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CHAPITRE 7. CONDITIONS DE VIE À CITÉ DE L’ÉTERNEL

7.2 Des passages étroits en terre battue et des maisons sans fosse septique

La Cité est classée parmi les zones dites de non droit de la capitale. Elle se caractérise, comme d’autres bidonvilles, par l’absence de cadastre, d’infrastructures et par la prévalence des problèmes environnementaux. Les habitants propriétaires d’immeubles ou de boutique ne peuvent pas faire valoir leur titre de propriété. Selon André, « aucun propriétaire immobilier dans la cité ne peut contracter un prêt bancaire, parce qu’il ne peut pas faire valoir ses titres de propriété ». Dans cet espace, on trouve plus de ruelles et de corridors que de rues ou d’avenues. Il n’y a pas de tracé urbain, les ruelles sont sans trottoir et ne sont pas asphaltées. Selon Marc-André, « la Cité ne peut pas être asphaltée intégralement parce que certaines constructions sont faites sur des marécages et des détritus ; les poids lourds risqueraient de s’effondrer. Quand il pleut,

c’est le casse-tête pour les habitants, surtout ceux qui vivent près des ravines». Jacques accuse d’emblée l’État :

« Si nous avions des gens responsables au niveau de l’État, ils chercheraient à connaître les besoins des gens qui vivent à Cité de l’Éternel, surtout ceux-là qui vivent aux alentours des canaux. Ces personnes font face à plus de problèmes encore, l’État devrait chercher à connaître ces conditions et se rendre compte que ce ne sont pas des conditions où des êtres humains devraient vivre. Ils devraient chercher à aider ces gens là dans la mesure de leurs possibilités51 » Les constructions sont plutôt anarchiques et peuvent être classées selon trois catégories : des taudis ou ajoupas construits à partir des matériaux de récupération, entre autres, tôles usagées, remblais et petite gaule de bois ; des maisons standard avec la toiture en béton et des fers barrant portes et fenêtres pour parer à l’insécurité physique ; des maisons avec étage dont les portes et fenêtres sont aussi protégées par des fers. L’entrée principale de la Cité offre une vue de maisons standard dont la plupart avec étage, mais l’extrémité nord, c’est-à-dire le bord de mer et les côtés est/ouest où passent respectivement les ravines Bréa et Bois-de-Chêne se déversant dans la mer, sont constitués majoritairement de maisons de la première catégorie.

« Vous trouverez vers l’avant des gens qui ont construit leur domicile. Ils habitent là à partir du moment où le sol a été bien préparé. Le boulevard Jean- Jacques Dessalines passe devant ces constructions. La personne qui avait préparé ce sol l’a vendu et n’habite pas dans la Cité. À partir du moment qu’il y a eu des boutiques dans la zone, la zone a commencé à prendre de la valeur. C’était le temps des coopératives, des écoles ont été construites, des églises aussi. Il faut avoir de l’argent pour acheter un terrain par devant52… »

Cette situation est différente pour ceux qui vivent à côté de la ravine Bois-de- Chêne. Ces gens vivent dans la précarité extrême avec de hauts risques pour leur santé. Jusqu’au moment où nous réalisons les entrevues, la majeure partie de la ravine Bois- de-Chêne canalisée à la mer du canal n’était pas curée. C’est un canal à ciel ouvert, non drainé, les eaux sont stagnantes, les moustiques pullulent et les alentours servent de lieu de défécation et d’entrepôt des ordures ménagers. J’ai vu dans les eaux de ces canaux des porcs dont la plupart sont d’une immense corpulence. Ils se vautrent dans la boue noire pour se rafraîchir, sortent par moments aux abords des canaux, se déambulant parmi des individus pour aller fouiner dans les ordures. Jean-Robert, résident dans le

51 Si nou ta gen reskonsab nan leta-a ki ta ap chache konnen, yo ta wè nesesite nan Site deletènèl, sitou pou moun yo

ki alantou kanal yo vrèman, yo gen plis, plis plis problèm vrèman, moun nan fè ti kay la li bare l, a kèk vye fèy tòl. Tou anlè a koule, tou ize, sa vle di la-a si te gon leta, yo tap al chache wè kondisyon sa-a, yo tap wè se pa kondisyon pou moun viv, yo tap ede moun sa yo nan jan ke yo menm yo kapab.

52 Wap jwenn devan-an, moun ki devan yo, se apati de lè tè sa yo fin fèt. Tè sa yo fin gen valè, yo gen rout devan yo,

men si moun nan te fèl, li vin pa rete ladan l men lè li vin gen valè, li vin gen boutik nan zòn nan, se lè te gen koperativ, li vin gen anpil legliz gen anpil lekòl, tè moun nan li vin gen valè. Se moun ki gen lajan kap achte l.

bidonville depuis sa formation, me dit à propos de l’élevage de ces animaux que cela a diminué en dépit de ce que j’ai constaté. C’était pire, avant, dit-il, mais depuis qu’on avait nettoyé une partie du Canal Bois-de-chêne, la situation serait améliorée

«Jadis tu pouvais avoir envie de passer par là pour venir ici, tu ne pourrais pas. Il y avait tellement des excréments de bêtes, vous respirez cette odeur. Là où vous êtes assis, vous préparez vos effets, les cochons vous envahissent. Maintenant cela a diminué, à cause du travail de nettoyage du canal53.»

Des maisons de fortune ainsi que des latrines sont érigées aux alentours de ces canaux. Elles sont construites à partir des matériaux de récupération comme des tôles usagées et de petites gaules de bois. Les canaux leur servent de déversoir pour toutes sortes de vidanges Quand il pleut, ils envahissent les maisons construites autour d’eux déposant les déchets dans la demeure des gens. Selon mon répondant, les latrines placées des deux côtés des canaux appartiennent à des gens qui habitent près du canal et qui n’ont pas assez d’espace pour creuser une fosse d’aisance là où ils ont construit leur logement. Aussi y en a-t-il qui vivent au milieu de la Cité et qui n’en ont pas du tout

« Il y a des gens qui habitent près du canal qui ont leur toilette à côté. De même il y a aussi ceux qui vivent au milieu de la Cité qui disent que les toilettes ne peuvent être où ils vivent, car ils n’ont pas d’endroit où construire une. Ils avaient l’habitude de faire leur besoin par terre, ils viennent près du canal pour le faire. Quand ils ont fini, vous pouvez tout observer par terre. Une partie s’en va au canal. Ça fait une pile de déchets. Quand le soleil commence à les sécher, une mauvaise odeur se répand partout, on respire cette affaire dans la rue. C’est mauvais pour notre santé…Quand le canal déborde, il emporte tout chez nous. On peut les observer sur l’eau, toutes sortes de déchets sur l’eau, il nous faut des heures pour le nettoyage de notre maison54.»

Aucune des maisons situées aux environs du canal n’est drainée. Elles sont alimentées en eau à partir des seaux d’eau (bokit) achetés dans des bornes-fontaines publiques. L’électricité y est arrivée aussi de manière irrégulière comme c’est le cas pour tout le bidonville. Donc, l’absence d’infrastructure, de drainage, la précarité des conditions de vie représentent des menaces constantes pour la santé publique et pour l’environnement. Beaucoup de gens ne disposant pas de toilettes font leurs besoins

53 Ou konprann lontan ou te kapab anvi pase la-a ou pa tap ka pase, Matiere kochon ki atè a senpleman, wap respire

mauvaise odeur. Kotew chita la-a wap fè affaire w kochon ap monte sou wou.é E koun ye a la-a kochon vin diminue, akoz de travay ki tap fèt la la-a. O

54Gen de moun ki rete bò kanal la se la yo konstwi twalèt yo. Gen de moun ki rete nan mitan site ki pa gen kote pou

yo fè bezwen yo se bò kanal la yo vini. Lè ke yo fin jete matyè sa-a, pou wè matyè a rete sou tè a, genyen ki tonbe nan dlo a, genyen se sou tè a yo rete, yo vin fè yon pil e lè solèy la koumanse seche l, pou movèzodè ap monte, nan lari, wap respire bagay sa yo, bagay sa yo pa bon pou nou menm menm menm menm. Wi li toujou pote yo, paske dlo konn antre lakay la tou, m konn jwenn bagay sa yo ap naje sou dlo a. Tout sòt de matyè, fatra, ou jwenn tout nan dlo a, nou pran tan pou n netwaye kay nou.

physiologiques à même le sol, au bord de la mer. La matière extraite des toilettes au moment du curage est aussi déversée dans la mer.

«Ah ! Ces gens ne manquent pas ici (les bayakou55). Il y en a au dehors. Dès

qu’ils partent avec, on sait déjà où ils peuvent se rendre. Il y en a qui la transportent dans des sacs pour la déposer ensuite dans de grosses brouettes, ils sont partis avec jusqu’au bord de la mer en bas. Probablement, ils la jettent à la mer pour la faire disparaître56 »

Ces canaux constituent aussi un repaire de moustiques. Même de jour, elles piquent. Quand la nuit commence elles se répandent dans toute la Cité causant des ennuis aux résidents. Devant certaines maisons, quand vient le soir, les gens allument du feu pour produire de la fumée afin de chasser les moustiques. La nuit, ceux qui en ont les moyens achètent une produit dénommé «placatox» qui est une forme d’encens en spirale dégageant une fumée à laquelle ne résistent pas les moustiques. André explique comment était la situation auparavant. Les gens se sont accommodés de la situation, dit-il, puisqu’ils n’ont pas d’autre endroit où aller.

«Ici, là où vous êtes assis, vous voyez que vous n’êtes pas en train de vous taper de temps à autre, de vous gratter la peau? Avant il serait difficile, je serais obligé d’allumer un feu, de vous demander de m’excuser, vous avez besoin du feu pour produire de la fumée pour chasser les moustiques, car dès que vous ouvrez la bouche, quatre à cinq moustiques seraient prêtes à entrer dans votre bouche. En dépit de tout, je vous aurais reçu quand même. On s’est résigné parce que nous n’avons pas où aller, nous ne savons quoi faire, puisque nous ne pouvons pas acheter un terrain coûtant 50 à 60 mille dollars, alors que nous n’avons même pas d’argent pour nous acheter de quoi manger. Il y avait d’autres instances qui sont venues nous dire que nous ne pouvons pas habiter ici car il y a possibilité de production de gaz. Ce n’est pas que nous ne le sachions, car nous avons construit nos maisons sur des vidanges. À n’importe quel moment, ces détritus peuvent se transformer en n’importe quoi. Mais nous n’avons que ça. Cité de l’Éternel est en butte à beaucoup de problèmes57».

En dépit de ces conditions de vie, plusieurs personnes interviewées sont venues prendre refuge à la Cité pour diverses raisons : persécutions dans d’autres quartiers, incapacité de payer le bail ailleurs, liens d’amitié et de parenté.

55 Nom péjoratif donné aux vidangeurs qui nettoient les latrines. Il est inspiré du nom donné à une étoile observée à la

partie orientale annonçant l’arrivée de l’aube. Les vidangeurs avaient l’habitude de vider les latrines avant la percée du jour.

56 Genyen, depi yo gentan pati ansanm avèl, ou pa konn kote ya l fèl, si se bò lanmè, genyen ki gen dwa mete l nan

sak en gro, yo gen dwa mete l nan sak yo mete l nan gro bourèt, yo pati avè yo, y ale nan lanmè anba, yo gen dwa lage l nan lanmè epi yo disparèt li

57 Isit la-a, jodi a la-a kotew wèw chita la-a, ou wèw pap bat kòw ou pap grate kòw, auparavant li tap di, fòm ta oblije

limenyon ti dife. M tap diw eskizem, ou besoin yon dife la-a pou meton lafimen pou ke bagay sa-a yo rele marengwen an pa kouvriw. Paske depiw te louvri bouch ou menm kat ou senk marengwen te ap andre nan bouche ou. Men sepandan m tap resevwaw kanmenm. Nou te reziye nou, paske nou pa gen kote pou nou te ale, nou pat konn sa pou nou te fè, nou pa ka achte yon teren pou 60, 50 mil dola, pandan se tan nou pa gen kòb pou nou manje, pandan se tan npou pagen kòb pou nou manje nou te oblije. En meme temps an tou te gen lòt enstan ki te vini tou pou te di nou, eben la-a nou pap ka abite la-a, li kapab produi gaz. Se pa konnen, nou pa konnen sa, paske se sou fatra nou ye. A tou moman, fatra-a li menm, li gen dwa degajel en sal vle a. men sepandan se sa nou genyen, ou konprann. Cite de l’eternel gen anpil problèm.

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