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CHAPITRE 3. PERSPECTIVES D’ACTION COLLECTIVE

3.6 Analyse de Touraine des mouvements sociaux

3.6.1 Les mouvements sociaux

Par rapport au mouvement social, Touraine affirme qu’il se situe plutôt au niveau du système d’action historique et se définit comme « l’affrontement d’intérêts opposés pour le contrôle des forces de développement et du champ d’expérience historique d’une société » (Touraine 1973 : 360). Le mouvement social, tel que défini par Touraine, comporte trois principes : identité, opposition et totalité. Le principe d’identité renvoie à la définition de l’acteur par lui-même ; et cela se fait à travers le conflit «qui constitue et organise l’acteur ». L’auteur cite l’exemple de la classe ouvrière. Par rapport au principe d’opposition, il se réfère à la capacité du mouvement de « nommer son adversaire ». Touraine maintient « que l’on ne peut parler de principe d’opposition que si l’acteur se sent confronté à une force sociale générale de la vie sociale » (Touraine, 1973 : 362). En ce qui concerne le principe de totalité, il affirme qu’il n’existe pas de mouvement social qui se définisse uniquement par le conflit. Selon lui, tous possèdent le principe de la totalité c’est-à-dire « le système d’action historique dont les adversaires, situés dans la double dialectique des classes, se disputent la nomination » (Touraine, 1973 : 363). Bref, le mouvement social, selon Touraine, se crée une identité à travers le conflit, s’oppose à un adversaire ayant lui aussi son identité propre, s’oriente vers des valeurs de l’organisation sociale ou vers la participation à un système de décision. L’approche de Touraine s’étend au-delà des mouvements sociaux classiques caractérisés par les principes d’identité, d’opposition et de totalité. Elle

permet d’analyser également de nouveaux mouvements, entre autres, le mouvement féministe, le mouvement écologique et le mouvement des droits civiques définis comme étant de nouveaux mouvements sociaux.

3. 7 L’analyse des Nouveaux mouvements sociaux (NMS)

L’éclatement des nouveaux mouvements sociaux coïncide avec les vagues de mobilisation qui ont eu lieu au cours des années 1960 et 1970. Les populations mobilisées dans le cadre de ces mouvements ont été entre autres, les militants féministes, les écologistes, des mouvements régionalistes et étudiants, les mouvements des droits civiques, entre autres. Généralement ces nouveaux mouvements se distinguent des anciens sous une quadruple dimension : les formes d’organisation et les répertoires d’action, les valeurs et les revendications qui accompagnent les mobilisations, les rapports développés avec le politique, l’identité des acteurs (Neveu, 1996). Parmi les principaux auteurs ayant travaillé cette thématique, on peut citer entre autres, Touraine, 1978), 1980, 1999) en France, Melucci (1977) en Italie et Offe (1994), en Allemagne.

De 1995 à 1998, Touraine constate une certaine transition dans la thématique des mouvements sociaux : on est passé en ce qui concerne les conflits les plus significatifs du terrain des droits sociaux à celui des droits culturels. La globalisation a des effets pervers sur les populations; la vie de chaque jour est subordonnée à la logique du marché et la globalisation pèse sur les salaires, le chômage s’accroît, la sécurité sociale est menacée et les capacités d’intervention de l’État sont affaiblies. Dans ce contexte, les mobilisations populaires, sans être indifférentes à une telle situation, sont d’une autre nature : elles visent à faire reconnaître les droits culturels (Touraine, 1999). Ces mouvements contiennent trois composantes : le recours à un principe général de légitimité qui est la révolte première; l’institutionnalisation de l’action collective, et dans une direction opposée : l’instrumentalisation de l’action collective. Par rapport à la dernière composante, certains dangers menacent la formation de ces mouvements : la chute dans la violence, et la dépendance extrême à l’égard de soutiens extérieurs. Aussi y a-t-il deux voies entres lesquelles choisir : ou bien choisir d’être des acteurs autonomes qui associent les revendications particulières de groupes en général minoritaires à la défense de principes reconnus par la société et plus précisément de droits; ou bien se placer sous la dépendance des forces idéologiques ou politiques qui

ne croient pas à la formation possible d’acteurs autonomes et qui se constituent elles- mêmes en avant-gardes dont la tâche est de donner un sens, parfois même une organisation, à de simples forces ou masses incapables d’accéder à la conscience de soi (Touraine, 1999)

Cette conception est élaborée à partir de l’analyse de différents mouvements réalisés en France par les beurs19, les «sans logis20», les « sans-papiers21», entre autres. Les mouvements pour la défense des droits culturels ne visent pas la transformation du monde ou de la société; ce qui témoigne de leur volonté d’intégration sociale qui n’est pas révolutionnaire mais qui peut provoquer de la panique, selon les contextes, chez les gouvernements. Leur raison d’être demeure la défense des droits précis et la recherche de solutions concrètes. Ils ont une portée morale importante : les militants se mettent au service des droits de la personne, ce qui confère aux mouvements une orientation morale plus politique. Et la politique qui jadis était liée à l’économie, s’est trouvée transformée par la pénétration d’exigences morales dans la sphère publique (Touraine, 1999). Bref, la grande importance des NMS dans la perspective de Touraine est qu’ils font référence aux droits du sujet, aux droits des minorités comme à ceux de la majorité. Les NMS apportent la contestation de l’ordre dominant, mais plus encore la libération des victimes qu’ils parviennent à transformer en acteur du changement social (Touraine, 1999). L’action de ces groupes fait partie même du jeu démocratique inséparable de l’existence des institutions démocratiques. Elle amène également une nouvelle conception du concept de la citoyenneté qui ne peut et ne doit pas exclure la différence.

19 Le mouvement des beurs se forma suite à l’assassinat d’un des leurs, Toumi Djadja président de SOS-avenir. Une

manifestation avait alors réuni plus de 100 000 personnes. L’organisation SOS –Racisme a parlé de la fraternité et de la reconnaissance du mouvement beur. Une réflexion collective a été entreprise à cette fin pour s’orienter vers la reconnaissance de l’identité culturelle des immigrés en appelant à la nécessaire ouverture d’un esprit républicain hostile aux autorités. Mais il y a eu revirement. La droite et la gauche françaises se sentirent menacées par l’islamisme militant et agressif qui se développait dans le monde et par la menace qu’il représentait pour les libertés publiques. Des intellectuels, des syndicalistes, des personnalités politiques se déchaînèrent sur ce qui leur apparaissait incompatible avec l’esprit républicain et la laïcité en référence notamment à la question de porter le foulard islamique. Ainsi, SOS Racisme, qui avait appuyé les beurs, a dû battre en retraite pour orienter sa lutte contre le racisme (Touraine, 1999).

20 Pour les sans-logis, l’organisation Droit au logement (DAL) a été fondée en 1990 en référence directe aux

événements d’hiver 1954 quand l’abbé Pierre intervenait directement concernant le problème du logement. DAL organisa des occupations de bâtiments ou de lieux publics, conquérant la sympathie d’une partie de la population, et il fut rendu plus médiatique par la participation de personnalités et d’artistes à ses initiatives. Il n’est pas parvenu, malgré sa visibilité, à exercer une influence réelle sur la politique du logement ni à former de nouveaux acteurs, mais il représente le point de départ de divers mouvements de «sans» i. e la protestation contre la misère et l’exclusion. Le mouvement a eu de la difficulté à dépasser l’horizon des opérations médiatiques et à faire émerger un nouveau concept d’action collective (Touraine, 1999)

21 Ce mouvement s’est constitué en acteur autonome, selon Touraine. Son adversaire, le gouvernement, s’est lui-

même clairement affirmé comme tel. Il a trouvé un écho considérable à certains moments dans l’opinion publique, parce que la défense des droits de certains a été associée à la défense des droits de tous. Le mouvement est devenu fort, et ce renforcement s’explique par le fait qu’il n’a pas été dominé par des interventions extérieures. C’est donc une action autonome pour la défense des droits des «sans-papiers» à vivre normalement en France. Elle s’est transformée en un vaste mouvement qui occupe désormais une grande place dans la vie politique française(Touraine, 1999 :88-89).

« (…) La revendication des droits, chacun le comprend, est une démarche démocratique qui s’oppose à la volonté de « prendre le pouvoir» ou de rompre complètement avec les institutions. Car la reconnaissance des droits suppose le soutien des institutions capables de combiner l’unité de la nation avec la diversité des intérêts, des valeurs et des héritages (…) La citoyenneté ne peut plus consister à fondre les identités dans une conscientisation nationale unificatrice, par la répression, s’il le faut; elle consiste à accroître la diversité, le débat et la représentation politique à l’intérieur d’une collectivité qui se donne comme but principal le renforcement des droits de chacun plutôt que leur subordination à une entité et un intérêt nationaux tout-puissants et intolérants » (Touraine, 1999 : 92, 93)

L’approche de Touraine révèle donc une double impasse concernant la capacité des acteurs de ces mouvements de construire de manière autonome des actions collectives. D’une part les exclus, c’est-à-dire les beurs victimes de la discrimination, les sans-logis, les sans-travail, les sans-papiers, les sans travail, les malades du sida, les handicapés et d’autres encore, veulent affirmer leurs droits personnels. Mais pour y arriver, ils doivent combattre en même temps les appareils idéologiques qui cherchent à diriger et à orienter leurs mouvements au détriment de leurs revendications. D’autre part, ces mêmes mouvements font dégrader le secteur associatif dont l’appel à la solidarité et à l’égalité, pourtant appuyés par des volontaires sincères et généreux, est de plus en plus mis à profit par un appareil d’État qui cherche avant tout à alléger ses charges en confiant une partie de ses taches à des bénévoles. Le mouvement associatif devient alors la banlieue d’une administration, surtout locale, plus soucieuse de clientélisme et d’actions spectaculaires que de la transformation des acteurs en victimes (Touraine, 1999 : 93-94)3.7.1 Vers un nouveau paradigme des NMS

Les mouvements sociaux ne sont plus ce qu’ils étaient, il y a plus de trois décennies. Que ce soit dans le vieux continent, en Europe de l’Est ou en Amérique de nouveaux acteurs ainsi que de nouvelles demandes ont émergé. Définis préalablement comme des mouvements qui se forment en-dehors de la sphère industrielle, les nouveaux mouvements sociaux désignaient ces mouvements qui naissaient à la fin des années 1960 et qui allaient des mouvements étudiants, féministes, écologiques aux mouvements urbains et pacifiques (Farro, 2000). Aujourd’hui, avec les transformations sociales qui ont eu lieu, la définition des nouveaux mouvements sociaux connaît certaines variations dépendamment de l’espace et du temps. Bourdieu, se référant à l’élection du parlement européen parlait d’un mouvement social qui devrait partir de l’Europe, en d’autres termes, d’un mouvement social européen (Bourdieu, 1999). Se situant dans cette même perspective, Piro, parlait de la naissance même du mouvement

social européen, suite à l’organisation du forum social européen : «Les mouvements sociaux sont satisfaits : le Forum social de Florence marque le début d'une mobilisation pour la construction d'une "autre Europe" qui s'oppose, avec parfois une forte radicalité, à la dérive néo-libérale de l'Union européenne » (Piro, 2002).

En Amérique Latine, Les nouvelles conceptions par rapport aux mouvements sociaux sont élaborées en rapport avec la globalisation économique. Ainsi Gilly parle de «Fragmentation et de resocialisation des demandes et des mouvements sociaux en Amérique Latine» (Gilly, 1994). Cette fragmentation est liée à la restructuration actuelle du capital à l’échelle mondiale qui débouche sur un processus multiple de fragmentation : celle du travail, des visions du monde, des droits sociaux, de l’éducation, bref sur une individualisation des espaces et des demandes sociales que les mouvements sociaux devraient resocialiser (Gilly, 1995). Dans la même perspective, Chalout parle de « Point de vue du sud face aux mouvements sociaux et à l’intégration des Amériques ». Selon Chalout, le «déficit démocratique» affiché par les gouvernements dans l’application des politiques néolibérales a provoqué des mouvements sociaux opposés à la négociation d’un accord sur le libre-échange continental (Chalout, 1999). Le caractère fragmentaire de ces mouvements, notamment l’importance accordée aux spécificités et aux subjectivités, peuvent les faire passer pour des mouvements étrangers à de possibles projets d’émancipation sociale et historique (Farro, 2000)

Qualifiés de «sociologie universitaire» (Honneth, 1994 ), d’«ancien paradigme» (Offe, 1994), les mouvements sociaux traditionnels étaient analysés tantôt comme l’expression d’une irrationalité des acteurs (des déviants) victimes des processus de modernisation, tantôt comme des mouvements d’acteurs rationnels exigeant des changements ou encore comme des actions collectives de la part des acteurs de classe qui cherchaient à avoir la direction de l’historicité ou à prendre le contrôle du système d’action historique (Muñera Ruiz, 1997). Aujourd’hui, les nouveaux mouvements sociaux se posent en termes de défense des droits culturels (Touraine, 1999), de luttes pour la reconnaissance (Honneth, 1992 Renault, 2004) ou d’actions collectives dont les acteurs participent à la redéfinition d’espaces sociaux, politiques, contribuent à un élargissement du politique et amorcent une réflexion sur les rapports que les acteurs sociaux entretiennent avec les institutions (Hamel, 1999). Nous passons en revue trois approches des nouveaux mouvements sociaux liés à la reconnaissance dans cette section : l’approche structurale, l’approche de la défense des droits culturels et l’approche du déni de reconnaissance.

Le nouveau paradigme aborde la thématique des Nouveaux mouvements sociaux (NMS) en fonction de leur base sociale, de leurs thèmes, de leurs préoccupations, de leurs valeurs et de leur mode d’action. Il utilise le concept de paradigme politique pour faire une différence entre ce qu’il appelle l’ancien et le nouveau paradigme, le premier désignant les mouvements sociaux traditionnels et le second, les nouveaux mouvements sociaux. Selon Offe, « le caractère moderne des NMS est souligné par leur croyance spontanée dans le postulat selon lequel le cours de l’histoire et de la société est contingent et ne peut pas être modifié par les individus et les forces sociales déterminées à le faire ». Le nouveau paradigme peut être compris comme une critique de la modernisation future. La base sociale de cette critique est constituée par les intellectuelles des nouvelles classes moyennes qui les mettent en œuvre à travers les modes d’action non conventionnels, informels et non marqués par une spécificité de classe.

A propos des composantes sociales des nouveaux mouvements sociaux, Offe identifie, outre ces nouvelles classes moyennes, les groupes périphériques définis comme ceux qui sortent de la sphère marchande, et d’anciens membres de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie. Il est peut-être facile d’identifier dans les sociétés post-modernes cette catégorie d’acteur sortant de la sphère du marché, tels que les étudiants et les femmes des classes moyennes qui restent à la maison, mais dans certains pays de la périphérie comme Haïti, Nicaragua où certaines nations africaines, on ne peut pas faire une délimitation exhaustive de ces catégories sociales. Certains auteurs (Gélinas, 2000; Petras et Veltmeyer, 2001) parlent de l’émergence de nouvelles classes dans les pays de la périphérie avec la prolifération des organisations non gouvernementales (ONG). D’autrres cadres de ces organisations ont subi un transfert de classe à travers les postes occupés et les financements obtenus pour leurs organisations. Mais il est difficile de dire que ces nouveaux cadres sont impliqués dans la réalisation de nouveaux mouvements sociaux.

Des auteurs tels que Lévesque, Bourque et Forgues (1997) parlent aussi de cette dualité de paradigme, constatant un passage d’un paradigme critique où les structures occupaient une place centrale à un paradigme où le thème de l’historicité s’impose comme référence, douce revanche des acteurs sur le système. Le paradigme critique a été mis en cause en raison de sa prétendue incapacité de rendre compte de l’agir individuel noyé dans le système. Pour des auteurs classiques de la sociologie tels que Marx, Weber et Durkheim, la problématique de la définition du mouvement social consiste à comprendre sa nature politique, c’est-à-dire à appréhender le processus de

transposition de son action sur le plan politique, laquelle transposition est liée, dépendamment des conceptions, à l’intégration institutionnelle du mouvement ou à la transformation révolutionnaire à opérer (Farro, 2000).

En termes de préoccupation, les inquiétudes des nouveaux mouvements sociaux convergent vers l’idée que la vie elle-même est menacée par la logique aveugle de la rationalisation, et qu’il n’y a pas de garde-fous suffisamment nombreux et crédibles à l’intérieur des institutions politico-économiques dominantes qui puissent éviter que les désastres se produisent. Ce sont, entre autres, les messages véhiculés que ce soit par les mouvements altermondialistes ou d’autres groupes militants soit pour la défense de l’environnement, soit contre la mondialisation néo-libérale. Si la vie ou la survie sont en question, la croyance formelle envers les règles du jeu est facilement rejetée comme n’étant pas à la hauteur de problèmes de cette importance, et si les mécanismes institutionnels sont considérés comme trop rigides pour reconnaître et affronter les problèmes des sociétés industrielles avancées, il serait inopportun de s’appuyer sur eux pour tenter de trouver une solution

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