauvres en Haïti reproduit aussi les pratiques de corruption de la part des responsables des projets de distribution de ces produits et des chefs d’entrepôts ou de distribution. Selon Dewind et Kinley, le programme « Food for peace» (Nourriture pour la paix) de l’USAID en Haïti, au cours des années 1980, a été entravé par des pratiques de corruption consistant à vendre les produits alimentaires destinés aux pauvres. De l’aide alimentaire au montant de 10.5 m (US) devait être distribuée gratuitement aux populations démunies par quatre ONG, mais au terme d’une enquête, personne ne pouvait indiquer le volume d’aide qui a été effectivement distribué aux pauvres par CARE, Secours-Catholique, Church World Service et Seventh Day

adventist world Service (Dewind et Kinley, 1988)

Dans la perspective de la reconnaissance des ONG comme dispensatrices de services aux populations démunies en Haïti, Morton, étudiant le secteur des ONG, affirme que pendant environ dix ans, soit de 1987 à 1994, les principaux bailleurs de fonds s’étaient adressés aux ONG pour assurer les services de base et des programme de protection sociale à cause de « l’incapacité de divers régimes haïtiens à assumer cette responsabilité. Selon Morton, 100 millions de dollars d’assistance officielle au développement ont été gérés par les ONG de 1992 à 1994 consécutivement au coup d’État contre Jean-Bertrand Aristide (Morton, 1998). Environ trois ans après le retour d’Aristide au pouvoir, soit au début de 1997, les bailleurs jugeaient encore convenable que dans certains secteurs, entre autres, la santé, l’éducation, l’alimentation en eau et

l’assainissement ainsi que la construction et la réhabilitation de la «petite infrastructure», les ONG devaient continuer à jouer un rôle important au niveau de la conception et de la prestation des services, en particulier dans les zones rurales éloignées et dans les zones urbaines défavorisées où le gouvernement haïtien ne dispose d’aucune capacité autonome de prestation (Morton, 1998). L’auteur distingue ainsi plusieurs types d’ONG opérant en Haïti : des organisations de base ; des organisations intermédiaires, les grandes ONG nationales et internationales, les Fondations et les associations de type parapluie.

Certaines institutions financières et de coopération internationale, entre autres, la Banque interaméricaine de développement (BID), la Banque mondiale et le FMI, comme on vient de le voir dans cette section, ont réussi à partir des années 1980 à se défaire des institutions publiques pour canaliser l’aide. Ainsi, elles ont renforcé le secteur privé et certaines organisations de la société civile, notamment les ONG et des groupes de base. Le rôle de l’État, vis-à-vis de ces institutions est un rôle de régulation, c’est-à-dire, les instances publiques établissent les procédures de reconnaissance des ONG accréditées dans le pays. Dans la section qui suit j’analyse quelques mesures prises par les autorités gouvernementales dans ce domaine.

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