• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 7. CONDITIONS DE VIE À CITÉ DE L’ÉTERNEL

7.3 Difficile de trouver une place à l’école

L’éducation des enfants dans la Cité demeure un casse-tête pour les parents. Malgré que la Constitution haïtienne garantisse la gratuité du cycle d’études primaires, il est difficile aux parents des enfants de la Cité de trouver une place dans une école publique. Au cours de mes visites de terrain, j’ai vu, aux heures de classe, beaucoup d’enfants en âge d’aller à l’école jouer aux billes ou au soccer à côté du canal Bréa, près de la mer. Questionnant les parents sur cette situation, ils me répondent qu’ils n’ont pas d’argent pour payer les frais de scolarité. Après avoir payé les études primaires de son enfant, Sarafina voulait lui trouver une place au lycée. Elle me parle des démarches qu’elle a entreprises en vain.

« Pour trouver une place dans un lycée, de nos jours, il vous faut une marraine ou un parrain. Moi-même, j’ai enduré des misères pour trouver une place dans

un lycée pour ma fille admise en 7ème année fondamentale. Je suis allée voir un

policier à Martissant, parce que j’ai entendu dire que les policiers avaient droit à une place dans un lycée. J’ai marché, j’ai payé des courses de taxi pour aller au Lycée Marie-Jeanne. Je l’ai inscrite, elle a participé au concours et a réussi. Mais quand on est allé prendre les résultats, on a trouvé le nom d’un autre élève à son numéro d’ordre. En dépit de cela, le policier m’a dit qu’il va lui trouver une place, j’ai continué à payer des courses de taxi pour aller le voir, je me suis mouillée sous la pluie, le soleil m’a brûlée. À la rentrée, ma fille n’a pas trouvé de place au lycée. C’est dans une école privée que je lui ai trouvé une place enfin58»

Il existe une école primaire communautaire qui a été construite par une organisation non gouvernementale. Elle est maintenant gérée par des organisations de base de la Cité. Mais elle n’est pas gratuite. L’année scolaire coûte 750 gourdes soit environ 25 dollars américains Les parents se plaignent que les coûts sont trop élevés. Au cours de l’interview réalisée avec Pierre, un de ceux qui avaient participé avec CONCERN, une ONG, à la construction de cette école, celui-ci place la situation des

58Pou al foure yon timoun nan lise kounye-a fòk ou gen marenn ak parenn. Mwen menm mizè m konnen m pase m

gen pitit mwen ki ta pwal fè 80 ki ane, baby tap al fè 6ème, m mache pye m kale mal kote on polisye ki te rete nan

Matisan 25 lan ki rele Rony. M tande chak polisye konn gen chans pou yo ka mete yon grenn moun nan lise. M kale pyem , m peye lajan machin, lise marie-Jeanne, m kale pyem, m kale pyem, m kale pyem, m kale pyem pitit mwen an al konpoze l bon, lèl rive nal pran rezilta pou li, nou jwenn nimewo dòd li an yon lòt non ki nan plas li . Malgre sa, elemen di lap metel, lap metel pou mwen, m peye taksi, m peye machin, poum al lakay li, m mouye anba lapli, solèy, pitit mwen an vin al lekòl, lekòl louvri li pa kal lekòl. Lèm wè sa se Siloé wi on zanmi m pran l la l enskri l pou mwen, legliz dedye ri disant.

parents vis-à-vis de l’école dans un contexte global : la démission de l’État. Selon lui, l’école communautaire ne reçoit pas de subvention de l’État. Il y a une école communautaire, certes, mais les parents ne peuvent y inscrire leurs enfants en raison d fait qu’ils ne peuvent pas trouver les 750 gourdes

« Si l’État n’avait pas démissionné, il faudrait bien que quelqu’un vienne nous demander si nous avons faim, si nos enfants vont à l’école. Il y a une école communautaire. Les enfants ne vont pas à l’école, car les parents ne peuvent pas payer les 750 gourdes de scolarités annuelles. Il y a des parents ont des enfants à l’école. Ils passent toute l’année sans pouvoir payer. Les enfants ne reçoivent pas leur bulletin scolaire. Où est l’État qui devrait venir ici? Où est le maire que nous avons voté? Où sont les sénateurs et les députés que nous avons votés?59» C’est le cas par exemple de Fritz, un technicien maçon père de deux enfants dans la cité. L’un d’entre eux a commencé à se rendre à l’école au début de l’année, mais Fritz s’est abstenu de continuer à l’envoyer à cause des problèmes d’argent. Ainsi ses deux enfants ne vont pas à l’école.

« Eh bien vous savez, l’école, cela demande beaucoup d’efforts. Si vous n’avez pas d’argent pour le moment, vous ne pouvez pas envoyer l’enfant à l’école, cela signifie donc quand la mensualité arrive à terme, si vous n’avez pas d’argent pour payer, votre enfant vous sera renvoyé. Alors, vous comme parent, au lieu de recevoir tout le temps votre enfant qui vous est renvoyé à cause du fait que vous êtes incapable de payer ses scolarités, vous vous abstenez donc de l’envoyer à l’école60 »

C’est pareil pour Alfonse, habitant du quartier et d’autres parents : les frais de scolarité sont trop élevés, ils ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école. Selon lui, ça ne vaut pas la peine pour parent d’envoyer ses enfants à l’école. Il se plaint de l’impatience des dirigeants de l’école communautaire vis-à-vis des parents qui ne parviennent pas à payer les scolarités de leurs enfants.

« Même si tu envoies ton enfant à l’école, si tu n’as pas encore payé, même si tu parles avec les responsables, ils le retourneront à la maison jusqu'à ce que tu paies les scolarités. Mais je pense que si c’était une école communautaire, cela ne devrait pas se produire. On devrait prendre un peu de patience avec les parents. On pourrait garder le bulletin scolaire de l’enfant jusqu’à ce que le

59 Paske Leta sil pat demisyone fòk ta gon moun ki vin mandew eskew grangou, eske ti moun yo al lekol. Gon lekol

communautaire. Ti moun yo al lekol yo pa ka peye 150 dola pou tout ane ya pou achte ceci pou achte cela, yo pa ka peyel. Gen moun pa wmen ane pase yo ponkor peye. Konbe sa ye 150 dola. Ti moun nan ale pran kanè, kote yon leta kap vin la-a, kote majistra nou vote a, kote senateur depute nou vote a. yo bay liv la, liv la vann lòt kote, yo pa bay li vre. Se moun pa yo yo bay, se gro nèg ki jwenn. Lise se te pou malere, koun ye a se gran neg kal; nan lise. Malere pa jwenn lise encor

60 Bon le problèm, ki rive. Ou konnen lè timoun nan pal lekòl la, paske lekòl la li mande anpil efò. E siw pa genyen

nan menw pour le moman ou kapab pa ka voye timoun nan lekòl, sa vle di si mwa lekòl la vin rive sou ou, ou poko peye profesè, profesè ap voye timoun nan ba ou. Olye ke pou l voye l tounen ba ou pou kesyon de kòb. Kounye a ou tou kite timoun nan ou pa voye l. Paske lèw fè efò ou voye l. Profesè a voye l ba ou

parent puisse payer. Mais ce n’est pas ce qui arrive. Ils peuvent même empêcher l’enfant de subir les examens. »

Madame Paul, faisant face aux mêmes difficultés, a du retirer ses deux enfants de l’école à cause de son incapacité de payer les scolarités. Mère de trois enfants, elle payait 1500 gourdes par trimestre. Mais quand cela a monté de 100 dollars de plus, elle n’a pu rien faire.

«On me dit école gratuite. D’abord quand on payait 100 dollars la scolarité par trimestre, j’avais mis mes trois enfants à l’école (dans cette école là). Au total, je payais 300 dollars (1500 gourdes) par trimestre. Mais, à un certain moment, je n’ai pas pu payer, donc les enfants restent à la maison. Mais le dernier, ce petit là, continue d’y aller, car il est plus petit, on ne le retourne jamais, lui. Les autres, on les avait toujours retournés. Quand on a monté la scolarité à 400 dollars, je n’ai pu rien faire61»

Suite à mon interview avec Marc-André, un des responsables des associations qui gèrent l’école communautaire, je lui ai demandé de m’emmener visiter l’école communautaire. Je voulais vérifier les informations collectées au cours des entrevues par rapport à la fréquentation de l’école par les enfants de la Cité. La plupart des salles de classe étaient vides. Celles où il y avait cours, le nombre moyen d’élèves présents était environ une dizaine. Selon Marc-André, cela est dû au fait que les parents ne sont pas en mesure de payer les scolarités. Mesdames Jean et Paul pensent que c’est à elles de préparer l’avenir de leurs enfants. Il ne faut pas compter sur l’État ni sur l’école communautaire de la Cité.

«L’avenir de nos enfants, d’après ce que je constate, c’est l’argent qu’il nous faut pour faire du commerce afin de pouvoir envoyer nos enfants à l’école, préparer leur avenir. Cela signifie que c’est à nous de nous débrouiller, soit en empruntant, soit en escomptant pour brasser, pour entrer dans un sol, pour préparer l’avenir de nos enfants pour demain, parce qu’on ne doit pas compter sur une autre personne maintenant pour régler ses affaires. Si vous comptez sur quelqu’un d’autre pour vous aider, vous mourrez dans la pauvreté, ou bien vos enfants n’iront jamais à l’école62»

Jean-Pierre va au-delà même de la question de l’éducation et des frais de scolarité. Pour lui, c’est toute la jeunesse qui est marginalisée parce qu’il n’y a pas de structure pour les intégrer. Il n’y a pas de terrain de jeu, pas de bibliothèque ni même

61 Yo dim son lekòl gratis. Premyèman timoun nan lè yo tande m te kouri li te peye 100 dola par trimès, m te mete

touletwa timoun mwen yo ladan l. An m tap peye, pa trimès la, m tap peye 300 dola par trimès. M vin rive w kote, m vin pa kapab, yo vin chita la-a. Men ti pitit sa-a toujou kontinye ale, paske l pi piti, yo pa janm tounen l li menm, yo toujou voye lòt yo tounen, m bat m bat.Yo vin monte l 400 dola bon m pa ka voye yo menm ankò.

62 Avni pou pitit nou, dapre sam wè se kòb pou nou genyen pou nou fè komès, epi pou nou voye pitit nou lekòl pou

nou prepare avni pitit nou. Sa vle di se nou menm ki pou degaje nou, si se prete nap prete, oubyen si se eskont lan kòm mwen di w pou nou brase, pou nou antre nan sòl, pou nou prepare lavni pitit nou demen, paske moun pa gade sou moun kounye-a. si wap gade se moun ki pou fè pou wou, enben wap rete wap mouri pòv oubyen pitit ou ap rete konsa li pap janm al lekòl. Se konsa mwen wel mwen menm.

une place publique. Même quand le jeune possède un diplôme, il n’a quoi faire avec, puisqu’il n’y a pas d’emploi pour lui. Quand ils ont terminé leurs études secondaires, les jeunes ne peuvent pas trouver une place dans une faculté de l’Université d’État d’Haïti ni dans une école professionnelle.

« Il n’y a pas de mouvement qui puisse les aider à trouver des économies pour avancer. Tout simplement, ils apprennent à l’école pour voir si demain Dieu voulant, ils peuvent déboucher sur quelque chose. Ils restent purement et simplement à la charge de leurs parents. Le diplôme scolaire paraît une chose catastrophique, parce que tu trouves des jeunes qui terminent leur deuxième ou troisième année d’études universitaires, surtout dans la zone où j’habite, ces jeunes ne font rien. Il y en a qui ont appris la comptabilité ou d’autres disciplines, mais qui ne trouvent rien à faire. Et puis même pour ces jeunes qui ont terminé leurs études de philosophie, ils ne peuvent pas entrer dans une faculté. Parce que je connais des jeunes pareils à moi, qui s’efforcent de trouver une place dans une faculté, mais c’est difficile à trouver63 »

Pour Sylvain, un tailleur habitant dans le quartier depuis tantôt un an, la question de la formation, surtout la formation professionnelle est à la base même de la délinquance. Ces jeunes, qui se lèvent et qui ne trouvent rien à faire observent des gens aisés défiler devant eux dans des voitures de luxe les baignant de poussière et de boue, recourent à la violence pour satisfaire leurs besoins. Il se refuse à les critiquer, parce que, selon lui, il faudrait qu’ils puissent trouver un endroit où apprendre une profession et travailler. Le manque d’encadrement, l’absence de capacité de faire des études professionnelles, l’impossibilité de trouver du travail expliquent cette délinquance juvénile.

« Moi, je travaille à partir de ma profession, mais les jeunes d’aujourd’hui, ils ne voient pas la chose de cet œil. Si le jeune homme souhaite apprendre la couture, il lui faut des milliers de gourdes pour cela. Il n’a pas de crédit, au cas où il voudrait apprendre la mécanique où la maçonnerie par exemple. Ainsi, il grandit sans une profession. Alors quand il regarde et vous voit, vous qui travaillez dur, il ne sait pas comment vous avez travaillé, il vous observe, vous passez dans une voiture, vous lui donnez de la poussière, vous ne vous intéressez pas à son sort. Il a faim, vous ne lui supportez en rien… Alors, il fait ce qui est à sa portée. C’est pour cette raison qu’il y a des critiques que je ne fais pas, parce qu’il n’y a pas vraiment d’encadrement pour les jeunes. Il n’y en a pas64»

63 Diplòm lekòl li parèt yon bagay ki katastrofik paske ou jwenn jèn ki ale nan fakilte sitou kote map viv la mwen

konnen dè jèn ki tèmine ki fè 2 ou 3 zan nan inivèsite, apre sa ki kanpe, fin aprann kontablite oubyen tandot choz, ki pa ko ka jwenn travay jous kounye-a. Epi tou menm pou jèn ki fin fè filo a pou yo antre nan yon fakilte yo pa kapab. Paskem m genyen dè e dè jèn, menm jan avèk mwen, ki ap eseye fòse pou yo jwenn plas nan fakilte ki difisil a trouve.

64 Mwen menm map travay sou metye m, men jèn ki genyen kounye a yo, yo pa wè sa konsa. Si nèg la ta dwe al

aprann tayè, fòl gen konbyen mil li pa gon kote yo peyon kòb pou li pou l al aprann tayè, li pa gon kote yo peyon kòb pouli poul al aprann mekanik, poul aprann mason, bon eksetera. Kote ki ta swadizan diw ou tal al aprann li an, siw pa gen marenn ou pa gen parenn pou bay yon kash ou pa ka jwenn li. Alafen jèn oblije grandi konsa. Lè l vin gade ou menm ki redi, li pa konn sa w fè, lap gade w, li wè w pase sou yon oto Chut, ou bal bèl pousyè, ou pa gade l nan

Outline

Documents relatifs