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CHAPITRE 2. MARGINALIDAD, UNDERCLASS, EXCLUSION

2.4. La marginalisation comme produit d’un processus de désarticulation ou de la crise du système

Parallèlement aux explications de Lewis et de de Lomnitz, des auteurs comme Touraine (1976) et Castells (1983) qui ont réalisé des études en Amérique latine interprètent la marginalisation comme un processus de désarticulation ou bien comme la conséquence de la crise du système urbain dans le sous-continent. Ces études affichent certaines similitudes quant à l’accent mis sur le sous-emploi généré par le système capitaliste dépendant et la crise de la société urbaine marchande.

Analysant la marginalisation dans les sociétés dépendantes, à partir des années 1970, particulièrement en Amérique Latine, Touraine propose une nouvelle approche de la marginalité. Pour y parvenir, il passe en revue les approches de certains théoriciens, entre autres, Gunder Frank et Quijano qui cherchent à expliquer la marginalisation par la logique interne du système économique, c’est-à-dire un mode de production donné, ou à partir de la dépendance. Selon Touraine, il est impossible d’expliquer la marginalité à partir de ces deux variables. Si l’histoire latino-américaine est pensée comme celle du développement capitaliste, il faut remplacer la notion de marginalité par celle du chômage, ou par celle du « lumpenprolétariat ou des classes dangereuses ». Et si on explique l’histoire de cette région à partir de la dépendance, la marginalisation prend alors « une importance centrale » car le concept découle dans ce cas de la dualisation de l’économie, de la concentration des revenus et des investissements dans un secteur limité où les capitaux étrangers produisent des biens durables pour les riches (Touraine, 1976 : 37). Selon lui, on ne peut pas prouver que le manque d’emploi est imputable seulement aux entreprises étrangères. Aussi, il n’y a pas de certitude que la concentration de revenus a pour effet de bloquer la croissance industrielle. Finalement, on accorde trop d’importance, dans le cadre des analyses critiques, à la consommation des particuliers. Cela ne signifie pas qu’il nie le fait que la dualisation de l’économie et la marginalité elle-même s’inscrivent dans une situation dominée par l’économie

capitaliste et par la concentration des investissements dans des secteurs étroits. Mais il soutient aussi qu’on ne peut pas démontrer que le sous-emploi et la petite industrie artisanale sont fonctionnels pour le capitalisme.

L’analyse de Touraine se situe dans une approche historique pour défendre la thèse que la marginalité dans la région résulte de la désarticulation des sociétés latino- américaines. Il se réfère à la démographie pour construire l’argument selon lequel la marginalité urbaine a pour cause l’archaïsme de l’économie rurale qui permet, dans un premier temps, de retenir longtemps la main-d’œuvre mais qui finalement entre en crise et contribue à l’expulsion de la force de travail devenue excédentaire. Cette crise se déroule à travers le processus par lequel les grands propriétaires cherchent à éliminer l’agriculture de subsistance pour se consacrer à d’autres activités économiques jugées plus rentables. Ils se sont emparés violemment, affirme Touraine, des terres des « comuneros », obligeant ainsi la communauté paysanne à la désagrégation. Il attribue aussi aux réformes agraires une part de responsabilité dans l’expulsion de la main d’œuvre paysanne. À partir de ces considérations, il définit la marginalité comme le signe de la désarticulation de la société dépendante, de la non-coordination des secteurs dominants et des secteurs dominés de l’emploi. La population marginale est donc pour Touraine celle qui cumule les conséquences du sous-emploi lié au capitalisme dépendant et de la crise de la société agraire en même temps que la société urbaine marchande (Touraine 1976 : 141)

À partir de ses travaux réalisés dans plusieurs villes, entre autres, Santiago du Chili, Mexico et Caracas, au début des années 1980, Castells affirme que le phénomène de la marginalité n’est pas un déterminant politique mais plutôt une conséquence politique. Pour lui, en dépit de leur similarité remarquable et des infrastructures urbaines comparables, les établissements marginaux sont fortement diversifiés au regard des types de construction, de la localisation dans la structure spatiale et du statut légal de chaque établissement. Pour lui, la marginalisation de ces populations est la conséquence de la crise du système urbain incapable de répondre aux besoins de la majorité de la population (Castells, 1983). Il parle de « marginalité occupationnelle » et de « marginalité urbaine ». Dans la première, il met les travailleurs salariés, les petits marchands et les personnes handicapées, ceux qui vendent leur force de travail à des gens en vue d’obtenir un service personnel, entre autres, les cireurs de bottes, les portefaix et les guides ; et ceux qui vendent leur corps c’est-à-dire les prostituées et les gardes de corps (Castells, 1983 : 180). Par rapport à la marginalité urbaine, l’auteur cite

la majorité de la population incapable d’avoir accès au logement privé et au marché de services urbains. Dans ce sens, dit-il, la marginalité urbaine suggère quelque chose de plus large que la marginalité occupationnelle et le chevauchement entre les deux est seulement partiel (Castells, 1983 : 81).

Au terme d’une recherche réalisée à Casco, un des quartiers de Caracas, au cours des années 1980, l’auteur arrive à deux conclusions relatives à la marginalité urbaine. Premièrement, la marginalité urbaine ne coïncide pas avec la marginalité occupationnelle. Elle est plutôt la conséquence de la crise du système urbain, incapable de répondre aux besoins de la majorité de la population. Deuxièmement, la situation de ce qu’on a appelé les établissements marginaux, malgré leur similarité remarquable en terme, de niveau critique de la détérioration du logement et des infrastructures urbaines, est hautement diversifiée au regard des types de construction de logement, de la localisation dans la structure spatiale et du statut légal de chaque établissement. Le facteur commun dans ces situations (wide-ranging) de décadence urbaine est selon lui, la construction sociale dont la logique est redevable en grande partie aux politiques étatiques (Castells 1983 :187). Il définit la marginalité comme l’incapacité de l’économie de marché, ou des politiques de l’État de fournir du logement et des services urbains adéquats à une proportion croissante des habitants de la cité, incluant la majorité des travailleurs salariés et des employés réguliers ainsi que tous les gens réalisant leurs revenus à partir de ce qu’on appelle le secteur informel de l’économie.

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