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CHAPITRE 5. QUESTIONS DE RECHERCHE RÉVISÉES ET

5.1 Questions de recherche

Les questions portent sur plusieurs thèmes : la marginalisation des populations, leur capacité de réaliser des actions collectives, les conditions dans lesquelles celles-ci se réalisent et les rapports entre les populations marginalisées et les instances publiques et privées. Ainsi j’ai formulé les questions qui suivent. Chacune est un énoncé principal à partir duquel on peut formuler des questions secondaires.

Quelle est la capacité des populations de « Cité de l’Éternel » et de la « Sierra Santa Catarina » d’organiser des actions collectives ? La formulation de cette question nous renvoie à la notion de double registre des actions collectives telle que développée par Denis (2000) et me permet de formuler d’autres questions secondaires. Comment, d’une part, ces populations s’organisent-elles pour se doter d’un habitat et faire face aux exigences de la vie quotidienne? D’autre part, quels sont les rapports développés avec les autorités étatiques pour obtenir la légitimation de leurs actes tout en préservant leur identité ? La première question concerne l’organisation interne de la répartition des territoires occupés ainsi que toutes les formes d’actions menées pour faire face à des besoins communautaires de base, entre autres, l’eau potable, les soins de santé primaires, l’éducation et l’électricité. Quant à la deuxième, elle est liée à la première et se rapporte aux actions entreprises auprès des autorités établies pour ne pas être délogées sur les terres occupées. Elle concerne aussi les stratégies mises en place pour préserver leur identité, c’est-à-dire pour être reconnues comme des populations vivant sur des territoires qu’elles ont occupés et sur lesquels elles veulent rester.

Les actions collectives réalisées par ces populations portent-elles uniquement sur des problèmes de dimension sociale ou bien abordent-elles en même temps des questions structurelles telles les inégalités dans l’accès aux services sociaux et de santé ainsi que des disparités quant à la répartition des services urbains ? À travers cette question, je cherche à comprendre si les actions collectives de ces populations portent uniquement sur des problèmes sociaux de dimension locale tels que la reconnaissance des populations établies respectivement à Cité de l’Éternel et dans des campements (predios) de la Sierra Santa Catarina, leur accès à l’eau potable, aux soins de santé de base, à l’éducation et à l’électricité, ou bien est-ce que ces actions collectives, tout en tenant compte de ces besoins collectifs posent des questions politiques tels que les rapports sociaux inégalitaires dans l’accès aux biens et aux services publics. Plusieurs questions peuvent être formulées à partir d’un tel énoncé, entre autres, quelles sont les finalités poursuivies par ces actions collectives? Quels sont les moyens utilisés pour atteindre les buts? Ces moyens sont-ils adéquats avec les finalités visées ? Les groupes et les organisations qui ont réalisé ces actions collectives sont-ils devenus des organismes d’exécution de projets communautaires qui renoncent à critiquer les normes institutionnelles comme par le passé, ou le cas échéant, ont-ils disparu de la sphère publique ? Qu’est-ce qui explique cette disparition ?

Dans quelles conditions ces populations réalisent-elles leurs actions collectives? Cette question nous permet d’aborder les contextes dans lesquels se réalisent les actions collectives et me renvoie aux concepts de « conduites dissociées » et de « pratiques structurées ou appropriation collectives » développés par des auteurs. Elle me permet aussi d’analyser les déterminants de la formation des associations avant et après l’occupation des territoires. Dans quel contexte ces actions collectives ont-elles lieu ? Les groupes issus des populations marginalisées ont-ils eu des alliés dans la réalisation de leurs actions? Comment les populations sont-elles parvenues à s’organiser pour occuper irrégulièrement des terrains ou mettre sur pied des réseaux d’organisation qui puissent négocier ou réaliser des projets communs avec d’autres instances (gouvernementales ou privées)? Quels sont les obstacles rencontrés dans la réalisation des actions collectives?

Dans le cadre des luttes pour la reconnaissance, quels sont les rapports entre ces institutions étatiques, les ONG, les ECDI et les politiciens et les populations établies dans les zones occupées de manière irrégulière? Cet énoncé concerne les stratégies développées par les populations pour aboutir à la reconnaissance de leur territoire par

les instances gouvernementales. Il me renvoie aux notions de reconnaissance stigmatisante ou discriminante ou encore à celles de frontières et de marques sociales caractérisant les rapports des populations marginalisées avec des secteurs comme les médias ou même des instances étatiques. A partir de cet énoncé j’ai formulé d’autres questions à savoir : quelles sont les stratégies de reconnaissance mises en place par les populations après les occupations ? Quels sont les rapports qui se développement entre les habitants des terrains envahis et divers secteurs tels que les médias, les ONG, les ECDI, les politiciens, entre autres ? Quelle est la nature des luttes pour la reconnaissance des populations ? S’agit-il de luttes limitées strictement aux populations des terrains envahis ou bien des luttes qui participent d’un mouvement général pour la reconnaissance des populations ayant occupé irrégulièrement des terrains ?

Les actions collectives réalisées par les populations, les interventions des ONG et des ECDI, l’engagement des militants ainsi que les activités des politiciens peuvent- ils favoriser une sortie de la marginalisation des populations concernées ? À partir de cet énoncé j’ai élaboré d’autres questions qui concernent entre autres les types d’action collective réalisée et leur pertinence pour trouver des solutions à des problèmes tels que l’éducation, le logement, l’emploi, les soins de santé considérés comme des services de base ainsi qu’à des services urbains tels que le drainage, l’assainissement, la sécurité publique, entre autres. Ainsi m’a été formulé la question à savoir : les populations, ont- elles accès à des services adéquats ? Cela m’a permis de considérer certains projets réalisés par les ONG et les ECDI notamment à la Cité. De même a-t-on, à partir de la formulation de cette question, mis en relief les démarches entreprises par les populations des campements. Ceci me permet de conclure avec un dernier questionnement : les luttes menées au niveau local telles que celles qui ont eu lieu à la Cité et dans les campements de la Sierra Santa Catarina, peuvent-elles résoudre le problème de la marginalisation des populations concernées ?

La formulation de ces questions donne lieu à de nouvelles interrogations liées à ce qui pourrait être considéré comme des hypothèses de recherche. J’en ai formulé plusieurs. Par rapport à la marginalisation des populations et des milieux dans lesquels elles vivent, tous les habitants de Port-au-Prince et de Mexico respectivement ne sont pas définies comme étant des populations marginalisées. D’ailleurs, en ce qui concerne les populations, on parle de marge parce qu’il y a des frontières ou bien des règles qui distinguent les modes de vie des gens. Ces modes de vie sont déterminés par la façon dont les populations accèdent aux ressources qui caractérisent leurs conditions d’existence. Ainsi, est-ce qu’on ne peut pas dire que la marginalisation des populations

de Cité de l’Éternel et des Campements à la Sierra Santa Catarina s’explique par leur accès différencié aux biens et aux ressources ? Ceci m’amène à un nouveau questionnement qui concerne la capacité d’action collective de ces populations. Tout individu, dans la perspective de la sociologie compréhensive, possède la capacité de comprendre, d’interpréter et de construire des relations. Ainsi, l’individu est un être de relations qui puise dans ses rapports avec des pairs ou des sujets de son environnement pour former des groupes et agir collectivement face à une situation donnée. Dans ce sens, est-ce que les liens d’amitié et de proximité ne facilitent pas la réalisation des actions collectives de ces populations ? Cité de l’Éternel et les campements de la Sierra Santa Catarina, étant considérées comme deux petits territoires comparativement à Port- au-Prince et à Mexico respectivement, les actions collectives réalisées dans ces espaces ne s’étendent pas à d’autres territoires des deux villes. Vu que les populations qui s’établissent sur ces lieux l’ont fait de manière irrégulière, on se demande si les actions collectives réalisées soit dans le cadre des stratégies de la reconnaissance soit pour accéder à des services urbains de base visent l’intégration des populations au milieu urbain ou bien le changement dans la manière inégale d’accéder aux biens et aux ressources.

5.6.1 Espaces, milieux, acteurs, événement et processus : l’échantillon de la recherche

Cette recherche se fera à partir de deux histoires d’action collective survenues dans deux contextes différents. Elle tourne autour de quelques thèmes, entre autres, l’implication de différents acteurs dans les actions collectives, le rôle des populations locales, le rôle des réseaux et des associations mis sur pied dans les quartiers, la capacité des populations de réaliser des actions collectives, les stratégies de lutte pour la reconnaissance et la marginalisation des populations. Afin de répondre aux questions posées, la méthodologie adoptée est celle de l’étude de cas multiples. Pour Yin, l’étude de cas multiples doit permettre de déboucher sur des résultats similaires ou bien peut produire des résultats contraires pour des motifs préalablement énoncés. Il ne se limite pas à une seule méthode (source of evidence) (Yin 1989 : 96). Ainsi, j’ai utilisé plusieurs techniques pour mener à terme cette recherche : l’analyse documentaire, l’analyse cartographique, l’observation directe, les entretiens. J’ai fait ensuite une analyse transversale afin de comparer les cas et en tirer des conclusions.

Je définis un cas comme un espace où les associations locales, les ONG, les entités de coopération au développement international (ECDI) ainsi que des organismes gouvernementaux, en fonction des ressources dont ils disposent planifient, réalisent des actions dans les deux quartiers. Chacun des deux cas analysés dans cette recherche présente ses caractéristiques propres, malgré certaines similitudes entre eux.

Pour arriver à la compréhension de la capacité d’action collective des populations dans le cadre des luttes pour la reconnaissance, j’ai classifié les actions collectives réalisées en vue de leur comparaison. Ceci devrait nous permettre de tirer des conclusions par rapport au contexte dans lequel elles se sont déroulées. L’échantillon de la recherche se répartit comme suit : les milieux, les acteurs, les événements et le processus. Par rapport aux milieux, j’ai choisi de mener l’enquête au niveau de deux communautés : à Port-au-Prince, dans le bidonville dénommé « Cité de l’Éternel » et à Iztapalapa (Mexico), dans des campements situés à « la Sierra Santa Catarina ». En ce qui concerne les acteurs, ils sont choisis parmi les résidents de ces quartiers et des dirigeants des associations locales. Ainsi, j’ai réalisé des entretiens avec des responsables et membres des associations locales, des habitants des campements et de la Cité. Les critères retenus pour choisir les interviewés sont, entre autres, la résidence dans la communauté, la participation aux actions collectives, l’appartenance à une organisation quelconque de la communauté. Il n’est pas nécessaire que l’interviewé réunisse les trois critères pour participer à l’enquête.

S’agissant des événements sélectionnés, ce sont toutes les formes d’actions collectives entreprises par et dans ces populations pour obtenir la reconnaissance des territoires envahis et des services urbains à la «Sierra Santa Catarina» et à «Cité de l’Éternel». Quant aux processus, j’en ai analysé deux : Les actions collectives des populations de «Cité de l’Éternel» à Port-au-Prince et de la «Sierra Santa Catarina» à Iztapalapa (Mexico) pour obtenir la reconnaissance auprès des autorités gouvernementales des territoires envahis et pour avoir accès à des services de base. Il s’agit de processus collectifs pour l’analyse et la compréhension desquels il m’a fallu un ensemble de documents, entre autres, les bilans d’activités, les communiqués de presse, les écrits sur les actions collectives, les accords entre les acteurs et les groupes des populations marginalisées.

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